Tisserand de la compréhension du devenir
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Au-delà de la Liberté : l'Autonomie

Liberté, liberté chérie … que de crimes n'a-t-on commis en ton nom !

Liberté : mot philosophique, mot sacré, mot bateau.

Une Idée, au sens de Platon. Un idéal.

Justement : un idéal, une valeur idéalisée en notre époque de non-idéal et de non-valeur.

La Liberté telle qu'inscrite au tout premier article de la "Déclaration des droits de l'homme et du citoyen" (Tous les hommes naissent libres et égaux en droit"), est un mythe, un leurre : l'égalité égalitariste et la sécurité sécuritaire ont tué la liberté. Nos démocraties déliquescentes nous le démontrent chaque jour : elles sont la tyrannie molle d'une majorité médiocre, manipulée et lobotomisée.

Ce mot de Liberté n'évoque plus guère d'écho dans nos oreilles assommées de confort douillet et de satiété repue.

Ce n'est donc plus de Liberté qu'il faut parler : elle n'est plus un enjeu contemporain.

 

Si sursaut de dignité il doit y avoir, ce sera celui de la quête d'autonomie.

Quête concrète, pragmatique, quotidienne, loin des discours philosophiques ou des idéaux ampoulés.

Être autonome : être sa propre norme, être son propre projet, être soi par soi et en soi.

Être autonome : se libérer de toutes les dépendances, de tous les assistanats dont nos démagogies ambiantes nous gavent jusqu'à la nausée.

Se réapproprier sa propre vie et s'assumer soi-même. Se prendre en charge et s'auto-responsabiliser. Le discours est banal, mais la quête est ardue.

Tous nos systèmes éducatifs se fondent sur l'apprentissage profond de la dépendance et de la soumission : discipline, obéissance, récompense. Dressage.

Tous nos systèmes sociaux se perpétuent à coups d'allocations : familiale, de chômage, de sécurité sociale, d'assistance sociale.

Tous nos systèmes économiques sont pourris de subsides, d'aides, de subventions.

 

Le débat est profond.

D'un côté, l'immense besoin individuel et collectif d'autonomie afin que se réalise le seul projet politique acceptable pour notre troisième millénaire : l'accomplissement en plénitude de tous les projets créatifs, personnels et communautaires, au service de la Vie et de la Pensée.

Nos sociétés sont en panne. Il n'y a plus d'entrepreneurs, il n'y a plus de projets, il n'y a plus d'aventures, il n'y a plus de risques.

Nos sociétés se meurent par manque de désir et de volonté.

De l'autre côté, une hétéronomie généralisée : la norme, toutes les normes, toutes les lois, toutes les règles sont dans les mains de quelques uns qui ont confisqué tous les pouvoirs à leur profit, en échange des illusions sécuritaires.

Devenez mon courtisan et vous recevrez des allocations ; devenez mon esclave et vous recevrez des salaires ; devenez mon disciple et vous recevrez des diplômes.

 

Les moralistes et idéologues classiques, du haut de leurs ergots, rétorquent que l'hétéronomie est la seule voie du bien social et que l'autonomie généralisée ne peut conduire qu'à l'exclusion ou à la précarité des faibles, de tous ceux qui ne sont pas capables de s'assumer, de se prendre en charge, de se construire eux-mêmes.

Mensonge ! C'est précisément l'hétéronomie et les assistanats légaux qu'elle génère, qui induisent la dépendance et la faiblesse au travers de tous ses systèmes éducatifs, sociaux et économiques.

Eduquez quiconque comme un faible, il deviendra faible. Eduquez-le comme un fort, il deviendra fort.

Il suffit d'observer le phénomène des banlieues hors-la-loi pour comprendre que la faiblesse induit la bêtise et l'ignorance et fait le lit de toutes les violences : les violents, les barbares ne s'attaquent qu'aux faibles comme les lionnes qui ne chassent que les animaux malades ou fragiles ou épuisés, jamais les dominants de la horde.

Curieux paradoxe que de voir l'idéal humaniste accoucher d'une inhumanité barbare sous prétexte de tolérance et de compassion : morale d'esclaves disait Nietzsche.

