Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Bifurcation paradigmatique actuelle

Ce qui nous arrive ...

La notion de processus complexe.

 

L'histoire humaine est un processus d'évolution complexe comme à peu près tout ce qui existe dans le monde. ET ce processus historique est une succession de "paradigmes" qui se suivent, mais ne se ressemblent pas du tout.

Un paradigme est un cycle civilisationnel qui naît, grandit, mûrit, décline et s'effondre en donnant naissance au paradigme suivant qui ne lui ressemblera guère.

Un paradigme est, en somme,

 

Un processus complexe a une durée de vie limitée : tout ce qui existe est né, a grandi, a mûri, a décliné et a disparu.

C'est vrai pour cette ruche comme pour cette étoile ou cette rose, pour ce chêne comme pour  ce village … et pour cet homme qui se promène.

Sauf accident, la durée moyenne du cycle de vie d'un processus complexe est approximativement constant pour chaque espèce.

L'éphémère ne vit qu'un seul jour. L'abeille ou la rose ne vit que quelques mois. L'humain vit de l'ordre de quatre-vingts ans. Un chêne vit plusieurs centaines d'années et une étoile, quelques milliards d'années.

 

La durée de vie des paradigmes de l'histoire humaine.

 

Eh bien, l'histoire montre qu'un paradigme humain dure, en moyenne et sauf accident, de l'ordre de 550 ans.

L'histoire occidentale, ainsi, se décompose : l'Hellénité de -700 à -150, la Romanité de -150 à 400, le christianité de 400 à 950, la féodalité de 950 à 1500 et la Modernité de 1500 à 2050.

Nos constatons donc que nous vivons la fin de la Modernité qui est en train de s'effondrer sous nos yeux. Un nouveau paradigme est en émergence qui exigera un nouveau "vivre ensemble" après que sera passée la zone chaotique qui marque la mort du paradigme précédent (c'est très exactement cela que nous vivons depuis 1975 (la fin des "trente glorieuse) et que nous devrons supporter quelques années encore (néo-tsarisme russe, néo-islamisme; néo-califat, néo-confucianisme chinois, néo-traficocraties, …) et qui, immanquablement, sépare l'effondrement de l'ancien paradigme (la courbe rouge de la Modernité qui s'arrête : feu rouge) et l'émergence du nouveau paradigme (la courbe verte du nouveau paradigme qui démarre : feu vert).

 

Qu'est-ce qui caractérise un processus complexe ?

 

Tous les processus complexe – dont vous et moi, ou cette ruche, ou ce chêne, ou ce climat terrestre, ou la Modernité … - se construisent sur quatre piliers. Toujours les mêmes, qui portent des noms techniques que nous allons expliciter ci-dessous en nous inspirant d'une belle métaphore utilisée par Aristote en son temps : celle de la construction d'une maison … (et qu'est-ce qu'un paradigme sinon la maison que nous habitons tous ?)

 

Une Intentionnalité …

Quelle est l'intention ? Quels sont le projet, le "pour quoi", la vocation, la mission, le finalité, le but … ?Pour quoi fait-on les chose ? Dans quelle intention ? Pour la plaisir, le bonheur ou la joie, demandait Spinoza ? Ou pour tout autre chose ? Pour la réputation ou la renommée ou la reconnaissance ? Pour la fortune, la gloire ou le pouvoir ? Le problème des motivations profondes des projets (surtout civilisationnels) est tellement essentiel et profond que l'on rechigne souvent à l'aborder de front. Pour quoi (en deux mots) vivez-vous ? Toute l'épopée coloniale européenne à la fin du 19ème siècle avait de multiples motivations, mais la première était d'apporter les "bienfaits" (techniques, éducationnels, médicaux, infrastructurels) aux "peuples sauvages" qui en manquaient cruellement …

 

Une Corporalité …

L'idée d'entamer une belle construction est séduisante, mais encore faut-il en avoir les ressources. Pour construire une maison, il faut au moins un espace (un terrain utilisable) et des matériaux (des pierres, des briques, du ciment, des poutres, des vitres, des planches, etc …). Et ces ressources, il faut les acquérir : les acheter, les voler, les fabriquer ? Sans parler des ressources immatérielles comme des savoir-faire, des connaissances, des talents, du courage, de la ténacité, etc …

Il faut encore établir une harmonie durable entre ce que l'on va construire et l'environnements immédiat, avec le voisinage, et tisser avec ceux-ci des relations positives et constructives, et en maintenir une belle vivacité.

 

Une Logicité …

Construire est un métier qui a ses règles, ses normes, ses lois : même la meilleure volonté du monde ne peut ignorer la loi de la gravitation et empêcher un mur construit de travers, de finir par s'effondrer. Chaque matériau a sa propre résistance aux efforts d'étirage, de compression, de torsion, de pliage. Le monde réel possède ses propres lois qui sont infiniment plus puissantes que les caprices humains. C'est pourquoi l'architecte trace ses plans – d'ensemble et de détail -  avec soin et précisions.

On ne construira rien de durable, d'utile et de beau en négligeant le fait que ce que chacun fait doit être fait en harmonie avec la réalité du Réel. … c'est-à-dire en harmonie avec les lois physiques, chimiques, mécaniques, biologiques, organiques, sociologiques, psychologiques, économiques, écologiques, … qui gouvernent la réalité du monde, que cela plaise ou non à ce sale gamin têtu appelé "humain".

 

Une Constructivité …

L'intention est posée, les matériaux ont été livrés, les règles du jeu sont posées. Il n'y a plus qu'à faire, à travailler, à construire. Le chantier peut naître, s'élever, grandir, s'épanouir, s'accomplir. Car tel est le mot-clé crucial : accomplissement. Le moteur fondamental de l'évolution de tout ce qui existe est l'accomplissement du Réel en soi et autour de soi.

Devenir réellement ce que l'on est déjà potentiellement. Faire advenir réellement, ce qui attend chacun de nous autour de soi pour rendre le monde plus riche, plus harmonieux, plus pacifique.

Le Réel que l'on porte en soi et le Réel qui évolue autour de soi, forment un seul et même Réel, et chacun d'entre nous est au centre d'une magnifique dialectique de vie : s'accomplir (s'épanouir) soi-même tout en accomplissant (épanouissant) tout ce qui nous entoure et nous apporte tout ce qui nous nourrit le corps, le cœur, l'esprit et l'âme.

 

Fondements de la modernité.

 

L'effondrement effectif de la Modernité a commencé avec la première guerre mondiale, elle-même conséquence du mauvais armistice de la guerre franco-allemande de 1870, elle-même conséquence de la mégalomanie napoléonienne, le tout accompagné par le déploiement du mécanicisme et de l'industrialisme.

