Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Le mariage pour tous

Trois articles de Bertrand Vergely à propos du mariage pour tous.
Dans les trois textes qui suivent, mon ami, mon frère, Bertrand se lâche. Chrétien orthodoxe, il assume sa foi chrétienne avec joie et lumière, et il s'insurge en dénonçant les discours ambiants et les amalgames débilitants qui les nourrissent. Ne croyant en rien aux lois des hommes et ne considérant que les lois du cosmos, celles de la Matière, de la Vie et de l'Esprit au-delà (infiniment au-delà) de l'Homme, le problème du "mariage pour tous", pour moi, n'est qu'un épiphénomène périphérique, mais lourd de signification. Pour moi, le problème réel n'est pas celui du "mariage pour tous" (dont, sur le principe, je me fiche comme d'une guigne), mais bien plutôt celui du mariage tout court c'est-à-dire de la contractualisation publique d'une relation strictement privée et intime. C'est le mariage civil qu'il faut abroger pour tous et non étendre aux homosexuels. L'union "mystique" entre deux êtres qui s'aiment vraiment (ce qui est incroyablement rare) n'a nul besoin de l'assentiment sociétal et magistral. Que les croyants sacralisent leur union devant leur Dieu, je puis le comprendre (même si je ne marche pas sur ce chemin-là). Mais que les quidams veulent ou doivent contractualiser leur lien devant un officier (qui officie) de la fonction publique, me sidère. Bertrand, bien logiquement, pose clairement le distinguo énorme entre amour et procréation, entre faire l'amour et faire des enfants. Le problème qu'il décline, est celui du rapport entre ces deux versants de la vie : l'amour et les enfants. Longtemps, l'amour n'a eu que peu d'importance dans la création et le développement des familles. Le problème unique était la descendance et la transmission des patrimoines. Quant à l'absence d'amour entre conjoints, et entre parents et enfants, on s'en accommoda durant près de trois millénaires (d'ailleurs, dès que l'on en avait les moyens, on avait une maîtresse ou un amant pour l'amour et des nurses pour les enfants). L'amour au sens où nous l'entendons (c'est-à-dire un sentiment profond et durable, bien proche de l'amitié et bien au-delà de cette passagère passion amoureuse qui ressemble plus au rut qu'à autre chose) est un idée récente. Luc Ferry a raison de le souligner, mais tort d'en faire le messie des temps nouveaux. Les temps qui viennent appellent, selon moi, de décontractualiser totalement l'amour et de repenser radicalement la "production", l'éducation et l'épanouissement des enfants. Au contraire de Bertrand, je ne crois pas que la famille soit "nécessairement" le meilleur lieu d'accueil pour des enfants : combien d'enfants ne sont-ils pas les victimes et les martyrs de familles bien-pensantes, bien mariées et bien crétines ? La plupart des parents (parce qu'ils font simplement partie de la masse) sont des abrutis, des ignares, des imbéciles, des apprentis-sorciers qui s'ingénient, à longueur de temps à rater leurs gosses - dont certains, en réaction, deviennent homosexuels ou dépressifs ou suicidaires ou violents ou autres difficultés psychologiques … En nos temps de dramatique surpopulation mondiale, il faudrait peut-être penser à un "permis de procréer" … Dans toute cette polémique, ce qui m'interpelle profondément et m'effraie immensément, c'est la sournoise et morbide totalitarisation de nos sociétés soi-disant démocratiques. La "sociolâtrie", comme l'appelle Bertrand, qui est la montée en puissance de l'idéologique égalitariste et socialiste (dont Hollande et sa clique sont des thuriféraires extatiques), est une radicale catastrophe humaine, philosophique, économique et éthique qui mène à un homme dénaturé, à un homme uniformisé, à un homme conformé, à un homme assisté, à un homme formaté, à un homme lobotomisé, à un homme juridisé bref : à un homme esclave du système social-socialiste. Il ne faut jamais oublier les nombreux visages, tous hideux et monstrueux, du socialisme au cours de ces deux derniers siècles : le socialisme terroriste de Robespierre, le socialisme antibourgeois de Marx, le socialisme national de Hitler, le socialisme fasciste de Mussolini, le socialisme communiste de Lénine, de Staline, de Mao et autre Pol-Pot. Oui, malgré ce qu'en disent les obsédés du clivage artificiel entre la "gauche" et la "droite", il n'y a en politique que deux clans : celui où la société est au service de l'épanouissement libre l'homme (c'est le libéralisme sous toutes ses formes) et celui où l'homme est au service du développement obligé de la société (c'est le socialisme sous toutes ses formes). Avec le "mariage pour tous", l'égalitarisme, contre-naturel jusqu'à l'absurde, a montré sa puissance destructrice et dictatoriale, son mépris de la démocratie et, surtout, de la réalité. Il induit un triomphe de l'idéologie imbécile sur la réalité humaine. Il signe l'orgueil démesuré des lois des hommes contre les lois de l'univers, de la Vie et de l'Esprit cosmiques. L'homme s'exclut de la Vie et la Vie, bientôt, exterminera les hommes. * Le mariage pour tous ou la dictature de la confusion ! Bertrand Vergely La question du mariage gay appelle dix remarques. 1/ Il importe d’abord de distinguer la question de l’homosexualité de celle du mariage gay. L’homosexualité appartient à la sphère privée et renvoie à une histoire singulière. C’est ainsi, il y a des personnes dans la société dont la manière d’aimer consiste à aimer une personne du même sexe. Pourquoi en est-il ainsi ? Nous n’en savons rien et nous ne le saurons sans doute jamais, tant il y a de raisons possibles à cela. Toujours est-il qu’il s’agit là d’une réalité que la société se doit de respecter en offrant aux couples homosexuels une protection de leur vie privée au même titre que celle dont peut jouir chaque citoyen. 