Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

L'Essentiel

C'est entendu, parce que c'est plus facile ou plus rapide ou plus "normal" ou plus ludique, la majorité des humains court de façon effrénée derrière le superflu et néglige l'essentiel.

Le paradigme de la modernité qui naquit à la Renaissance, se meurt sous nos yeux. Ses grands principes s'effondrent. La physique n'est plus mécaniste. La morale n'est plus humaniste. La foi n'est plus religieuse. L'idéologie n'est plus socialo-gauchiste. L'économie n'est plus financiaro-industrielle. La démocratie n'est plus que démagogie électoraliste et clientéliste. Toutes les ressources de base sont entrées en pénurie. Les qualités de vie - surtout en ville - se délitent. Le virtuel évacue le réel. L'argent ne vaudrait plus rien si les banques centrales ne rachetaient pas les dettes pourries des Etats, des grosses entreprises et des ménages surendettés.

Alors ? Nous changeons d'ère. Comme tous les 550 ans, en moyenne. Un nouveau paradigme est en émergence qui, avant la fin du 21ème siècle, aura balayé jusqu'aux derniers restes de la "modernité". Sic transit gloria mundi !

Depuis peu, le monde occidental sent confusément la fin d'une ère. Le problème posé est le suivant :

  1. Où est l'essentiel, sachant que la transformation paradigmatique est un phénomène irréversible, profond, général et global ? L'essentiel est évidemment de construire un nouveau paradigme radicalement différent (que j'ai déjà détaillé ailleurs à de nombreuses reprises) actant, par priorité la décroissance nette des démographies humaines et des consommations de tout, la disparition des Etats-nations au profit de réseaux continentaux de communautés autonomes, fortement connectées et éthiquement contrôlées
  2. Où est l'accessoire ? Dans la vaine et dérisoire tentative de préserver quelques accessoires de l'ancien paradigme au profit des "victimes" en tous genres que l'on s'inventerait à tous les coins de rue ou ronds-points.

Or, de quoi parle-ton ? obsessionnellement des mouvements populistes (Brexit, Orban, Podemos, Trump, Zarkis, Salini&Vuoi, "gilets jaunes", …), dont la seule raison d'être est de vainement tenter de préserver quelques lambeaux de privilèges et avantages d'un système qui n'existe déjà plus ; de cultiver, à la fois, la plus grande nostalgie du monde d'avant et les plus grands ressentiments contre les gens de maintenant que l'on désigne comme "responsables" ; de pleurnicher sur des tendances économiques fausses comme la baisse des pouvoirs d'achat, comme le creusement des inégalités de revenus, comme la précarisation et la paupérisation des "classes d'en bas".

Un exemple à méditer à propos de ces déferlantes d'infos-bidons  nourrissant cette chimère nommée "justice sociale" ou autre arlésienne : aujourd'hui, être pauvre, ce n'est plus ne pas gagner assez d'argent ; être pauvre, c'est dépenser trop !

Retournons, dès lors, à l'essentiel : à notre préparation intérieure face à cet inéluctable changement de paradigme (et au mécanisme de deuil qui l'accompagne, comme l'a révélé Elisabeth Kübler-Ross).

Ce moment béni de grande  lessive de printemps suggère de remettre du bon ordre dans nos têtes. Et de commencer par répondre à la première de toutes les questions : qu'est-ce que je fais là ? Désormais, l'espérance de vie pour une  existence humaine, grâce (?) ou à cause (?) du "progrès" médical, flirte avec les 85 ans, soit un peu moins de trois milliards de secondes. C'est beaucoup ? C'est trop peu ? Mais surtout : pour en faire quoi ? Le temps de lire sérieusement cet article, c'est 300 secondes dont un dix millionième de votre vie, cher lecteur.

Qu'importe quand on a vingt ans ? Bien plus lorsqu'on en a 82 !

Ce capital-temps qu'est une vie, qu'en faire ? Au service de quoi faudrait-il le mettre ? Comment le valoriser au mieux … ? Mais attention : quelle sera l'unité de valeur (en monnaie, en joie, en amour, en solitude, en nature, en création, en connaissance, en culture, etc … ?) qui sera utilisée ? Qu'est-ce qui compte dans la vie ? Qu'est-ce qui pèse dans la vie ? Nous voilà au cœur de "l'essentiel".

Au fond, faisons simple : l'essentiel est relatif puisqu'il se définit comme ce qui est essentiel pour mener à bien son propre projet de vie. Tout ce qui ne sert pas directement et efficacement le projet de vie personnel, est superflu et peut/doit être écarté.

Alors ? Quel est donc ce si vital projet de vie ? Ce projet qui trace si facilement la frontière, réputée si difficile, entre l'essentiel et l'accessoire ? La réponse est simple - mais complexe, sans être compliquée : au service de quoi vais-mettre mon existence à partir de maintenant ?

Ce peut être au service de moi-même, ce qui me condamne à tourner en rond dans mon bocal mental comme un poisson rouge devenu fou. Ce pourrait être, au-delà de mon nombril, le monde humain, proche ou lointain, local ou global. Le nombril devient plus gros, certes, mais le projet est encore anthropocentré et, à l'étage du dessus, se pose la même question : au service de quoi l'humanité prend-elle sens et valeur ? A quelle aune, autre qu'elle-même, peut-on évaluer l'humanité ? Le poids de l'humanisme devient alors extrêmement relatif : si l'homme n'est plus la seule mesure de toutes choses, alors il ne l'est plus de rien. Il n'est plus alors le mesureur, mais seulement le mesuré. Sans ni entrer dans leur détail, ni être forcément d'accord avec eux, l'humanisme moderniste (l'autre nom de l'anthropocentrisme) est aujourd'hui attaqué de toutes parts par les antispécistes, les végans, les rétro-activistes de tous poils qui dénoncent, avec un violence barbare, un mythe fantasmé par eux : celui de la suprématie du mâle blanc hétérosexuel sur les autres humains, animaux et végétaux !

Mais laissons-là ces délires ! Alors, l'humanité : au service de quoi ? A cette question, il n'y a pas de réponse unique et universelle … heureusement. Ou alors, il s'agirait de réinventer les pires des idéologies totalitaires avec tout ce que l'on sait de méthodes et de conséquences ignobles. Chacun est condamné - mais n'est-ce pas un vraie grande chance ? - de SE donner SA bonne réponse …. Et d'y consacrer, ensuite, sa vie (le verbe "consacrer", ici, est tout sauf un hasard).

Ma réponse à moi ? Au service de la Vie et de l'Esprit.

Marc Halévy, Le 5 mars 2019

Pour "Recto-Verseau" - Stéphane Rudaz info@recto-verseau.ch