Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Immortalité et intemporalité

Au-delà de toute notion de "Salut"

Notre compréhension actuelle de l'idée d'immortalité vient du christianisme mais ne vient pas de la Bible judaïque qui est une compilation de textes variés.

La Torah originelle (le Pentateuque) fut écrite après le retour de Babylone sur base du Deutéronome (le "Livre de la Loi" de la réforme de Josias) et fondit le lévitisme. Les quatre autres livres de la Torah ne sont que des développements et des compléments ultérieurs). Le reste de cette compilation qu'est la Bible, a accumulé des récits pseudo-historiques ou sapientiaux de diverses origines.

 

Le messianisme (comme la croyance en l'immortalité de l'âme, en la vie après la mort et en une résurrection des morts) est le fait du pharisaïsme. Le sadducéisme (l'orthodoxie lévitique du Temple) a toujours rejeté ces balivernes.

Mais, après la destruction du Temple par les Romains en 70, le sadducéisme, si fort lié au Temple, s'effondre avec lui (sauf à Alexandrie où le mariage se fait avec la philosophie grecque par Philon et d'où émergera la Kabbale dont le rabbinisme se méfiera toujours), et le pharisaïsme triomphe, fonde le rabbinisme et fera émerger le talmudisme.

Les débuts du christianisme forment un surgeon de cette même mouvance pharisienne (dont Jésus - comme Paul - est très clairement issu, même s'il a flirté avec le zélotisme puis avec la dissidence essénienne de Jean-le-Baptiste, toutes deux aussi virulemment anti-sadducéennes). Le christianisme naissant a d'ailleurs parfaitement récupéré ce pseudo-essénisme qui est à la source de tous les monachismes chrétiens.

 

La question qui se pose, est celle-ci : où les pharisiens de la première heure (vers le 4ème ou 3ème s. avant l'ère vulgaire) ont-ils été chercher leur inspiration pour inoculer les croyances en le Messie, en l'immortalité de l'âme, en la vie après la mort et en la résurrection des morts, qui sont des croyances totalement étrangères au judaïsme originel ?

Ce qui m'intrigue, c'est la naissance de la dissidence pharisienne (les Péroushim, en hébreu : les "séparés") au 4ème siècle avant l'ère vulgaire et l'importation (d'Egypte ?) de croyances concernant "l'après-mort", étrangères à la Torah.

 

La mise sous tutelle du judaïsme par le pharisaïsme est la suite inéluctable de la destruction du Temple et de l'effondrement du sadducéisme orthodoxe. Le centre en fut l'école de Yabnéh, autour de rabbi Akiba appuyée, notamment, sur la traduction déviante, en araméen (la langue populaire ; l'hébreu n'était plus que la langue sacerdotale), de la Torah sous le nom de "Targoum d'Onkelos". Suivra la rédaction de la Mishnah (2ème s.) dont les commentaires hiérosolymite et babylonien (les deux guémarot -  écrits entre 3ème et 6ème siècles) constitueront les deux Talmuds fondateurs du pharisaïsme rabbanite. Cette longue époque du 1er au 6ème siècle (étudiée avec zèle par mon ami l'historien Frédéric Morvan) montre l'incroyable collusion (initiée, sans doute, par "l'adopté" Paul de Tarse) entre l'élite rabbanite et la haute noblesse romaine (il ne faut jamais oublier qu'avant la prévalence chrétienne, la religion juive eut un énorme succès à Rome, avec de très nombreuses conversions) ... et de laquelle sortira le christianisme paulinien qui triomphera en 325 avec l'empereur Constantin.