2/ Le mariage gay relève en revanche d’une question qui regarde tout le monde, celui-ci étant appelé à bouleverser de manière irréversible la norme en vigueur en établissant une nouvelle norme en matière de famille, de filiation et de transmission, s’il vient à être adopté. 3/ À l’origine, le mariage est une donnée naturelle. C’est ainsi, pour faire naître la vie un homme et une femme s’unissent et procréent un enfant. En établissant le mariage comme institution, la société a donné un cadre juridique à cette donnée naturelle afin de la protéger. 4/ Il s’avère qu’aujourd’hui le mariage, la filiation et la transmission ont changé de sens. La procréation n’est plus l’unique sens du mariage, le mariage-sentiment ayant tendance à l’emporter sur le mariage-procréation. De même, l’enfant n’a plus pour unique sens d’être le fruit de l’union d’un couple, le désir d’enfant introduisant des demandes d’enfants de la part de personnes seules ou des demandes d’adoption ou de procréation assistée de la part de couples stériles. 5/ La question qui se pose dès lors et qui concerne tous les couples, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, est celle de savoir si le sentiment doit devenir l’unique sens du mariage et si le désir d’enfant d’où qu’il vienne doit devenir la raison d’être de ce dernier. Elle est également le fait de savoir si ce qui se fait doit devenir la norme de ce qui est. Si tel est le cas, il faut savoir que rien ne va pouvoir s’opposer formellement à ce qu’on lève désormais l’interdit de l’inceste au nom du droit de s’aimer pour tous. Le sentiment en dehors de toute donnée naturelle devenant la norme, au nom de l’amour un père pourra réclamer d’épouser sa fille voire son fils, une mère son fils voire sa fille, une sœur son frère ou sa sœur, un frère sa sœur ou son frère. Si tel est le cas, tout étant noyé dans l’amour érigé en droit au-dessus de toute réalité, plus personne ne sachant qui est qui, il y aura fatalement une crise d’identité et avec elle un problème psychique majeur. Les tendances psychotiques générées par l’individualisme hédoniste pour qui le réel n’existe pas et ne doit pas exister vont se renforcer. Un père étant aussi un amant et une mère une amante, il va devenir impossible de parler de père et de mère et donc de savoir qui a autorité pour élever des enfants. En ce sens, la famille va littéralement exploser. Enfin, l’interdit de l’inceste étant levé, c’est le sens même du devenir de l’être humain qui va être atteint, le sens de cet interdit étant de rappeler aux êtres humains qu’ils sont faits pour devenir, en épousant, non seulement un autre hors de sa famille mais aussi de son sexe et non pour demeurer dans la même famille et le même sexe. En ce sens, le législateur qui va devoir se prononcer sur le mariage homosexuel a de lourdes responsabilités. S’il décide de faire du mariage une affaire de droit et de sentiment en dehors de toute donnée naturelle, il introduira dans la cité la ruine possible de l’identité psychique, de la famille ainsi que du devenir symbolique de l’être humain. 6/ Au-delà de cette question qui concerne tout le monde, les hétérosexuels comme les homosexuels, la question du mariage gay pose un certain nombre de questions qu’il importe d’examiner avec attention, la principale d’entre elles étant celle du même. Au nom de l’égalité et du refus d’établir des discriminations, est-il possible d’établir une équivalence entre tous les couples ? Trois éléments s’y opposent. 7/ En premier lieu, pour une simple question de réalité et de donnée objective, on ne peut pas mettre sur le même plan hétérosexualité et homosexualité, un homme et une femme n’étant pas la même chose que deux hommes et deux femmes. Les couples hétérosexuels ne sont pas des couples homosexuels ni les couples homosexuels des couples hétérosexuels. Établir une équivalence entre les deux revient à nier la réalité en opérant une grave confusion entre genre et pratique. Avant d’être une pratique, l’hétérosexualité est un genre et pas une pratique, alors que l’homosexualité est une pratique et non un genre. La preuve : pour être homosexuel, il faut d’abord être homme ou femme. Si demain, au nom de l’égalité, tout est mis sur le même plan, la pratique particulière dictant ses lois au genre, un processus dangereux va s’engager à savoir celui de la disparition à plus ou moins long terme de la différence sexuée. On va alors assister à un effet dictatorial. Pour que les homosexuels puissent exercer leur droit à l’égalité, l’humanité va être interdite de faire une différence entre homme et femme, voir dans l’hétérosexualité un fondement et non une pratique étant considéré comme une pratique discriminatoire. Une nouvelle humanité va voir alors le jour. Nous vivions jusqu’à présent dans un monde marqué par la différence. Nous allons connaître un monde nouveau fondé sur l’indifférenciation. Quand on sait que la différence est le propre du vivant et l’indifférencié le propre de la mort, un principe de mort va désormais servir de principe pour guider l’humanité. 