La Modernité a commencé à se déglinguer en 1789. Elle avait commencé avec le rejet de la scholastique et de la hiérarchies féodales par les humanistes du 15ème siècle (Erasme, Giordano Bruno, Pic de la Mirandole, …), continuée par les rationalistes du 17ème siècle (Galilée, Descartes, Spinoza, Leibniz, Hobbes, …) et amplifiée par le philosophisme du 18ème siècle (Kant, Newton, Hume, Locke, Montesquieu, … laissons de côté les cyniques salonnards comme Voltaire et sa clique).

 

Son Intentionnalité : l'anthropocentrisme : mettre l'humain au centre et au-dessus de tout. Et éliminer, par tous les moyens tout ce qui pourrait entraver ou s'opposer à ce grand dessein dont Dieu (quelque signification que l'on donne à ce mot-tiroir), la Nature (inépuisable réservoir de ressources dont l'humain pouvait se rendre maître et possesseur comme disait Descartes), la Faiblesse (tant numérique que naturelle des humains), …

Tout cela a débouché, au 20ème siècle, sur les catastrophes que l'on connaît : universalisme, égalitarisme, nihilisme, industrialisme, financiarisme, technologisme, idéologisme, …

 

Le paradigme de la Modernité.

 

  • Intentionnalité (le projet) : "tous les hommes sont frères" (origine chrétienne européenne) : humanisme (anthropocentrisme), égalitarisme (tous les humains sont égaux ; tous esclaves du système), universalisme (toutes les races et cultures sont équivalentes), nihilisme (rien au-delà de l'humain, extirpation du divin et du sacré), …
  • Corporalité (les ressources) : anti-écologisme (toujours plus de matériaux - cfr. conservatisme mécanistique avant l'entropisme thermodynamique), colonialisme (toujours plus d'espace exploitable), natalisme (toujours plus de main d'œuvre), …
  • Logicité (les règles et normes) : financiarisme (tout ce qui n'est pas monnayable, ne vaut rien), idéologisme (le monde idéal n'est pas le monde naturel), hiérarchisme (en tout, l'ordre linéaire et mécanique prime : centralisme, bureaucratisme, fonctionnarisme, centralisme, …), …
  • Constructivité (le fonctionnement) : industrialisme (produire tout à bas prix et à haut rendement – la qualité importe peu), technologisme (faire preuve, en tout, d'ingéniosité, en ce compris dans et pour la révolution numérique), individualisme (chacun pour soi), parasitisme (tout est bon à prendre), ….

 

Dans la période chaotique que nous vivons, tous ces piliers de la Modernité sont attaqués, critiqués, saccagés, voire détruits. Mise à mort de la Modernité afin de permettre la naissance – l'émergence – du nouveau paradigme …

Depuis 2020 et pour quelques années encore, nous vivons cette œuvre de sape généralisée qui exprime bien le chaos inter-paradigmatique.

 

Les ruptures du chaos.

 

Certains disent que, depuis la crise du COVID (2020-2021), rien ne va plus dans le monde.

D'autres, moins myopes, pointent l'effondrement de l'URSS en 1989, et/ou la disparition de Mao-Tsé-Toung .(1979) ou, plutôt, celle de Deng Xiaoping (1990).

Quoiqu'il en soit, la fin des "trente glorieuses" (1975) sonna le glas de la Modernité triomphante et ce, dans toutes les contrées du monde.

Et avec la Modernité, ce sont tous ses idéaux passablement infantiles, écrasés par deux guerres mondiales effroyables, qui sont passés, peu à peu, à la moulinette. Récapitulons …

 

Le nihilisme, déjà très présent depuis la fin du 19ème siècle (lorsqu'il s'appelait encore "anarchisme"), s'amplifia avec la montée des différents socialo-marxo-gauchismes (surtout après 1968) mettant fin aux idéaux de la réussite sociale par l'argent. La relation ancestrale entre l'argent et le travail fut rompue. Les assistanats fleurirent. L'intention première n'était plus de travailler beaucoup pour gagner beaucoup d'argent afin de consommer beaucoup. Le consumérisme devint la forme vulgaire et populaire du nihilisme. On inaugura le nombrilisme et l'éradication de toute forme d'Intentionnalité. "No future" devint un slogan non seulement punk, mais s'installa comme normalité quotidienne : travailler moins pour avoir le temps de consommer plus … avec ce que cela induit comme recours aux aides, aux subventions, aux subsides, et à tous ces assistanats qui permirent aux règlements, aux normes, aux bureaucraties et aux fonctionnariats de proliférer et de paralyser complètement l'économie productive et innovante.

Ce ne sont plus les gouvernants (élus dans les démocraties ou autoproclamés dans les dictatures) qui dirigent les pays, mais les fonctionnaires, tous à très courte vue et à très faible intelligence.

Sans Intentionnalité marquée et claire, l'humanité est une mécanique en roue libre qui va où elle veut – ou, plutôt, où elle peut – poussée par la loi soit du moindre effort, soit par la loi du pus violent, de plus belliqueux, du plus mégalomane.

 

La Corporalité de l'humanité a évolué sur ses deux faces. Du point de vue spatial, elle a appliqué à la lettre l'idée de Descartes de devenir "maître et possesseur" de la Nature entière, faisant basculer la Terre dans l'ère de l'anti-écologie : dérégulations massives des forêts, des océans et de l'atmosphères, pollutions terrifiantes, notamment par les plastiques, destructions massives et massacres d'écosystèmes avec d'effroyables pertes de biodiversités, épuisement progressif, mais accéléré, de tous les gisements de ressources que des millions d'années d'histoire géologique avait patiemment accumulés, En 150 ans (1850 – 2000), 80% des gisements de ressources terrestres ont été consommés et sont partis en fumées (gaz, pétrole, charbon, nappes phréatiques, minerais, terres arables, …).

Voilà pour les ressources naturelles. Quant aux ressources humaines, elles suivent une exponentielle effrayante. La Terre portait 2 milliards d'humains vers 1925 ; elle en portera 10 milliard en 2050.

L'équation thermodynamique de l'ensemble est simplissime : la destruction des ressources naturelle est le produit du nombre des consommateurs par la quantité détruite par consommateur.

La solution est, elle aussi, simplissime : il faut diminuer d'urgence le nombre des consommateurs (des humains sur Terre, donc) et la consommation individuelle moyenne par humain.

Cela porte deux noms très simples, mais vitaux : dénatalité et frugalité.

Les calculs thermodynamiques montrent que si l'on veut préserver pour tous un standard de vie équivalent à celui des classes moyennes non dispendieuses, la population humaine mondiale doit retrouver son niveau de 1925, soit 2 milliards d'individus et le garder. Cela signifie que le taux de fécondité net moyen, partout sur la Terre, doit descendre sous le seuil des 1,31 enfants vivants par femme partout dans le monde (surtout dans les populations noires et musulmanes qui sont aujourd'hui les championnes du monde de la procréation).

