Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Déclin ou rupture ?

Le film canadien "Le déclin de l'empire américain", propose une thèse : la montée de l'aspiration au bonheur individuel correspondrait à la déliquescence de l'aspiration au progrès collectif. L'exemple choisi est le couple conjugal : le mariage par amour signerait un déclin civilisationnel alors que le mariage de raison en vue de la procréation et/ou de la consolidation patrimoniale serait un moteur de la croissance et de la prospérité de la cité. Mais encore ?

Plus généralement, la thèse oppose l'extériorité à l'intériorité dont la première ferait de l'homme un héros au service de la construction sociétale, et dont la seconde serait l'indice d'une dégénérescence, d'un retrait d'ermite loin de la cité.
C'est clairement l'inverse qui est vrai. Les grandes périodes de "rationalité" et de "socialité" sont des ères de violence et de tyrannie où le génie est hérétique et où le pouvoir et l'ordre, la domination et la conquête sont au centre des activités humaines avec toute la kyrielle de conséquences néfastes et destructrices que l'on sait.
Il faudrait relire l'histoire humaine en ce sens et que ce sont les grandes charnières qui sont les vraies périodes d'essor civilisationnel : la fin des cités grecques et le début de la romanité, la fin de l'empire romain et le début des Mérovingiens, la fin des Carolingiens et le début de la féodalité, la fin du Moyen-âge (le "fin amor") et le début de la "renaissance moderne", et enfin, notre époque de fin de modernité et de mutation paradigmatique. Ce sont ces charnières qui sont les sauts civilisationnels, alors que les "apogées" ne sont que des paliers, des plateaux, des stagnations au sein d'un système rassis.
L'humanité ne grandit que dans ces périodes de grandes effervescences intérieures, de grandes remises en cause sociétale, de grands "soupçons" sur toutes les légitimités, sur toutes les moralités, sur toutes les idéalités que ces stagnations cherchent à systématiser, à normaliser (comme Descartes et les Lumières l'ont fait pour la Modernité, comme Platon et Aristote, avant eux, pour l'hellénisme ou comme Benoît et Thomas d'Aquin pour les deux versants du moyen-âge).
Ces penseurs-là ne sont pas des philosophes mais des idéologues chargés de la légitimation du système en place.
Par contre, les philosophes qu'il faut étudier avec passion, sont ces penseurs de la charnière, ces chercheurs en rupture de ban et de paradigme, en quête d'une regard nouveau, d'un regard au-dessus des sociétés et des hommes : les présocratiques(Héraclite), les stoïciens (Sénèque), les néo-platoniciens (Plotin), les iconoclastes (Jean Scot Erigène),les humanistes (Montaigne), les existentialistes (Nietzsche).

Marc Halévy, janvier 2010