8/ La difficulté soulevée par l’équivalence décrétée entre tous les couples se retrouve au niveau des enfants. Comme il semble qu’on l’ait oublié, il importe de rappeler qu’un couple homosexuel ne peut pas avoir d’enfants. On peut le déplorer, mais c’est ainsi, deux hommes et deux femmes ne peuvent pas procréer. Ceci veut dire que, pour qu’il y ait procréation l’homme a besoin de la femme et la femme de l’homme. Les homosexuels réclament de pouvoir avoir un enfant. Ils se fondent pour cela sur le droit qui est accordé aux couples hétérosexuels d’adopter ou de procéder à une procréation médicalement assistée. Ils oublient ou font semblant d’oublier que ce n’est pas le droit qui les empêche d’avoir un enfant mais la Nature. Certes, un couple hétérosexuel peut adopter ou passer par la procréation assistée afin d’avoir un enfant. Il importe de souligner toutefois qu’un enfant adopté par un couple hétérosexuel n’a pas et n’aura jamais le même sens qu’un enfant adopté par un couple homosexuel. Lorsqu’un couple hétérosexuel adopte un enfant, il le fait pour pallier un problème de stérilité. Lorsqu’un couple homosexuel veut adopter un enfant, il le fait pour contourner une impossibilité. Le registre symbolique n’est pas le même, vouloir contourner une impossibilité à l’aide d’une loi nous situant dans le domaine de la fiction prométhéenne et non plus dans celui de la réalité humaine. Jusqu’à présent, la rationalité de la société repose sur la notion de limite et avec elle sur l’idée que tout n’est pas possible. Tout ne se décrète pas. Tout ne se fabrique pas. Limite positive autant que protectrice, l’idée que tout ne se décrète pas nous préservant de la dictature du Droit et l’idée que tout ne se fabrique pas nous préservant de la dictature de la Science. Avec le mariage gay et l’ouverture à la possibilité pour couples gays de recourir à l’adoption ainsi qu’à la procréation médicalement assistée, il va en être autrement. L’idée que rien n’est impossible va voir le jour en enterrant la notion de limite. Voyant le jour, plus rien ne va nous protéger de la dictature du Droit et de l’idée que tout peut se décréter. Plus rien ne va nous protéger de la dictature de la Science et de l’idée que tout peut se fabriquer. On obéissait à la Nature qui, comme le dit Montaigne, est « un doux guide ». Nous allons désormais obéir à la Science et au Droit. La Nature évitait que l’Homme n’obéisse à l’Homme. Désormais, l’Homme va obéir à l’Homme sans que l’Homme n’obéisse à quoi que ce soit. Dostoïevski au 19e siècle comme Léo Strauss au 20e siècle voyaient dans le « Tout est possible » l’essence du nihilisme. Ils redoutaient comme Nietzsche que celui-ci n’envahisse l’Europe en ne se faisant aucune illusion cependant à ce sujet. Avec le mariage gay, l’adoption et la procréation assistée pour couples gays, le « Tout est possible » va devenir une réalité et, avec lui, le nihilisme sous la forme du triomphe sans partage de la Science, du Droit et de l’Homme. 9/ Dans le même ordre d’idées, il importe de distinguer un enfant que l’on fait d’un enfant que l’on fait faire. Quand un couple fait un enfant, l’enfant est une personne. Le fait de faire un enfant se passant entre des personnes qui s’aiment et pour qui l’enfant n’est pas une marchandise ni l’objet d’un trafic. Quand on fait faire un enfant par un tiers, l’enfant n’est plus une personne, mais un objet voire une marchandise dans un trafic. Témoin le fait de louer le ventre d’une mère porteuse ou les services d’un géniteur. Lionel Jospin faisait remarquer qu’il n’y a pas un droit à l’enfant, mais un droit de l’enfant. Si le mariage gay avec procréation assistée est adopté, le droit de l’enfant va être sacrifié au profit du droit à l’enfant. Sous prétexte de donner un droit à l’enfant aux homosexuels, l’enfant considéré comme objet n’aura plus droit symboliquement au statut de personne. Alors que le monde des droits de l’homme s’efforce de lutter contre la réification de ce dernier, au nom du droit à l’enfant, on va réifier ce dernier. Il va y avoir en outre des questions pratiques à gérer. D’abord le coût. Pour qu’un couple d’hommes puisse avoir un enfant, il va falloir louer le ventre d’une mère porteuse. Ce qui n’est pas donné, le prix moyen se situant entre 80.000 et 100.000 euros. Comme les couples gays vont réclamer que la facture soit réglée par la Sécurité Sociale au nom du droit à l’enfant pour tous et de l’égalité, comment celle-ci va-t-elle faire pour faire face à cet afflux de dépenses au moment où son déficit se creuse ? Qui va payer et comment ? Par ailleurs, l’État prenant en charge les mères porteuses, il va falloir aller chercher celles-ci ou bien créer un service spécial. L’État se refuse à devenir un État proxénète en autorisant et en organisant le trafic du sexe de la femme. Pour que la procréation médicalement assistée puisse exister, il va falloir qu’il devienne quelque peu trafiquant et qu’il organise le trafic des ventres. Ce qui ne va pas être une mince affaire. Quand un couple ne sera pas content du bébé d’une mère porteuse et qu’il décidera de le rendre, que va-t-on faire ? Obliger le couple à garder l’enfant ? En faire un orphelin ? Payer la mère porteuse pour qu’elle le garde ? Et qui payera le psychiatre qui devra soigner l’enfant ainsi ballotté et quelque peu perturbé ? 