 

Toute la Logicité du monde de la Modernité état portée par deux concepts-clés : le politisme (pour le principe) et l'économisme (pour la mesure de l'efficacité du politisme en place).

En gros, tout politisme engendre un système de gouvernance (démocratisme, bureaucratisme, idéologisme, autoritarisme, totalitarisme, …) qui met en place une politique générale et les lois, règles et normes qui vont avec, et son efficacité est évaluée au moyen des performances macroéconomiques (produit national ou intérieur brut, taux de chômage, balance des paiements, niveau d'épargne, couverture immobilière, budget des centres d'enseignement et/ou de recherche, productivité agricole et/ou industrielle, etc …).

Si, durant la seconde moitié du 20ème siècle, l'évaluation économique fut assez semblable dans presque toutes les contrée du monde (le Fonds monétaire International ou l'Organisation Mondiale du Commerce n'y furent certainement pas étrangers), le politisme durant toute la Modernité fut marqué par les Nationalismes (surtout depuis le début du 19ème siècle) et par les Idéologismes (sur un spectre large allant de l'extrême-gauche socialo-communiste, marxiste ou non, à l'extrême-droite autoritariste, militariste ou non).

Il faut ici rappeler que, par définition, une idéologie refuse le Réel tel qu'il est et tel qu'il va, et veut imposer sa vision de l'humain idéal dans une société idéale qui n'existe pas (et n'existera jamais). Face aux idéologies toutes plus idéalistes les unes que les autres, se dresse le libéralisme dont le réalisme affirme que seul fonctionne son culte de l'autonomie personnelle et collective et que le seul rôle de l'Etat est de garantir ces autonomies dans leur respect réciproque.

L'énormité des horreurs du 20ème siècle a démontré que tous les idéologismes tyranniques ne peuvent se maintenir que par une violence qui coûte très cher en tout et finissent par ruiner le pays (cfr. le fascisme, le nazisme, le marxisme-léninisme, le maoïsme, …) et que les idéologismes démocratiques ne peuvent se maintenir que par un démagogisme et un électoralisme forcenés qui conduisent le pays à la faillite (cfr. socialisme, conservatisme religieux ou non; …). Nous en sommes à ce constat, aujourd'hui.

 

Enfin, la Constructivité moderne a généralisé l'idée d'industrialisme c'est-à-dire au recours forcené à toutes les technologies pour produire, en grande quantité et au moindre coût, des produits de médiocres qualités.

Loin de nous l'idée d'un rejet pur et simple de l'industrialisme et du technologisme, mais notre conviction est que des alternatives complémentaires et interdépendantes sont plus que souhaitables … surtout depuis la grande révolution numérique. Car il faut le dire haut et fort, en suivant de près la loi de Gabor : tout ce qui est robotisable, sera robotisé et tout ce qui est algorithmisable sera algorithmisé (que cela plaise ou non, que cela lèse ou non, des privilèges ou des chasses-gardées). Cela implique donc une déplacement notable du centre de gravité des activités humaines que la Modernité est incapable d'envisager et de penser.

 

On constate alors, sans forcer le trait, que tous les piliers sur lesquels reposait la Modernité s'effondrent ou se sont effondrés. Un nouveau paradigme doit ainsi émerger de toute urgence si l'on ne veut pas voir des poutiniens, des talibans, des islamistes, des narcotrafiquants, des tyranneaux d'opérette, des rois nègres (sans rapport avec leur couleur de peau), des corrompus pourris, et des malfrats continuer à faire du chaos inter-paradigmatique un fonds de commerce aussi juteux qu'infâme.

Ainsi, le titre de ce travail pose la vraie question : comment vivrons-nous ensemble dans ce nouveau monde d'après la Modernité ?

Ce n'est pas la première fois que cette question se pose.

La fin des Cités grecque a induit l'Empire romain.

La fin de l'Empire romain a induit le Monachisme chrétien.

La fin du Monachisme chrétien a induit la Catholicité féodale.

La fin de la Catholicité féodale a induit la Technicité moderne.

Et celle-ci meurt sous nos yeux. Qu'induira, qu'impliquera, qu'engendrera cette mort paradigmatique dont nous vivons les effets chaotiques et néfastes tous les jours. 

 

La courbe verte qui vient.

 

Reprenons, dans le même ordre les cinq piliers de la construction du processus et d'un système paradigmatique humain. Et tâchons de voir quelles sont les pistes exploitables pour, d'une part, sortir de la phase chaotique actuelle et des centaines de milliers de morts plus ou moins violentes qu'elle engendre, et pour, d'autre part, proposer de nouveaux piliers qui pourraient assurer un nouveau départ pour, au moins, le demi-millénaire qui s'ouvre.

 

Intentionnalité :

 

Quel est le sens de l'humain ? A quoi sert-il ? Quelle est sa vocation sur Terre, dans l'Univers, dans le Cosmos ? Qu'est-ce qui peut lui donner sens et valeur ?

Au service de quoi l'humain est-il ?

Longtemps, les humains se sont inventés des concepts : la Cité, l'Empire, les dieux, Dieu, l'Eglise … ; peu importait leur crédibilité intrinsèque pourvu qu'ils fussent rassembleurs et susceptibles de fonder des lois.

Avec la Renaissance européenne et l'avènement de l'humanisme, l'humain se mit au centre de sa propre histoire et, un à un, sapa les concepts sur lesquels la vie commune s'était élaborée durant des millénaires.

L'humain devint mesure de toute chose. L'humain, de relatif qu'il était à ce qui le dépassait, devint son propre absolu … Il se sanctifia. Il se sacralisa. La déclaration des Droits de l'Homme de 1948 en fut l'apothéose.

Mais qu'est-ce qu'un individu parmi l'Humanité ? Et qu'est-ce que l'Humanité  sur Terre (l'écologie en a bigrement démontré la fragilité et le dérisoire) ? Et qu'est-ce que la Terre dans le système solaire ? Et qu'est-ce que le Soleil dans la Voie Lactée ? Et qu'est-ce que la Galaxie dans son Amas et cet Amas dans le Cosmos ?

Rien ! Insignifiance !

De l'insignifiance montée en absolu ! Il fallait l'oser. Et l'o a appelé cela la "philosophie des Lumières" … et aujourd'hui, pour reprendre le sous-titre d'un excellent livre de mon ami Michel Maffesoli, : "Les Lumières sont éteintes".

 

La conclusion est simple : alors ?

D'un côté, les anciennes recettes sont éculées, usées jusqu'à la moëlle et la corde qui a pendu tant de réfractaires : des anciennes religions triomphantes, il ne reste que quelques bigots et quelques reliques, et des anciens empires, il ne reste que des nostalgies malsaines (voir Poutine, Xi-Jinping, Erdogan, al-Baghdadi, Trump, Orban, …).