 

C'est un sophisme idéologique que ce binaire "fort/faible" : il légitime et justifie le pouvoir en affirmant que sa mission première est de protéger les faibles contre les forts.

Double mensonge.

D'abord, rien ne prouve que l'oppression des faibles par les forts soit automatique et inéluctable : l'éthologie des animaux sociaux démontre bien le contraire puisque les dominants se sacrifient le plus souvent pour protéger le troupeau.

Ensuite, qui est faible ou fort ? Par rapport à quel critère ? Selon quelle aune ?

Selon ceci, celui-là sera "fort", mais selon cela, il sera "faible".

Selon le critère de l'argent, le riche sera "fort" et le pauvre "faible", mais selon le critère du talent ou de la créativité pratique, ce sera bien souvent tout le contraire : qui sera le plus débrouillard … ou le plus inventif par nécessité ?

Il y aurait encore tant à écrire sur ce thème lorsque l'on sait que nous quittons à toute vitesse les sociétés de l'argent pour entrer dans les sociétés du talent … Révolution noétique oblige.

 

Ainsi la confiscation des autonomies personnelles par les institutions de pouvoir (et leurs systèmes éducatifs, sociaux et économiques) est toute entière bâtie sur des mensonges, des présupposés idéologiques erronés, des credo implicites que rien ne justifie.

Si l'on veut, comme le prétendent les discours de l'heure, redynamiser les tissus sociaux et économiques, réactiver les processus de solidarité et de convivialité, relancer le goût d'entreprendre et l'esprit d'entreprise, alors il faudra bien libérer les autonomies individuelles des hétéronomies castratrices.

Il faudra bien repenser l'école de fond en comble.

Il faudra bien remettre l'Etat et les institutions à leur juste place, c'est-à-dire à la périphérie logistique des espaces sociaux et économiques, au service des individus et de leurs projets personnels ou collectifs.

 

Mais que l'on y prenne bien garde, l'autonomie ne se donne ni ne se reçoit : elle se construit, pas à pas, dans une quête perpétuelle, dans un combat sans fin contre toutes les facilités, contre toutes les paresses, contre toutes les pleutreries.

On devrait peut-être parler d'une ascèse de l'autonomie puisqu'il y a en cela lutte inépuisable contre soi-même pour la libération de soi, car, naturellement, l'homme est esclave de ses esclavages.

C'est précisément cette quête et ce combat qu'il faut apprendre à l'école dès le plus jeune âge : la lutte pour sa propre dignité, pour le respect de soi, pour son propre accomplissement et la réalisation de ses propres talents.

 

Et s'il faut encore faire un pas de plus, s'il faut aussi effleurer la dimension spirituelle, alors l'autonomie personnelle, comme quête, devient affranchissement de tout dogme et de toute église et de toute religion. Elle devient construction d'une foi personnelle en des certitudes personnelles, d'ailleurs évolutives.

Elle devient surtout quête du détachement.

Détachement qui n'est ni indifférence, ni passivité, ni fatalisme, ni mépris.

Détachement au sens d'un Maître Eckart ou d'un Lao-Tseu.

Détachement comme aboutissement de la quête d'autonomie.

Ce détachement-là est libération de tout par l'implication en tout.

Pour le dire autrement, chaque homme est devant un choix de fond (souvent implicite ou inconscient).

Effacement de l'ego au service de l'œuvre ou aliénation de l'œuvre aux caprices de l'ego ?

Tous les créateurs le savent depuis toujours : l'œuvre n'est sublime que dans le sacrifice de l'ego et de tous ses pseudopodes.

L'artiste authentique doit apprendre à s'effacer devant l'Art.

 

En nos temps de carence créative et de pénurie de talent, l'apprentissage et la quête d'autonomie sont les incontournables chemins pour contrer cet enlisement social et politique dans lequel nous nous enfonçons chaque jour un peu plus. Il faut donc que chacun apprenne, le plus vite possible, le plus tôt possible, à renoncer et à refuser toutes les dépendances et tous les assistanats.

Cette voie est la seule capable de revitaliser notre corps social et économique largement sclérosé, déjà moribond. La seule !

 

 

 

Marc Halévy, le 20 décembre 2003