10 /Ce problème rencontré dans le fait de faire faire un enfant va se retrouver avec celui de l’éduquer. Une chose est d’avoir un père et une mère, une autre d’avoir deux pères et deux mères. Obliger un enfant à naître et à grandir dans un couple homosexuel va se confondre avec le fait d’interdire à un enfant de savoir ce qu’est le fait d’avoir un père et une mère. A-t-on le droit d’enlever ce droit à un enfant ? Si tel est le cas, cela voudra dire que pour que les homosexuels aient droit à l’égalité les enfants des couples homosexuels seront condamnés à ne pas être des enfants comme les autres. Certes, les orphelins n’ont pas leur père ou leur mère. Mais, il s’agit là d’un accident et non d’une décision. Avec le droit pour couples gays d’avoir un enfant, les orphelins ne seront pas le produit d’un accident de la vie mais d’une institutionnalisation délibérée. Ils seront obligés par la société de n’avoir soit pas de père, soit pas de mère. À cette situation qui ne manquera pas de produire à un moment ou à un autre des mouvements de révolte s’adjoindra une autre difficulté. L’enfant de couples gays n’aura pas droit à une origine réelle, mais à une origine absente. À la case père ou mère il y aura un blanc. Ce qui n’est pas simple à porter. Qu’on le veuille ou non, l’enfant ne pourra pas ne pas se sentir coupable, la propension naturelle des enfants étant de se culpabiliser quand l’équilibre familial n’est plus respecté. En conclusion, les partisans du mariage gay, de l’adoption et de la procréation médicalement assistée pour couples gays rêvent quand ils voient dans ce projet un progrès démocratique sans précédent. Ils croient que tout va bien se passer. Cela ne va pas bien se passer. Cela ne peut pas bien se passer pour la bonne raison que tout a un prix. Ne croyons pas que l’on va remettre la différence sexuée en voyant en elle une pratique parmi d’autres sans que cela ait des conséquences. N’imaginons pas que des enfants fabriqués, à qui l’on aura volé leur origine, seront sans réactions. Ne pensons pas que la disparition des notions de père et de mère au profit de termes comme parent I ou parent II permettront l’existence d’une humanité plus équilibrée et mieux dans sa peau. On prétend résoudre des problèmes par ce projet de loi. On ne va pas en résoudre. On va en créer. Le 20e siècle a connu la tragédie du totalitarisme et notamment du projet insensé de créer un homme nouveau à travers une race ou une classe. Ne cédons pas à la tentation de fabriquer un homme nouveau grâce à la Science et au Droit. Tout ne se décrète pas. Tout ne s’invente pas. Il existe des données naturelles de la famille. N’y touchons pas. Ne jouons pas avec le feu. Ne jouons pas à être des apprentis sorciers. Le Tao voit dans la complémentarité entre le féminin et le masculin une loi d’équilibre dynamique fondamentale de l’univers. Ne touchons pas à cette loi d’équilibre. Nous avons tous des amis homosexuels que nous respectons, que nous estimons et que nous aimons. Qu’ils soient d’une profonde moralité, nous n’en doutons pas. Qu’ils soient capables d’élever un enfant, nous n’en doutons pas non plus. Qu’un enfant puisse être plus heureux dans un couple homosexuel que dans certains couples hétérosexuels, nous n’en doutons pas une fois encore. Que cela soit une raison pour légaliser le mariage gay et permettre l’adoption ou la procréation médicalement assistée pour couples gays, c’est là une erreur. Une chose est une loi, une autre est un cas particulier. On ne fait pas une loi avec des cas particuliers, mais à partir d’une règle tenant compte de tout ce qu’il y a derrière. S’agissant du mariage gay avec adoption et procréation médicalement assistée, il y a derrière une telle règle trop de choses dangereuses et graves pour que celle-ci puisse devenir une loi allant dans le sens des intérêts fondamentaux de l’être humain. La Gauche a le pouvoir à l’assemblée et peut décider de passer en force grâce au nombre de ses voix et ce afin de paraître de gauche. Elle peut choisir de préférer la Gauche à l’être humain. Elle s’honorera de choisir l’être humain plutôt que la Gauche, sachant qu’en servant l’être humain elle est sûre de servir ses propres intérêts alors que l’inverse n’est pas sûr. Tant il est vrai que l’on n’a jamais intérêt à scandaliser l’honnête homme en l’obligeant à devoir se soumettre par la contrainte à ce que sa raison répugne à accepter par respect pour la raison. Le mariage gay qui nous propose une grande noyade collective dans l’amour n’est pas raisonnable. La mise en question de la distinction entre homme femme ravalée au rang de pratique sexuelle n’est pas raisonnable. Vouloir avoir un enfant à tout prix en recourant soit à l’adoption, soit à un père donateur, soit à une mère porteuse n’est pas raisonnable. Ne plus parler de père et de mère mais de deux pères ou de deux mères n’est pas raisonnable. En un mot, bidouiller une famille grâce à un montage juridico-médical et appeler cela famille n’est pas raisonnable. Les mots ont du sens quand ils renvoient à une réalité. Quand ils ne sont plus que ce que l’on décide qu’ils doivent être, on n’est plus dans le domaine du sens, mais de la confusion. Le règne de la confusion, sa dictature et avec elle la confusion des esprits et des comportements, n’est-ce pas ce dont nous souffrons déjà et qui risque de nous engloutir ? Est-il besoin d’en rajouter ? Bertrand Vergely Atlantico 5. Le Droit, mesure de toutes choses ? Bertrand Vergely. Durant l’Antiquité, Socrate et le sophiste Protagoras se sont opposés au cours d’une controverse mémorable. À Protagoras qui déclarait que « l’Homme est la mesure de toutes choses », Socrate a répondu avec l’ironie cinglante qu’on lui connaît que c’est la folie qui devient la mesure de toutes choses quand tel est le cas. Pourquoi ? Parce que quand l’Homme mesure tout, plus rien ne mesure l’Homme. Les Sages du Conseil Constitutionnel ont rendu leur verdict. Le mariage pour tous n’est pas anticonstitutionnel. Ce qui, dans le contexte actuel se comprend, dans le monde laïc qui est le nôtre, la loi des hommes ayant remplacé la loi ontologique. Faisons du mariage un simple contrat comme un autre, le mariage pour tous n’a effectivement rien qui