De l'autre côté, l'humain ne peut pas être son propre "dieu" ; il est trop faible, trop ignorant, trop fragile, trop stupide, trop infantile pour cela.

Alors ?

 

D'un côté, les mythes.

De l'autre, l'Humain.

Des deux côtés : l'impasse. Alors ?

Donc ni mythocentrisme, ni anthropocentrisme ; que reste-t-il ? le cosmocentrisme !

 

 

Je crois profondément qu'il existe deux grandes voies mystiques : celle du Salut (dualiste car le Salut est dans un autre monde) et celle de l'Accomplissement (moniste car il s'agit de l’accomplissement du Réel auquel appartient totalement le monde naturel qui est le seul et qui est le nôtre).

 

La voie du Salut dans un autre monde, née sans doute dans la religion égyptienne ancienne, est profondément celle du christianisme paulinien (reprise par une part du rabbinisme tardif, malgré la Torah qui, comme le lévitisme et le saducéisme, ne croit ni en l'immortalité de l'âme personnelle, ni en un autre monde, ni au Jugement, ni au Salut - qu'y aurait-il donc à sauver ?), mais elle est aussi celle de l'islamisme et, en Franc-maçonnerie, celle du Rit (sic) Ecossais Rectifié (rite christique par essence, héritier de la Stricte Observance Templière - les mots parlent d'eux-mêmes).

La voie de l'Accomplissement, elle, est celle des spiritualités asiates (hindouisme et taoïsme, en tête) et, en Franc-maçonnerie, celle du Rite Ecossais Ancien Accepté (fort inspiré par les transmutations alchimiques du vil en noble) et du Rite Français ou Moderne (très parallèle, philosophiquement et historiquement, avec le REAA).

 

La voie du Salut passe par le refus du monde naturel et par les idées de rédemption et de messianité salvatrice.

La voie de l'Accomplissement passe par l'assomption radicale du monde naturel (le Réel qui est Tout-Un) et les idées de cheminement initiatique et spirituel, tout intérieur, visant à l'union entre la personne (l'âme personnelle en tant que ce qui anime - anima - l'existence) et le Réel  dans sa globalité et dans sa réalité (le Réel est animé, de l'intérieur, par le Divin immanent qui est l'Âme cosmique et qui donne sens et valeur la totalité de ce qui existe).

 

Ces deux voies (celle du Salut et celle de l’Accomplissement) sont totalement incompatibles entre elles (comme le dualisme et le monisme).

Mon adhésion à la voie de la spiritualité de l'Accomplissement est totale et radicale ; je l'appelle la Cosmosophie (moniste, spiritualiste, panenthéiste,  immanentiste, évolutionniste, réaliste (anti-idéaliste donc), héraclitéenne, spinoziste, nietzschéenne, bergsonienne, etc ...).

 

 

Tout ce qui existe a vocation intime et profonde, intrinsèque et naturelle, innée et universelle, de contribuer à l'accomplissement du Réel au travers de l'accomplissement de soi et de l'autour de soi.

 

Faire du bien, c'est favoriser cet accomplissement et cela procure de la "joie" ; faire du mal, c'est le contrecarrer, voire l'empêcher, et cela induit de la "souffrance".

La contribution à l'accomplissement peut être fortuit (reçu, subi) ou construit.

 

La force de construction de l'accomplissement s'appelle le vertu.

La force de destruction de l'accomplissement s'appelle le vice.

 

La plupart des humains attendent, espèrent, désirent ou rêvent que leur accomplissement sera fortuit, sans effort de leur part, par la magie des idéologies politiques ou des religions théistes ; ils sont alors installés dans la servitude volontaire. Ils jouent sur la pitié, la charité, la commisération ; ils ne méritent que mépris. Ces humains-là ne sont que des parasites du Réel.

 

Les autres, ceux qui on compris que la "joie" et la "souffrance" sont des constructions mentales volontaires, pratiquent soit la "vertu" de bonté et construisent de la "joie", soit le "vice" de méchanceté et construisent de la "souffrance" (la jouissance destructive des frustrés, des jaloux, des envieux, des sadiques, des toxiques, des bourreaux, …).

 

L'éthique, alors, consiste à ne pratiquer exclusivement que la vertu de bonté pour contribuer à l'accomplissement du Réel au travers de l'accomplissement de soi et de l'autour de soi.

 

Au fond, l'humanité est tripartite : il y a une grande majorité de parasites, il y a la secte des toxiques (les malfaisants) et il y a l'aristocratie des constructeurs.

Ces trois catégories, quoique bien profondes, ne sont pas totalement étanches et il peut arriver d'y voir des transfuges, momentanés souvent, par coup du sort ou par erreur, généralement.

 

Pour le dire d'une seule phrase : il faut remette l'humain au service de l'évolution et de l'accomplissement du Cosmos, du Réel, du Un-Divin-Tout (la philosophie appelle cela le panenthéisme) ; ce Réel qui nous engendre et dont nous sommes touts une émergence et une manifestation singulière et particulière, est l'océan dont tout ce qui existe – l'humain compris – n'est qu'une vaguelette infime et éphémère.

Cela et cela seul, peut redonner sens et valeur à l'existence humaine : accomplir le Réel en soi (s'épanouir soi-même vers le haut) et autour de soi (c'est cela et cela seulement "aimer" son prochain) et contribuer ainsi au bel Accomplissement du Réel pris comme un Tout-Un vivant qui, en tout, évolue vers sa propre plénitude.

 

Corporalité :

 

Mais quittons à présent le domaine de la métaphysique, de la spiritualité et de la philosophie pour celui de l'anthropologie.

Biologiquement, les humains sont à peu près semblables, à quelques détails superficiels près.

Mais géographiquement, sociologiquement et culturellement, ils ne le sont pas du tout.

On dit que tous les humains sont égaux ! Rien n'est plus faux. Dans le monde réel, rien n'est l'égal de rien, tout est unique et rien n'est identique à quoique ce soit. Partout n'existent que d'irréductibles différences qui font la vraie richesse du monde.

 

La Modernité a tout fait pour nier ces différences et inégalités foncières (au mépris total de ce que le thermodynamicien que je suis, sait parfaitement depuis longtemps : l'égalité, c'est l'homogénéité, c'est l'uniformité, c'est l'entropie maximale et, donc, c'est la mort !

Mais il est vrai que le principe d'égalité, imposé par la Modernité est bien commode car quoi de plus difficile et complexe que de tenir compte de toutes les différences.

Mais aujourd'hui, la coupe est pleine. Le principe d'égalité ne fonctionne plus (s'il a jamais existé en dehors des déclarations académiques et des discours gauchisants).