 

Le schéma qui suit ente de résumer les filiations entre les différentes traditions en matière de salut au sens religieux du terme …

 

 

Philosophiquement, et sous l'influence chrétienne, on a aujourd'hui tendance à malencontreusement confondre :

 

  • la sotériologie qui regroupe les doctrines du salut personnel au-delà de la mort grâce à l'immortalité d'une âme personnelle, supposée apte à une autre vie éternelle, dans un autre monde, céleste ou spirituel, en tous les cas "divin" ;
  • l'eschatologie qui regroupe les doctrines de la fin des temps (de souffrances ?) accompagnée de la résurrection des morts, du jugement dernier et de la transformation radicale du monde en Royaume de Dieu où règnera, définitivement, la Paix, la Joie, la Douceur, l'absence de crime, de souffrance et de mort.

 

Le salut eschatologique est très présent dans le judaïsme pharisien et rabbanite, alors que le salut sotériologique en est presque absent ... alors que, si la source d'inspiration d'une "après-mort" dans le pharisaïsme était égyptienne, ce serait la composante sotériologique qui serait dominante et non la composante eschatologique ... Alors : quelle est cette source d'inspiration eschatologique qui a abreuvé toute la littérature juive apocalyptique des trois derniers siècles avant l'ère vulgaire et dont le "Livre de l'Apocalypse" de Jean n'est qu'un plagiat christianisé.

 

Il est curieux de constater que le christianisme véhicule les deux corps de doctrines en parallèle (la catholicisme est franchement sotériologique, alors que les témoins de Jéhovah sont outrageusement eschatologiques), alors que ces deux voies sont contradictoires : si l'âme pure est sauvée dès la mort de son porteur et a accès directement au paradis céleste, l'idée d'une fin du monde et d'une résurrection des morts devient totalement superfétatoires. Il faut choisir entre salut personnel dans un autre monde et salut collectif dans ce monde-ci !

 

Messianisme et eschatologie vont évidemment de pair : le Messie annonce ou instaure les temps eschatologiques et fait basculer le monde de souffrance en un monde de plénitude (plérôme, parousie, etc …).

Dans le monde du judaïsme, le kabbalisme lourianique a revivifié l'eschatologie messianique alors que les autres courants de la Kabbale ne s'y intéressent pas ou que très peu : le problème n'y est pas le temps et sa structure (ni les éventuelles issues individuelles ou collectives), mais l'atteinte spirituelle de l'intemporel.

 

De plus, il faut souligner qu'il y a une différence abyssale entre l'immortalité (qui est religieuse et personnelle) et l'intemporalité (qui est mystique et impersonnelle).

 

Les religions du salut proposent une sotériologie (salut personnel immédiat) ou une eschatologie (salut collectif à la fin des temps).

Les mystiques, quant à elles, visent l'intemporalité c'est-à-dire la fusion de soi, ici-et-maintenant et pour toujours (si possible), avec le Réel vivant qui engendre le temps tout en le dépassant.

Le temps étant second, toute sotériologie et toute eschatologie ne sont que des leurres ; le cheminement spirituel vise à atteindre ce qui est premier, au-delà de toute temporalité. Dès que le temps n'existe plus comme réalité (même s'il existe comme engendré par la réalité), toutes les notions d'immortalité s'étiolent immédiatement comme autant de mirages.

Le Réel est absolument impersonnel et toutes les personnes ne sont que des masques illusoires de théâtre.

Le salut des religions est toujours le salut d'une "personne" (individuelle ou collective, immédiate ou différée). Mais toute personne (per-sona) n'est qu'un masque théâtral au travers (per) duquel sonne (sona) c'est-à-dire se manifeste le Réel impersonnel.

 

L'illusion mythique de l'immortalité n'est qu'une impasse facile et trompeuse qui masque le vrai chemin de l'intemporalité.

Cette illusion est facile parce qu'elle est à la portée de n'importe quel esprit faible ayant peur de sa propre mort.

Elle est trompeuse parce qu'elle laisse croire en la réalité d'un quelconque ego nouménal.

 

Oublie-toi toi-même et chemine vers l'intemporalité.

Mourir, c'est rejoindre l'intemporel.

La temporalité n'est que la mince couche extérieure du Réel.

 

Marc Halévy - Le 12/01/2021