viole la loi. Quand quelqu’un souscrit un contrat d’assistance avec un vendeur de machines à laver, ce vendeur ne lui demande pas s’il est hétérosexuel ou pas. Il n’a pas à le faire. D’où la légitimité du mariage pour tous entendu comme contrat. Faisons du mariage un droit et rien qu’un droit. Ayant la même valeur qu’un contrat d’assistance avec un vendeur de machines à laver, il n’y a aucune raison de le refuser aux homosexuels. Dans l’avenir toutefois, tout donne à penser qu’il va en être autrement. Et ce, pour trois raisons I) Dans un premier temps, très vite va se poser la question de la PMA (Procréation Médicalement Assistée) ainsi que celle de la GPA (Gestation Pour Autrui). Il va falloir alors se demander si, pour que les parents homosexuels soient des parents comme les autres, il est légal d’enlever son père à un enfant en remplaçant le père absent par des paillettes ou par un tiers. Tout comme il va falloir se demander s’il est légal d’enlever sa mère à un enfant en remplaçant celle-ci par le ventre d’une mère porteuse. L’État considère aujourd’hui le fait d’être un orphelin comme un drame qu’il faut secourir. Sera-t-il constitutionnel de promulguer le contraire ? II) Admettons que les Sages qui auront à statuer sur ce cas décident de ne pas autoriser la PMA et la GPA pour ne pas condamner certains enfants à l’orphelinat par avance, comment vont-ils s’y prendre pour expliquer aux couples homosexuels qu’ils ont le droit de se marier mais pas d’avoir des enfants ? S’ils disent effectivement non, cela reviendra de fait à supprimer le mariage pour tous en faisant de celui-ci un demi-mariage que les homosexuels n’accepteront certainement pas. D’où crise. III) À l’inverse, si, pour satisfaire le désir des couples homosexuels les Sages entérinent la PMA et la GPA, il faudra qu’ils expliquent aux Français qu’une nouvelle ère est venue. Celle d’une humanité sans filiation. Les êtres humains auront une traçabilité de leurs origines comme la viande. Mais ils n’auront pas plus de valeur qu’elle. Ce qui conduira à se demander si le Droit n’est pas en train de tuer l’Homme. D’où autre crise. Autrement dit, quoi qu’il arrive, du fait de la question de l’enfant, le mariage pour tous est amené à disparaître. Sauf si, au nom du Droit souverain de l’Homme, on en décide autrement. Cela voudra dire alors qu’au nom du Droit et de l’égalité, on n’est plus dans le Droit mais dans la violence et dans la folie. Et là, c’est Socrate qui aura raison. On est vraiment fou quand on pense que l’Homme et le Droit sont la mesure de toutes choses. Bertrand Vergely. La jouissance du chaos. Réponse à Françoise Héritier. Le Point. Bertrand Vergely Quatre idées majeures Dans l’interview qu’elle donne au Point, Françoise Héritier, qui se déclare favorable au mariage pour tous, justifie sa position en revenant sur la notion d’ordre naturel, sur les origines du mariage, sur le sacré ainsi que sur la famille. Ces retours appellent quatre remarques. À propos de la notion d’ordre naturel. Quand Françoise Héritier explique qu’il n’y a pas d’ordre naturel, que la morale sert à justifier la société et que le mariage n’a rien de sacré, on peut objecter trois choses. 1) L’Homme n’est pas qu’un être social. Il est aussi un être vivant. Il n’est pas que culture. Il est aussi Nature. Par Nature, Françoise Héritier entend essence et, derrière elle, ordre figé des choses. Rappelons que Nature vient du latin nascor qui veut dire naître. Qui dit Nature dit origine et source. Nous ne venons pas de rien. Nous venons de la vie et nous possédons en nous la capacité de vivre et de faire vivre, de naître et de faire naître. Il n’y a là rien de figé ni d’immuable. Toute vie cherche à vivre et à faire vivre. Quand elle ne peut pas le faire elle souffre et meurt. C’est en ce sens qu’il y a un ordre de la vie. Comme le souligne François Jacob dans Le jeu des possibles, il faut rappeler que la reproduction sexuée n’est pas une invention sociale mais une invention de la vie afin de multiplier ses chances d’adaptation et donc d’évolution. La vie aurait pu se reproduire par division cellulaire. Ce qui est limité. Elle a choisi la reproduction sexuée pour évoluer. La sexuation homme-femme est en ce sens non pas un frein mais un moteur d’évolution. Si elle n’existait pas, aucune vie évoluée n’existerait. On comprend de ce fait que le mariage entre l’homme et la femme soit le modèle dominant. À travers la complémentarité dynamique de ces contraires, il est le modèle par excellence de toute évolution. Ce que le Yi Qing ou Livre des transformations, qui n’est pas un texte judéo-chrétien, enseigne en se fondant sur la dialectique du masculin (Yang) et du féminin (Yin). Dans sa Métaphysique de l’amour, Schopenhauer le montre également. C’est le jeu de la vie et son désir d’expansion qui veut la différence sexuée et non une idéologie réactionnaire. L’attrait irrésistible du masculin pour le féminin et inversement en est l’illustration. Le besoin de se marier et de faire des enfants également. D’où le caractère ontologique de la sexualité ainsi que du mariage. Tout être vivant ressent un besoin vital d’évoluer et de vivre la dialectique créatrice de lui-même avec son autre. L’homosexualité n’échappe pas à la règle. Bien qu’elle mette en présence des personnes du même sexe, celle-ci reste greffée sur l’hétérosexualité. Témoin le désir de mariage. Signe que l’on ne peut pas étouffer la dialectique du masculin et du féminin. 