Aujourd'hui, le wokisme a pris, au départ des universités américaines en "sciences humaines", le contre-pied radical de principe d'égalité en s'appuyant dessus jusqu'à le rompre : un Noir n'est pas un Blanc, un homme n'est pas une femme, un homosexuel n'est pas un hétérosexuel, un islamiste n'est pas un chrétien, un riche n'est pas un pauvre, un urbain n'est pas un paysan, un droitiste n'est pas un gauchiste, et … un wokiste est tout sauf un égalitariste.

 

La Corporalité humaine implique trois questions majeures :

  • La répartition des ressources naturelles dans l'espace et, surtout, crise aidant, dans le temps,
  • La répartition culturelle des humains sur l'espace terrestre,
  • La répartition relationnelle entre les humains.

 

Concernant la répartition des ressources, n'y revenons pas trop, l'essentiel en a été dit  avec deux mots-clés : dénatalité (atteindre un taux net de fécondité moyen, sur toute la Terre, de 1,31 enfants par femme afin de redescendre sous les 2 milliards (population humaine totale en 1925) avant 2200 et frugalité (ne consommer que ce qui est réellement et véridiquement utile et indispensable afin tous vivent une bonne vie joyeuse sans aucun excès d'aucune sorte et pratiquer le recyclage systématique autant que faire se peut). En revanche, se méfier comme de la peste des solutions technologiques miraculeuses ; elles n'existent pas ; la thermodynamique sait depuis longtemps la loi des rendements décroissants et que faire beaucoup avec peu est un leurre. Ainsi, la voiture tout électrique (e, lieu et place du non-déplacement, les éoliennes et les panneaux photovoltaïques qui sont des calamités écologiques, ou les pompes à chaleurs qui, comme les voitures électrique et les éoliennes exigent la mise en route d'une foule de nouvelles centrales électriques un peu partout, sont autant de fausses bonnes idées ! Et il y en a ainsi des bibliothèques entières !

La frugalité, ce n'est pas produire autrement ! La frugalité, c'est consommer beaucoup moins !

 

Trois problèmes majeurs doivent être envisagés et résolus dans ce cadre :

  • La dénatalisation induit un vieillissement moyen de la population (mais aussi une consommation globale largement moindre – ce qui implique de revoir de fonds en comble les indicateurs de bonne santé macroéconomique, le PIB ne signifiant plus rien) qui implique un déplacement conséquent de l'âge de la retraite, un effort considérable (plus d'organisation et de prévention que de coûts) sur les soins de santé, et une révision complète de la problématique de l'euthanasie et du suicide assisté, loin des morales archaïques ;
  • la transformation intelligente et efficace des espaces notamment immobiliers, désertés par une population diminuante ;
  • l'accélération adéquate de la robotisation et de l'algorithmisation des tâches nécessaires (et seulement de celles-là, loin du tape-à-l'œil technologique ou ludique) afin de pallier le manque de bras humains.

 

Concernant la a répartition culturelle des humains sur l'espace terrestre,, il est indispensable de constater, une bonne fois pour toute, la mort du vieux rêve moderniste de la mondialisation. Le monde humain n'est ni un, ni uni, ni unitaire, ni unitif. Depuis des millénaires, des cultures humaines très différentes se sont partagées les espaces vivables et ont chacune construit leur petit bonhomme de chemin avec, pendant longtemps, peu de contacts et d'échanges avec les autres foyers culturels.

 

Inutile de se voiler la face – et les banlieues de toutes les grandes villes nous le rappellent chaque jour – ces cultures sont très différentes et sont parfois largement incompatibles entre elles. Nous avons aujourd'hui affaire avec huit continents qui, longtemps, furent aussi géographiques, mais qui le sont moins aujourd'hui du fait des phénomènes migratoires.

Ces huit continents actuels (qui ne correspondent pas tout à fait aux frontières politiques des Etats-Nations concernés) sont :

  1. l'Euroland
  2. l'Angloland
  3. le Latinoland,
  4. l'Afroland,
  5. l'Islamiland,
  6. le Russoland,
  7. l'Indoland
  8. et le Sinoland.

 

On remarquera sans peine que les lieux "chauds" du globe où des conflits, voire des guerres se déroulent, sont placés exactement aux points de frictions "tectoniques" à la jonction de ces grands continents culturels :

  • l'Ukraine (et quelques autres) entre Euroland et Russoland;
  • Israël entre Euroland et Islamiland,
  • le Tibet entre Indoland et Sinoland
  • Taïwan entre Sinoland et Angloland,
  • le Mexique entre Angloland et Latinoland,
  • la Mongolie entre Sinoland et Russoland,
  • le Mali entre Islamiland et l'Afroland,
  • Etc ...

 

Le tableau ci-dessous indique, très succinctement et subjectivement, je le reconnais, les forces et faiblesses relatives de ces huit continents culturels ;

 

Continent

Ressources matérielles[1]

Ressources humaines[2]

Ressources immatérielles[3]

Bilan

 

Euroland

++

+++++

+++++

12

 

Angloland

+++

+++

++++

10

 

Indoland

+++

+++

++++

10

 

Islamiland

+++++

+

+

7

 

Sinoland

+

++++

++

7

 

Russoland

+++

+

++

6

 

Afroland

++++

+

+

6

 

Latinoland

+++

+

+

5

 

 

On comprend donc que l'actuelle logique de conquête est absurde que les différences entre cultures et continents culturels appellent la construction de belles complémentarités et de fructueuses interdépendances, mais exigent une régulation stricte des flux migratoires, sous peine de métissage dévalorisant, au mieux, ou de violences de contact (comme dans certaines banlieues) au pire … voire de guerres pures et simples.

 

Concernant la répartition relationnelle entre les humains, une notion "nouvelle" refait surface pour répondre à la question : comment les humains se regroupent-ils ? et quelles sont les affinités motrices de ces regroupements (plus sur la Toile que sur le sol) ?

Ces regroupements, pour ressusciter un joli mot devenu désuet est "confrérie".

Chaque continent culturel va devenir un réseau de confréries locales ou numériques, et des ponts multiples, y compris interculturels, vont peu à peu s'établir entre eux.

 

Voyons deux définitions de "confrérie" données par deux dictionnaires en ligne.

Le "Trésor de la Langue Français" (Académie française) nous dit ceci : "Ensemble généralement restreint de personnes unies par un lien commun, professionnel, corporatif ou autre".

Alors que le Wiktionnaire déclare : "Compagnie de personnes associées pour quelque objet".

 

La notion de confrérie appelle tout à la fois, mais dans leur sens étymologique, les mots "fraternité (né de même mère et de même père, ces deux pouvant être des concepts totalement abstraits) et "communion" (du latin cum munire : "construire ensemble").

En somme, une confrérie se reconnait une ascendance commune (des racines ancrées dans la mémoire du passé) et un projet commun (des chemins d'accomplissement commun, tournés vers le futur).

