Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

L'âge infantile numérique

La révolution numérique n'en est qu'à ses tout débuts. Elle est encore enlisée dans son stade ludique et puéril ...

... Cela aura été sa période américaine (les Américains, en général, et les Californiens, en particulier, sont de grands enfants bêbêtes qui adore fabriquer, vendre et chipoter des gadgets inutiles).

La grande majorité de ces gadgets n'ont aucune valeur d'usage ; ils ne servent pas à produire de la valeur économique. Ils amusent et poussent à faire joujou avec des photos, des images, des films, des musiques, etc … bref, avec des objets informationnels sans intérêt. Ce sont des colifichets de distraction et d'amusement, mais ce ne sont pas de vrais outils de travail.

Lorsque la révolution numérique aura atteint son stade adulte (dans un peu plus d'une dizaine d'années, sans doute) et pourra prétendre posséder une réelle valeur d'usage et permettre de produire de la vraie valeur économique, les gadgets actuels ne disparaîtront probablement pas (il restera toujours de vieux ou jeunes "gamins" pour faire joujou), mais ils se marginaliseront au profit de vrais outils de travail.

Les réseaux sociaux (Linkedin, FaceBook, etc …) sont déjà en train de fondre au profit de petits réseaux collaboratifs, fermés ou semi fermés, dédiés à une finalité précise, où ne seront admis que des contributeurs à ce seul projet commun, dans le respect de certaines règles de fonctionnement. Il s'agira de vraies communautés collaboratives ayant un code éthique, animées par la poursuite de buts fédérateurs clairs.

Bien sûr, la révolution numérique se développera incroyablement vite et fort en direction d'une robotique de nouvelle génération, possédant une agilité et une précision mécanique exceptionnelles, et une capacité de calcul énorme permettant certains auto-apprentissages élémentaires (selon des programmes d'apprentissage conçus par des humains).

Le mythe (ou l'imposture) connu sous le nom d'Intelligence Artificielle (AI) sera dénoncé, enfin, et l'on reconnaîtra que la seule intelligence d'un ordinateur n'est que celle du programmeur qui l'a conçu et construit. Un ordinateur ne sera plus vu que comme une mécanique, juste capable d'additionner des 0 et des 1 … et d'engendrer de l'aléatoire permettant de simuler de la créativité. Exit les mythologies science-fictionnelles.

Le big-data sera vite dépassé et remisé. Il n'aura été qu'une énorme machinerie mercantile et stupide, destinée à faire acheter n'importe quoi, n'importe où, par n'importe qui. En revanche, les techniques (type cloud) de partage des objets noétiques utiles seront grandement amplifiées, pour des communautés dûment autorisées, avec des règles éthiques strictes, permettant des leviers collaboratifs puissants qui accéléreront la progression des savoirs.

Dans ce cadre, se développeront beaucoup d'aide à la personne (enfants, handicapés, malades, convalescents, vieillards, …) notamment et surtout avec des visées sécuritaires et médicales. Il est déjà possible de suivre de près les évolutions physiologiques des personnes les plus fragiles. En revanche, les gadgets de suivi on-line des performances physiques des personnes saines seront vite reconnus comme des sources de stress inutiles.

L'ordiphone se marginalise déjà en tant qu'instrument de téléphonie (téléphoner dérange toujours et ne sert à rien d'autre qu'à occuper ceux qui s'ennuient ou à décongestionner les excités effervescents - lorsque tout est urgent, plus rien ne l'est), mais il restera un instrument de consultation de données et de communication textuelle "par exception" (le composition de texte y est laborieuse et pauvre). 
Les tablettes et ordinateurs portables sont en train de fusionner, et l'écran tactile ne sera plus guère utilisé que comme un gadget peu pratique et énervant.

Les jouets de connexion perpétuelle (lunettes connectées, montres connectées, etc …) sont déjà morts, tués par leur inutilité notoire. De manière plus générale, l'engouement immature pour la connexion permanente s'épuisera assez vite pour se remettre à sa juste place, comme n'étant qu'une manière, parmi beaucoup d'autres, de communiquer avec autrui seulement lorsque cela est nécessaire. La bienfaisante vie solitaire et intérieure, libre et créative, retrouvera bientôt tous ses droits.

Le processus d'éviction des intermédiations imposées et des barrières de fait entre utilisateurs finaux et producteurs de solutions, s'accélère. Ce que l'on appelle parfois "ubérisation" des solutions fonctionnelles se généralisera, éliminant le tissu lourd et lent, corporatiste et bien trop cher pour le peu de valeur ajoutée produite, des intermédiaires et distributeurs traditionnels.

Un domaine va exploser. Celui des outils d'étude et d'apprentissage, celui de la fin de l'école et de l'université, celui des pédagogies à distance et en différé, celui des apprentissages collaboratifs. Les e-learnings et moocs actuels n'en sont que les premiers balbutiements encore bien maladroits.

Enfin, l'ère de la Toile unique et centralisée est déjà terminée. La Toile "mondiale" - américaine, en fait - va exploser en entités continentales interconnectées, elles-mêmes découpées en myriades de sous-réseaux plus spécifiques (chaque bassin linguistique et culturel aura sa Toile). Cet ensemble, aujourd'hui en voie d'appauvrissement du fait des normes uniformisées, imposées par les opérateurs américains, se régénèrera et s'enrichira de langages et de concepts de recherche beaucoup plus sophistiqués, basés sur des moteurs autres que bêtement statistiques. Ainsi se terminera l'ère de la contagion par médiocrité et de l'américanisation par le bas (ce qui est un pléonasme).

Il restera à combattre, avec la plus extrême énergie, la progression de l'audiovisuel qui s'avère n'être qu'une énorme machination en vue de la crétinisation des masses et de la lobotomisation des esprits faibles.

Marc Halévy, 29/1/2016.