2) Nullement une invention de la société afin de conforter celle-ci, la morale est une invention de la vie, être moral consistant à vivre et à agir de façon responsable non pas parce qu’on y est obligé mais parce qu’on le veut. Cette dimension morale est présente dans le mariage en s’exprimant à travers l’échange des consentements à la mairie devant le maire ou à l’église devant le prêtre. Moment essentiel de la structuration psychique des êtres humains. Le mariage pourrait n’être que naturel en obéissant à un besoin inconscient d’évolution. Il pourrait se faire malgré les hommes. Il se fait avec eux. D’où l’erreur de croire et de faire croire, comme le fait Françoise Héritier, qu’il n’est qu’un contrat, celui-ci étant une alliance et pas simplement un contrat. 3) Appelons sacré, les conditions de possibilité de la vie d’un être humain, conditions que l’on ne peut pas remettre en cause sans dommages voire mort. Contrairement à ce que pense Françoise Héritier, il y a une sacralité du mariage. Il n’est pas neutre d’avoir une relation sexuelle et de se marier. Faire l’amour en épousant le corps de l’autre, c’est toucher à l’intime et, derrière lui, au secret d’un être. Se marier en épousant la vie de l’autre et pas simplement son corps, c’est rencontrer le fait inouï de l’existence à travers le fait d’aimer que l’être que l’on aime existe. Un député UMP favorable au mariage pour tous justifiait sa position en disant que le mariage permet « d’avoir une sexualité ». On ne se marie pas pour faire l’amour avec quelqu’un mais pour faire sa vie avec lui ou avec elle. Tant il est vrai que l’on peut faire l’amour avec quantité de « partenaires » alors qu’on ne fait sa vie qu’avec un seul être. Le secret d’un corps vibrant dans l’intime, la gratitude devant la vie parce que l’être que l’on aime existe : c’est cela le sacré. On s’en aperçoit tous les jours. Que l’amour vienne à être vécu sans secret et sans gratitude. Il n’y a plus d’amour ni de vie. Les corps étant vides de sens, les existences se vident aussi. D’où l’erreur de vouloir désacraliser le mariage. On se croit moderne en le faisant. On n’est pas moderne. On est d’une brutalité archaïque. Nous croyons et nous faisons croire qu’il peut y avoir un amour sans sacré comme il peut y avoir une sexualité sans amour. Quand il n’y a plus de sacré, il n’y a plus d’amour et quand il n’y a plus d’amour il n’y a plus de sexualité. Si nous avons un discours sur la sexualité, nous n’avons plus de discours sur l’amour, écrivait Roland Barthes dans ses Fragments d’un discours amoureux en 1977. Comment s’en étonner, quand on pense qu’il n’y a pas plus urgent que de désacraliser et de démythifier l’amour, en confondant sacré et idole ? Hier, on accusait l’Église d’abrutir le peuple avec le sacré. Aujourd’hui, ce sont les adversaires de l’Église et leur théophobie qui abrutissent le monde en tuant le sacré. On nous trompe donc quand on nous explique, comme le font les sociolâtres, qu’il n’y a pas d’ordre naturel et moral et que le mariage n’a rien de sacré. La société n’est pas tout. Il y a aussi la vie. S’il est vrai que, sans société il n’y a pas de vie humaine, sans vie il n’y a pas de société. Certes, l’histoire existe et les hommes ajoutent par la culture des choses à la vie qui leur est donnée. Mais pour se construire ainsi culturellement il faut partir de quelque chose et avoir quelque chose à construire. Sans quoi, partant de rien, on ne construit rien. Les sociolâtres ne veulent pas en entendre parler. Prétendant que la vie n’est qu’un mythe, à part l’ordre social il n’y a pour eux ni ordre naturel, ni ordre moral, ni ordre sacré. En 1789, les révolutionnaires ont voulu que l’année 1790 soit l’an zéro de l’humanité. Si la sociolâtrie prétend être l’an zéro de la pensée, le mariage pour tous aspire lui à être l’an zéro de l’existence. « Du passé faisons table rase », dit L’internationale. « Des couples homme-femme et père-mère faisons table rase », dit le mariage pour tous. L’histoire montre comment cela finit. À l’image de 1789, cela commence dans la liesse avant de s’achever dans la terreur. À propos du mariage. Deuxième idée développée par Françoise Héritier : la manière dont les hommes ont inventé le mariage. Ne pouvant faire des fils alors que les femmes le peuvent, ceux-ci auraient obligé celles-ci à procréer des mâles pour eux en les assujettissant à cette fonction par l’interdit de l’inceste, le rejet de l’homosexualité, la différence sexuée, le monothéisme et la sacralité du mariage. Cette idée appelle trois remarques. -- 1) Dans les sociétés dites traditionnelles, le désir des hommes d’avoir un fils et le fait de se sentir frustrés quand ils n’en ont pas est un fait bien connu. Un fait lourd, violent, dur, qui a fait souffrir les femmes dans l’histoire et qui les fait encore souffrir. Un fait que le féminisme a raison de dénoncer. -- 2) Toutefois, quand on entend dire que le besoin des hommes d’avoir une descendance mâle est à l’origine 1) du mariage, 2) du monothéisme, 3) de la différence sexuée, 4) de l’interdit de l’inceste, 5) du refoulement de l’homosexualité, on n’est plus dans la raison mais dans le fantasme du savoir absolu. Fantasme qui prêterait à sourire si celui-ci était sans conséquences pratiques. Ce qui n’est pas le cas. -- 3) Si, tel est le cas, soyons logiques. Pour que les femmes ne souffrent plus : 1) Établissons la gestation masculine. 2) Supprimons le mariage et donc le mariage pour tous au lieu de chercher à établir celui-ci. 3) Supprimons le monothéisme en installant l’athéisme et non la laïcité qui lui permet de s’exprimer. 