Longtemps, la "confrérie" de base a été la "famille" ; ce n'est plus le cas du fait des divorces et recompositions à foison.  L'évolution de la Toile et des "réseaux dits sociaux" montrent ce manque de confraternité, mais n'en fournit que des ersatz médiocres et trompeurs, voire franchement manipulateurs et destructeurs.

Les exemples de confréries qui fonctionnent bien, ne manquent pas aujourd'hui, qu'elles soient professionnelles (les Compagnons du Devoir), spirituelles (la Franc-maçonnerie régulière), religieuses (les Ordres monastiques), artistiques (les Académies), ludiques (les Clubs), philanthropiques (Rotary, Kiwanis et autres), universitaires (les Alumni), militaires (les Anciens), etc …

Mais il est évident que les confréries de demain restent totalement à réinventer sur d'autres canevas tant en termes d'ascendance que de projet.

 

Logicité :

 

Le problème posé est celui des nouvelles règles du jeu humain sur Terre après l'effondrement irréversible des logiques propres à la Modernité (universalisme, nationalisme, égalitarisme, droit-de-l'hommisme, mondialisme, financiarisme, industrialisme, consumérisme, etc …).

Tout changement de paradigme est un point de bifurcation qui, au travers d'une période chaotique, constate l'effondrement du paradigme "d'avant" dont les mécanismes de régulation ne fonctionnent visiblement plus nulle part, et l'émergence du paradigme d'après dont les principes de régulation ne sont pas encore ni inventés, ni opérationnels.

Ce sont de ces nouveaux principes de régulation pour demain dont il nous faut parler maintenant. Quelle Logicité sur la courbe verte qui vient ?

 

La Modernité a été la championne, toutes catégories, de l'invention des idéologies en tous genres : royalisme, révolutionnarisme, socialisme, anarchisme, marxisme, fascisme, communisme, nazisme, capitalisme, financiarisme, démocratisme, étatisme, bureaucratisme, et j'en passe et des meilleures …

Mais force est de constater que toutes ces idéologies, quelque séduisantes puissent-elles être intellectuellement, ont toutes, sans exception, échoué à assurer leurs promesses et à tenir leur contrat.

La grande leçon à tirer de ces cinq siècles d'histoire idéologique, est qu'il faut renoncer définitivement à tout idéologisme, donc à toute idéologie, à tout idéalisme et à tous les idéaux.

Le Réel ! Tout le Réel ! Rien que le Réel !

L'humain idéal n'existe pas et n'existera jamais. La société idéale n'existe pas et n'existera jamais !

Alors, que faire ?

 

Accepter radicalement les lois fondamentales qui président à l'évolution de n'importe quel processus complexe, société humaine comprise. Cesser de réinventer sans cesse le monde et assumer la réalité du Réel. Je voudrais proposer, ci-dessous, quatre pistes.

 

Adopter la seule attitude politique qui soit anti-idéologique et qui accepte et assume le Réel tel qu'il est et tel qu'il va : le libéralisme au sens initial et fondamental de cette "doctrine" qui n'en est pas une.

Le libéralisme, dans son sens profond et originel, ne propose que deux pistes principales :

  • Dépasser tous les égalitarismes et tous les inégalitarismes en acceptant ce fait d'observation que tout ce qui existe – donc, aussi, chaque humain – est unique et donc différent de tous les autres. Considérer ces différences natives et profondes comme des richesses inouïes et favoriser, par tous les moyens, leur développement maximal et leur rencontre afin que se construisent toutes les complémentarités et toutes les interdépendances (sans ni indépendance, ni dépendance).
  • Affirmer que la loi de base la plus élémentaire et la plus fondamentale est celle de l'autonomie comme mode de fonctionnement intérieur (liberté de pensée, de croyance, de conviction, d'opinion, etc …) et de fonctionnement extérieur (liberté d'entreprendre, de parler, d'écrire, de créer, de construire, etc …). Faire de l'autonomie personnelle et collective la règle de base de toutes les confréries humaines, règle universelle, garantie fermement dans et par chacun des huit continents culturels humains (ce qui est loin d'être le cas, actuellement, dans les contrées pourries par l'illibéralisme), mais à la condition expresse et non négociable que l'autonomie de chacun ne nuise jamais à l'autonomie d'un autre, sans son accord expresse.

A ces trois lois essentielles et fondamentales, toutes trois conséquences d'un constat évident : l'humanité évolue par sauts de complexité.

A chaque bifurcation paradigmatique, le monde perd de sa mécanicité et gagne en complexité ce qui implique que les régulations mécaniques et analytiques fonctionnent de moins en moins bien et appellent des régulations nettement plus organiques et holistiques.

 

La première de ces lois précise que plus un système (ou processus) devient complexe, moins les régulation de nature hiérarchique fonctionne. Ce constat, presque toutes les entreprises l'ont fait depuis plus de quarante ans. Mais, sur le flanc politique, il est devenu quasi aussi évident que l'étatisme, le bureaucratisme et le fonctionnarisme ne fonctionnent plus les normes, règlements et procédures imposées par les institutions étatiques ne résolvent plus rien et alourdissent tout (j'allais écrire : "et nous abrutissent tous").

Le temps du hiérarchisme est révolu. Place au réticularisme. Le fonctionnement en réseau est en train de devenir la règle. Définissons : un réseau est un ensemble de petites entités autonomes, en interactions permanentes et réciproques entre elles, et fédérées par un projet fort commun.

Ainsi, tel sera le fonctionnement de base de toutes les confréries faisant réseau sur la Toile ou sur les continents culturels.

 

Le deuxième de ces lois implique de faire une différence de plus en plus profonde et forte entre le "prix" et la "valeur" … des choses, des gens, des services, des œuvres, des produits, des idées, des concepts, …

Et dans la notion de valeur, il faut encore distinguer la valeur d'utilité (est-ce vraiment utile ou simplement superflu ? – cfr. frugalité), la valeur d'usage (quel sera la durabilité de cet usage ?) et la valeur d'utilisabilité (est-ce utilisable efficacement et aisément ?).

Le mercantilisme et le financiarisme ambiants se moquent de la valeur (de la qualité, de la durabilité, de la recyclabilité, …) : il faut vendre au plus vite, en quantité et à tout … prix.

Presque toute la communication promotionnelle, sur les médias, ne parle que de prix … Qu'ils soient rassurés, les pénuries de ressources et le vieillissement des populations induiront une diminution sensible des pouvoirs d'achat (diminution qui a déjà commencé sérieusement depuis des années). Raison de plus pour vendre de la valeur et non du prix ! Oui, c'est plus cher, et alors, pourvu que l'utilité, l'usage et l'utilisabilité soient au rendez-vous.

 

La troisième de ces lois est peut-être plus philosophique et veut anéantir cette vieille baudruche dualiste factice entre individualisme et collectivisme.

