Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Equilibre et dissipation des tensions

Lorsque la vision des Anciens et les modèles de la physique se rejoignent …

Les Anciens disaient qu'un humain est fait d'un Corps qui incorpore la Matière, d'une Âme (ce qui "anime", en latin) qui vit la Vie et d'un Esprit qui pense l'Ordre ; le tout bien accordé par le Cœur (cor, cordis en latin), là où tout s'équilibre et s'harmonise.

 

La physique des processus complexes (et l'humain en est bien un) ne dit pas autre chose, même si elle utilise un vocabulaire bien à elle.

Elle dit qu'un processus, c'est d'abord une territorialité, c'est-à-dire un volume encapsulé ou individué, en relation d'intégration et d'échange permanent avec un milieu extérieur.

C'est ensuite une intentionnalité, c'est-à-dire un besoin fort d'accomplir sa profonde raison d'exister, d'une part, mais en préservant et en perpétuant sa propre identité, sa propre nature, sa propre réalité.

C'est enfin une logicité, c'est-à-dire un besoin d'ordonnancement, de cohérence, de règles de vie, mais aussi, à la fois, un besoin de créativité, d'imagination, d'innovation, de surprise.

 

Mais, on le sent immédiatement et on le sait bien dans la vie quotidienne, ces trois pôles sont souvent en contradiction les uns avec les autres. Par exemple, avoir un projet fort, mais n'avoir pas les moyens physiques ou mentaux de le réaliser. Par exemple, avoir besoin de solitude tranquille, mais être incapable de ne pas avoir d'échanges avec le monde. Par exemple, être rassuré par une vie bien ordonnée, bien rigoureuse, mais vivre dans un milieu complètement perturbé et perturbant.

 

Une quatrième instance est donc indispensable pour dissiper au mieux ces tensions contradictoires et revenir au plus près d'un équilibre confortable.

Appelons cette instance - que les Anciens appelaient le "Cœur" - le processus interne de régulation, dont la mission, rappelons-le, est de dissiper optimalement les tensions induites par les contradictions permanentes entre les différents pôles du processus concerné.

 

Si l'on applique tout ceci au fonctionnement de l'esprit humain, il vient assez naturellement que les trois pôles fondamentaux s'expriment de la façon suivante :

 

  • la territorialité s'y manifeste par la sensibilité aux mondes tant intérieur qu'extérieur, sensibilité qui s'exprime de deux manières : la sensitivité analytique des cinq sens physiques, et l'intuitivité holistique qui perçoit globalement la configuration dans laquelle l'esprit se trouve ;
  • l'intentionnalité se manifeste par un sens de la temporalité dans le monde c'est-à-dire par l'accumulativité du passé dans la mémoire, d'une part, et par la volonté d'accomplissement dans le futur, d'autre part ;
  • la logicité, quant à elle, se manifeste par les actes de la pensée, par la réflexivité qui, elle aussi, est tenaillée par deux tendances : la première s'appelle la rationalité qui tend à être la plus logique et cohérente possible, et la seconde s'appelle l'imaginativité qui tend à pallier les manques et les "trous" de l'image mentale que l'on se fait, en inventant tous les fragments utiles.

 

Il reste alors à équilibrer, à harmoniser, à réguler tout cela et à dissiper, optimalement, toutes les tensions dues aux immanquables contradictions qui surgiront entre mémoire et volonté, entre rationalité et imaginativité, entre sensitivité et intuitivité.

Cette instance de régulation s'appelle la conscience qui n'est ni un "lieu", ni un "organe", mais bien un processus de dissipation des tensions mentales.

S'il n'y a pas de tensions, la conscience "s'endort" et tout se passe inconsciemment ; mais que survienne une "souffrance", même ténue, et la conscience s'éveille immédiatement pour y réagir et dissiper la tension causant de ce mal-être.

 

A ce stade, un sérieux paradoxe doit être éclairé : le meilleur moyen d'éviter toute forme de souffrance, c'est-à-dire de tensions contradictoires entre les facultés de l'esprit, c'est de "fermer toutes les écoutilles" : ne rien sentir (apathie), ne rien ressentir (amorphie), ne rien mémoriser (amnésie), ne rien vouloir (atonie), ne rien penser (aphasie), ne rien imaginer (asthénie).

L'esprit alors se ferme et engendre toutes les formes de l'autisme, du plus partiel ou plus total.

C'est ce que l'on appelle la stratégie sphéroïdale du fait que, de tous les volumes géométriques, c'est la sphère qui enferme le plus gros volume dans la plus petite surface de contact avec le monde extérieur. Un processus sphéroïdal vise donc à avoir le moins d'interaction possible avec son milieu ; il est fermé sur lui-même et répugne à tout échange, à toute relation, à tout contact.

Le paradoxe apparent tient donc en ce curieux constat que plus on vit "hors du monde", moins on est sujet à tensions, donc à souffrances. N'est-ce pas la manière de vivre la plus courante dans les grandes villes, totalement "hors-sol" ?

 

Heureusement, il existe une autre stratégie de vie ! Techniquement, on l'appelle la stratégie fractale (vs. sphéroïdale) qui consiste, tout au contraire, à déployer la plus grande surface possible d'interrelation pour un volume donné.

Pratiquement, cette stratégie revient à :

 

  • développer sa sensitivité en cultivant son attention, sa vigilance, son acuité sensorielle,
  • développer son intuitivité en écoutant ses intuitions, en leur faisant confiance,
  • développer sa mémoire comme un patrimoine précieux patiemment accumulée,
  • développer sa volonté en se lançant des défis, en multipliant ses projets,
  • développer sa rationalité en ne tolérant aucun illogisme, aucune incohérence,
  • développer son imaginativité en lâchant la bride à sa créativité, hors cadre.

 

On pourrait croire qu'en développant au maximum toutes ces facultés mentales, on risque fort de multiplier les contradictions, donc les tensions, donc les "souffrances".

Il n'en est heureusement rien pour une raison très simple : le recrudescence des tensions du fait de la multiplication des activités mentales, fait que, statistiquement, elles en viennent à s'annuler les unes les autres, ce qui procure une joie intérieure intense et une "paix du cœur" : la conscience devient beaucoup plus vive tout en restant apaisée et joyeuse.

 

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