4) Levons enfin l’interdit de l’inceste, produit du dépit masculin. Exagérations que tout cela ? Non. La thèse que développe Françoise Héritier à propos de la soif de gestation masculine est celle que développe Élisabeth Badinter dans X Y, lorsque celle-ci explique que le drame des hommes est de ne pas pouvoir faire d’enfants. Drame qui les pousse à jalouser les femmes. Prenant au sérieux cette thèse, aujourd’hui, des chercheurs américains s’efforcent de rendre cette gestation possible. La suppression du mariage ? Il en est question en Hollande. La fin du monothéisme ? Nous sommes en plein dedans avec la propagande théophobe et antichrétienne qui sévit de façon quotidienne à travers les médias. Enfin, la levée de l’interdit de l’inceste ? Avec le communisme sexuel rêvé par Diderot dans Le supplément au voyage de Bougainville et théorisé par Engels dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, cette question ne manquera pas de se poser dans les prochaines décennies au nom de l’émancipation de l’être humain. La famille telle qu’on la connaît n’est pas exempte de critiques. Reste que recélant en elle la dialectique du masculin et du féminin, elle demeure le garant de notre évolution. Si demain, ce garant venait à disparaître au nom du désir que tout soit possible, ce n’est pas sur la liberté que l’on débouchera, comme certains le croient, mais sur la folie. À propos du sacré. Troisième idée avancée par Françoise Héritier : l’idée que le monothéisme, responsable de l’invention du mythe de la sacralité du mariage, est intrinsèquement violent. Ce qui appelle là encore trois remarques. -- 1) Rappelons d’abord que ce n’est pas « la religion » ni « le monothéisme » qui s’élèvent contre le mariage pour tous, mais des catholiques, des protestants, des orthodoxes, des juifs, des musulmans, des non croyants, des électeurs de droite, des électeurs de gauche et quelques homosexuels. Rappelons par ailleurs que ce ne sont pas que des hommes qui s’élèvent également contre lui, mais des centaines de milliers de femmes. Rappelons enfin que ceux qui s’élèvent contre le mariage pour tous ne sont pas des réacs dévorés par une régression à l’archaïque, mais des citoyens refusant d’être manipulés par l’idéologie qui a décidé de faire penser correctement tout le monde en niant : 1) que l’on naît homme ou femme avant d’être homosexuel, la différence homme-femme étant un genre et un fondement de la vie alors que l’homosexualité n’est qu’une pratique affective et sexuelle ; 2) que pour faire un enfant il faut un homme et une femme et pour l’élever un père et une mère ; 3) qu’il y a un droit de l’enfant et non un droit à l’enfant. -- 2) Le monothéisme est intrinsèquement violent, nous dit Françoise Héritier. Non. Il est une critique de la violence, à l’image des prophètes et de Moïse secouant le peuple d’Israël afin qu’il n’adore pas le veau d’or ; à l’image du Christ s’interposant pour que la femme adultère ne soit pas lapidée par la foule en colère ; à l’image de la mystique soufie dans l’Islam, luttant pour que les intégristes ne détournent pas le Coran. Le monothéisme a inventé le mariage pour opprimer les femmes, nous dit encore Françoise Héritier. Non. Le monothéisme a inventé le mariage mystique pour qu’il n’y ait pas que les échanges claniques où la femme n’est qu’un objet économique que l’on s’échange et que le féminin intérieur de l’humanité, déjà tant opprimé, ne le soit davantage. -- 3) Un certain nombre de croyants s’opposent aujourd’hui au mariage pour tous. S’ils le font, c’est parce que se pose la question de la filiation, qui n’est pas simplement celle de la filiation visible reliant enfants et parents. Alors qu’il est à la mode de penser que la mesure de toutes choses réside dans ce qui se fait, la « religion » enseigne que la mesure de toutes choses réside dans ce qui est. L’Homme n’est pas qu’un accident de la Nature dans un univers indifférent qui se moque de son existence, comme l’écrit Jacques Monod à la fin du Hasard et la Nécessité. C’est un être qui vient de loin, qui est appelé à aller loin et qui porte en lui la dignité procédant du fait inouï de l’existence. On rencontre sa profondeur d’être humain quand on en prend conscience et, qu’ayant cette conscience, on s’inscrit dans la filiation de la vie en apprenant à recevoir et à redonner. Concrètement parlant, comme le dit Marc-Alain Ouaknin dans Les dix commandements, c’est en honorant son père et sa mère que l’on apprend à honorer la filiation et en ne commettant pas l’adultère qu’on apprend à l’entendre. Être religieux ce n’est donc pas régresser à l’archaïque comme le pense Françoise Héritier. Au contraire. C’est s’inscrire dans une filiation venue des profondeurs de l’être afin de recevoir et de redonner. Chose qui manque tant dans notre monde où tout éclate à commencer par la famille que l’on veut faire éclater encore davantage comme si elle ne l’était pas déjà assez. Que d’adolescents sont recroquevillés dans un individualisme désespéré et mortifère faute d’avoir un entourage capable de leur révéler leur filiation en leur apprenant la beauté du recevoir et du redonner. À propos de la famille. Quatrième et dernière idée avancée par Françoise Héritier. Il s’agit de propositions que l’on peut résumer ainsi.1) Dire oui bien évidemment au mariage pour tous et permettre ainsi l’homoparentalité, l’expérience montrant que vivre avec seulement un père ou une mère se fait déjà sans dommages. L’expérience montant également que, l’enfant étant d’une très grande « plasticité », il s’accommodera très bien de deux pères ou de deux mères. 