Il n'y a aucun choix à faire là : l'autonomie est, à la fois, personnelle et collective. Faire en soi et pour soi ; faire avec les autres et pour les autres. Les deux versants appartiennent à la même réalité vivante. Il n'y a pas à choisir. Je ne peux m'accomplir qu'en moi et par moi et pour moi, mais cela m'est impossible si mon accomplissement ne nourrit pas aussi celui de l'autour de moi. C'est la loi de l'autonomie : il est impossible de vivre en autonomie sans vivre en complémentarité et en interdépendance avec l'autour de soi. Même si l'on s'appelle Robinson Crusoé (surtout si l'on s'appelle comme ça et que l'on est perdu seul sur une île dont toute sa propre (sur)vie dépend crucialement).

 

Constructivité :

 

On a parlé de sens et de la valeur à donner à la Vie (l'Intentionnalité qui vise à "désidéologiser" foncièrement et à remettre les humains pleinement dans le Réel, au service exclusif de la Vie et de l'Esprit, au travers d'une respiritualisation de l'existence au travers de ce que les philosophes appellent un panenthéisme (Tout est dans le Divin ; le Divin est en Tout).

On a parlé des territoires de vie (la Corporalité des continents culturels, des réseaux de confréries et des frugalités de ressources dans l'optimisation de la dialectique entre économie humaine et écologie naturelle).

On a parlé règles de bonne vie (la Logicité de l'autonomie personnelle et collective, dans le respect réciproque de celle des autres et avec la garantie indéfectible des continents culturels; et celle de la primauté de la valeur (utilité, d'usage et d'utilisabilité) sur le prix vénal).

 

Il nous reste à parler de la mise en œuvre de tous ces principes dans la vie réelle, dans la vie de tous les jours ; il nous reste à parler des pratique de Constructivité.

Comment construire réellement, véritablement et durablement le monde des humains sur base de cette Intentionnalité, de cette Corporalité et de cette Logicité ?

 

Première idée : voir en face la révolution numérique sans sombrer dans le fantasme ni de la soi-disant "intelligence artificielle (qui n'existe pas !) et qui prendrait le pouvoir sur une humanité réduite en esclavage : laissons cela aux fantasmes diaboliques et infantiles de la science-fiction.

Est-ce à dire que cette révolution numérique est banale et sans danger ? Certainement pas, elle l'est tout autant que toutes les autres grandes révolutions technologiques qu'a connues l'humanité depuis la roue et la force nucléaire en passant par le moteur, l'électricité, les plastiques, les antibiotiques ou les capotes anglaises …

La révolution numérique contient, en elle, une énorme puissance de libération ET une énorme puissance de manipulation. Pour téter goulûment le sein de la libération et rejeter radicalement celui de la manipulation, une seule voie : développer le sens critique par l'éducation et l'enseignement.

Aujourd'hui, l'enseignement est devenu une vaste usine à fabriquer des crétins gobe-tout qui savent à peine lire, écrire et compter (cfr. les multiples enquêtes PISA depuis des années),qui se désintéressent fondamentalement des sciences, de la connaissance, de l'histoire, de la géographie et de la philosophie, mais qui passent de 3 à 5 heures par jour (et nuit) sur ces plateformes psychotiques et abrutissantes appelées "réseaux sociaux". Ce n'est pas le numérique qui abrutit et abêtit les humains de demain, mais bien leur propre bêtise et leur propre ignorance.

 

Deuxième idée déjà abordée et reliée à la loi de Gabor : tout ce qui est robotisable, sera robotisé et tout ce qui est algorithmisable sera algorithmisé. Et c'est très bien ainsi. Cela déplace le centre de gravité du travail humain (sans détruire d'emploi, bien au contraire : toutes les révolutions technologiques du passé ont eu les mêmes craintes d'éviction de l'humain et ont vu, tout au contraire, l'explosion de nouveaux métiers).

Mais cela oblige l'humain à poser une lourde question : que suis-je capable de faire que jamais un ordinateur ne pourra faire à ma place ?

N'oublions jamais qu'un ordinateur est une machine électromécanique qui n'est capable de faire qu'une seule chose : ajouter des zéros et des uns. Et elles les ajoutes en suivant, ligne par ligne, instruction par instruction, signe par signe un programme qui a été conçu, écrit et encodé par un humain. C'est dans le programme qu'est l'intelligence, pas dans le calcul !

De plus, l'ordinateur est une machine (et n'est qu'une machine malgré toutes les anthropomorphisations puériles dont la science-fiction nous gave) purement analytique et séquentielle, ce que n'est pas du tout la vie complexe réelle qui, elle, est holistique et intriquée. L'esprit humains, en général, et le cerveau humain qui n'est qu'un de ses multiples organes, n'est jamais analytique ou séquentiel et c'est précisément cela qui fait sa force et sa puissance. Il est capable de sentir et de gérer des sentiments, des intuitions, des imaginations, des sympathies, des ambiances, des attitudes, des atmosphères, … ce qu'un ordinateur, analytique et séquentiel, programmé; et répétitif ne pourra jamais faire.

Il est donc temps que tous nos systèmes éducatifs soient revus de fond en comble : il faut viser non plus les "savoirs" ('Marignan 1515, Napoléon empereur, Einstein inventeur de la relativité générale en 1916, … ; tout cela, le plus stupide des dictionnaires, numérique ou pas, le sait), mais il faut viser la "connaissance" (quel était l'enjeu géopolitique de la bataille de Marignan ? pourquoi Napoléon, le mégalomane belliciste, a-t-il voulu se sacrer "empereur d'opérette ? Que change radicalement la "relativité générale" dans notre perception et notre compréhension du cosmos et de notre vie sur Terre?)

Les "savoirs" sont des collections quasi-philatéliques d'éléments déconnectés les uns des autres et là, l'ordinateur est beaucoup plus fort que nous du fait de son immense puissance mémorielle … et de plus, son incroyable puissance de calcul nous ridiculise en manipulant des quantités inimaginables d'informations élémentaires en une fraction de seconde.

En revanche, la "connaissance" est structurelle, interactionnelle, architecturale, organisationnelle, intriquée, enchevêtrée, redondante et contradictoire, …Elle est, pour reprendre ces mots, "organique" et "holistique" c'est-à-dire inaccessible aux moyens numériques qui, ne l'oublions jamais, ne font jamais, au travers de programmes inventés par des humains, que simuler certaines fonctions intellectuelles (analytiques et séquentielles) sans jamais en comprendre les tenants et les aboutissants.

 

Troisième idée … Disons-le tout net : nous nous dirigeons tout droit vers la fin du salariat. (et donc de la notion de contrat d'emploi, de droit du travail, de salaire, de forces syndicales, d'organisations patronales, de prime, de retraite obligatoire, de subventions, de chômage, de congés vacancier, parental, médical, etc …).

Le salariat, rappelons-le, a été une immense victoire sociale et un mode de fonctionnement indispensable exigé par le développement des activités industrielles qui devaient déprécariser les va-et-vient des embauchages et débauchages, ainsi que les sautes d'humeur en matière de rémunération des ouvriers.

Il fallait stabiliser et contractualiser, tant pour les entreprises que pour les travailleurs, la relation les liant.

Mais le contrat d'emploi est aujourd'hui une offense majeure au principe d'autonomie personnelle et collective telle que décrite plus haut. Chacun doit devenir sa propre entreprise, responsable de sa propre formation continue et de son propre savoir-faire, de son propre relationnel, de son propre réseau, de sa propre clientèle, de ses propres collaborations.

Le salariat va disparaître et être remplacé par un indépendantat généralisé (autonomie oblige – il est remarquable de constater que tout ceci reflète déjà l'état d'esprit des jeunes de 15 à 30 ans actuels).

Il ne s'agit cependant pas du tout de précariser les relations de travail et de collaboration (cfr. la notion de "confrérie"). Il s'agit de faire de la relation de travail une relation strictement privée entre un porteur de savoir-faire (personnel ou collectif) et un projet (personnel ou collectif).

 

Quatrième idée : de plus, la révolution numérique, par les robotisations et algorithmisations qu'elle induit, rend, le plus souvent, l'obligation de travailler "sur place" complètement caduque. Le télétravail va devenir la norme. En termes de socialités, de camaraderies, de connivences et d'amitiés, la confrérie va remplacer l'atelier ou le bureau qui n'auront plus guère d'intérêt, sauf pour ceux qui devront en assurer la maintenance et/ou la sécurité.

Le lieu du travail ne sera pas nécessairement "chez soi", mais, le plus souvent, dans de petits "open spaces" locaux, proches des domiciles et équipés de toutes les technologies nécessaires.

On comprend évidemment, tout de suite deux choses positives :

  • la plupart des déplacements et, donc des nuisances, pollutions, consommations d'énergie et pertes de temps qu'ils occasionnent, disparaîtront ;
  • les gros immeubles de bureaux qui polluent et enlaidissent tant nos villes, n'auront plus aucune raison d'exister ; la ville elle-même sera un choix de milieu de vie et non plus une obligation professionnelle (les néo-ruraux ont un bel avenir devant eux).

 

Cinquième idée : plus philosophiquement, le 20ème siècle a été obsédé d'extrémisation, c'est-à-dire de maximisation de tout ce qui était profitable et de minimisation de ce tout qui était néfaste … Et ce fut un désastre. Je pense que les historiens futurs considèreront ce 20ème siècle comme l'un des plus calamiteux de l'histoire humaine avec, sans doute la dogmatisation du religieux au 10ème siècle (et donc le schisme d'orient entre catholicisme et orthodoxie) et les guerres de religion des 14ème et débuts du 15ème siècles soulignés par la naissance de l'Inquisition catholique, les chasses aux "sorcières", les persécutions des "parpaillots" et puis les expulsions des Juifs.

Et l'extrémisation de tout mène forcément aux extrémismes en tous genres : politiques, idéologique, financiaristes, coloniaux, spoliations, exploitations, étatisations, politisations, syndicalisations en tous genres.

Si tu n'es pas extrême, tu n'existes pas.

Il suffit, aujourd'hui, d'observer les extrémismes écolos, gauchos, fachos, … qui sont les seuls que l'on laisse parler et qui, forcément, sont les seuls que l'on entende (le sens critique étant sinon castré, du moins mal vu, surtout lorsque priment le sensationnalisme et les "réseaux dits sociaux").

Or, le loi de la Nature, la loi principale des processus et systèmes complexes, est le rejet systématique des extrêmes (puisqu'ils visent toujours la rupture et la maximisation des tensions). Tout ce qui existe tend (cfr. Ilya Prigogine) à dissiper optimalement le plus de tensions possibles avec priorité données aux surtensions les plus dangereuses.

Et il existe en thermodynamique, donc dans le Réel, deux voies de dissipation des tensions :

  • soit par dilution dans le milieu (c'est le coup de colère qui fait du bien à soi, mais blesse les autres, c'est l'évacuation des déchets dans l'environnement qui peut de moins en moins les accueillir et les recycler, etc …) ;
  • soit la création d'un niveau de complexité supérieure (on récupère positivement les énergies des tensions nocives pour créer une nouvelle architecture innovante) ; c'est toute l'histoire de l'évolution cosmique qui de l'Energie noire fait émerger la Matière qui fait émerger la Vie, qui fait émerger la Vie … ; c'est aussi toute l'histoire existentielle de la pédagogie du petit enfant vers la maturité adulte par sauts de complexité appelés "âge de raison", "puberté", "scolarité", "métier", "procréation", …, "maturité", …

Ce sera une caractéristique profonde de la "courbe verte" qui vient que de toujours chercher l'optimalité et rejetant tous les extrémismes tant maximalistes que minimalistes.

 

Sixième et dernière (pour l'instant …) idée déjà évoquée : cesser le faux dilemme entre intériorisation (spiritualité) et extériorisation (rencontre).

Le Réel est en soi, parfois au plus profond de soi, comme il est hors de soi, parfois au plus loin de soi.

Toute l'existence n'est qu'une immense, délectable et subtile dialectique entre ce "dedans" et ce "dehors" qui se nourrissent mutuellement.

Il faut préserver son intimité.

Il faut cultiver la rencontre.

Il n'y a là aucune contradiction : l'intimité et la rencontre se nourrissent l'une l'autre : ce sont des vases communicants.

Personne ne peut vivre sans aspirer l'air (en oubliant pas de l'expirer aussi), sans boire l'eau (ou le vin ou la bière, mais sans excès), sans manger le pain (ou le chou ou la cuisse de poulet, mais bien préparés), sans aimer le conjoint, l'ami, l'enfant, la forêt, le lac, le vent, la lumière, la douceur, le bon livre, le beau dessin, …

Mais personne ne peut vivre sans AUSSI cultiver son intimité personnelle et indicible, sans prier (même un dieu qui n'existe pas), sans méditer sa vie, ses erreurs e ses réussites, sans chercher sa voie, son accomplissement, son épanouissement, sa joie, sans refuser les plaisirs et les bonheurs que nous offre la vie.

Il faut impérativement bannir tous ces déchirements entre l'intérieur et l'extérieur : chacun de nous n'est qu'une vague particulière et singulière à la surface d'un même océan et c'est la même eau salée qui nous fait et dans laquelle nous baignons !

 

*

*

 

[1] Sols, sous-sols, faunes et flores.

[2] Implication, engagement, travail, entrepreneuriat des populations

[3] Formation, savoir-faire, expertises des populations