2) Permettre la PMA (Procréation Médicalement Assistée) et la GPA (Gestation Pour Autrui), celle-ci offrant l’occasion de démythifier le père et la mère. 3) Inviter de ce fait les hommes et les femmes à inventer une nouvelle paternité et une nouvelle maternité. Ce qui là encore appelle trois remarques. -- 1) Il est étonnant de voir Françoise Héritier invoquer ce qui se fait pour justifier la privation de père et de mère que l’on va infliger aux enfants de couples homosexuels afin que leurs parents soient des parents comme les autres. Tout enfant de cinq ans sait pour se l’entendre dire par sa mère que ce n’est pas parce que quelque chose peut se faire que cela est moral ni parce que l’entourage l’accepte que cela est juste. L’infibulation et l’excision des femmes dans le Sahel existent et sont localement acceptées. Ce n’est pas pour cela qu’elles sont morales et justes. S’il est louable de vouloir lutter contre les archaïsmes, ainsi que Françoise Héritier souhaite le faire. Il faut savoir toutefois que les archaïsmes se sont toujours développés et se développent encore en revendiquant « ce qui se fait ». De même, il est étonnant de voir Françoise Héritier dire qu’un enfant peut se passer de père ou de mère puisqu’il le peut. Il le peut certes, mais au prix de quels manques, de quelles souffrances, de quel drame ! Ce n’est pas parce que les êtres humains sont capables de faire face aux drames de l’existence que ceux-ci cessent d’être des drames. Le croire et le faire croire, c’est se moquer de leur souffrance. Dans le contexte actuel, c’est utiliser leur courage pour banaliser un drame afin de faire triompher l’idéologie de la parentalité pour tous. Enfin, il est étonnant de voir Françoise Héritier invoquer la « plasticité » de l’enfant afin d’expliquer qu’il s’accommodera très bien de deux pères et de deux mères. Quoi ! Des êtres élastiques, indéfiniment modelables pour permettre à la nouvelle famille de voir le jour ? C’est cela qu’on nous promet ? Cela porte un nom. Cela s’appelle du totalitarisme, le rêve de celui-ci étant d’avoir affaire à une humanité docile et caoutchouteuse afin de la manipuler comme bon lui semble. Ce qui fait froid dans le dos ! -- 2) Puisque de parentalité il s’agit, la justification de la PMA et de la GPA par Françoise Héritier, celle-ci voyant là une occasion de démythifier les notions de père et de mère, est elle aussi étonnante. Traditionnellement, l’enfant ayant une dignité, les parents servent à faire un enfant. Désormais, l’enfant va servir à fabriquer les nouveaux parents, qui seront des parents explosés afin que la famille judéo-chrétienne explose elle aussi. Certes, il faudra être vigilant, nous dit Françoise Héritier, mais démythifier étant le but, il faudra se réjouir qu’un père soit réduit à des paillettes venues de Suède et qu’il soit possible de faire exploser la maternité en ayant une mère pour féconder le sperme d’un donateur par son ovule, une autre pour porter l’ovule fécondée, une nourrice pour prendre soin du bébé une fois né, enfin une mère acceptant de prendre en charge l’éducation du bébé. Comme l’on montrera que cela peut se faire, cela se fera. Et comme l’enfant aura été éduqué pour être « plastique », cela se fera très bien. Quand on a la consistance d’un élastique, quatre mères et des paillettes pour père ? C’était un problème pour le monde d’hier. Cela ne le sera plus pour le monde de demain. Moralité : Vous croyez que Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley et que 1984 de George Orwell sont des romans. Erreur. Ils étaient des romans dans le monde d’hier. Dans le monde de demain, ils seront la réalité. -- 3) Certes, dans ce monde, il faudra tout de même un minimum de père et de mère. Qu’à cela ne tienne, on créera en inventant de nouvelles paternités et de nouvelles maternités, nous dit Françoise Héritier. Le père, la mère, des inventions humaines ? ? Mais c’est génial, diront certains. Enfin, la vraie vie ! Celle que l’on attend. Celle dans laquelle il sera possible de tout faire. S’inventer comme on veut en réalisant le rêve de Sartre dans L ‘existentialisme est un humanisme : que l’Homme soit l’avenir de l’Homme. Fabriquer une humanité où l’individu pourra s’autoféconder, comme le souhaitent les mutants présentés par Françoise Gaillard et Élisabeth Azoulay dans Futurs, le tome V de leur ouvrage 100 000 ans de beauté Ce qui est une erreur. Totalement asservi aux fantasmes de toute puissance des partisans de la nouvelle humanité appelée de ses vœux par Christiane Taubira, Garde des Sceaux, le monde découvrira un nouveau fascisme à côté duquel Hitler apparaîtra comme un enfant de chœur. Il s’apercevra alors qu’en pensant lutter contre l’oppression par le mariage pour tous et toutes les conséquences que celui-ci implique, il lui aura en fait taillé des boulevards. En ce sens, l’interview de Françoise Héritier dans Le Point permet de comprendre ce qui se passe aujourd’hui. Vous vous demandez comment il est possible de justifier le mariage pour tous par des phrases aussi indigentes que : « Ça se fait » ou « Il faut démythifier » ? Vous vous étonnez qu’il soit possible d’avoir la désinvolture intellectuelle consistant à accuser le monothéisme de tous les maux du monde ? Vous avez froid dans le dos quand vous entendez le cynisme dire que l’enfant étant plastique il saura très bien s’accommoder de la nouvelle famille sans père ni mère ou avec plusieurs pères et plusieurs mères ? Vous êtes sidéré quand vous voyez la famille explosée érigée en modèle ? Désormais, vous savez. Tout cela n’est pas un hasard. Un nouveau monde est en marche, celui de la toute puissance de l’Homme, cette toute puissance passant pour l’heure par le chaos avec la jouissance perverse que cela peut procurer. Bertrand Vergely.