Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Quatre vertus plus une qui les unit

Le comportement humain - et donc l'éthique qui est la recherche du comportement optimal - est régi par les quatre propensions qui régissent l'accomplissement de tout système complexe.

A la propension volumique (ou métrique) qui tend à engendrer un espace-temps spécifique et à construire un territoire, correspondent les comportements d'occupation de l'espace social, de présence, d'aura, de rayonnement, etc …

A la propension eidétique (ou morphique) qui tend à engendrer de la forme et à construire une organisation, correspondent les comportements de développement personnel, de conformation, d'expression de soi, etc …

A la propension dynamique (ou cinétique) qui tend à engendrer du mouvement et à construire une activité, correspondent les comportements d'action, de création, de profession, de production, etc …

Enfin, à l'interface entre le système/processus et son milieu qui tend à engendrer une interaction et à construire une interdépendance, correspondent les comportements d'échange avec le "monde" extérieur c'est-à-dire les autres, la Nature, le cosmos, etc …

On retiendra les quatre mots-clés déjà marqués : présence, expression, action et échange.

Chaque école éthique sera tentée de donner, pour chacune de ces quatre dimensions du comportement humain, les valeurs qu'elle prône et défend. D'autres écoles viseront à démolir le modèle et à partir sur d'autres bases. D'autres, enfin, tout en acceptant le modèle proposé, annuleront ou voudront annuler telles ou telles composantes jugées porteuses de négativité et donc à proscrire.

Notre développement ici d'un système éthique ne prétend ni à l'universalité, ni à l'absoluité, mais ose seulement proposer un système éthique valable ici-et-maintenant, dans ce monde réel-ci, dans notre situation réelle-ci mû par l'intention intangible unique et générale du genre humain : chercher la joie de vivre dans chaque instant.

Cette intention universelle fonde un eudémonisme fondamental qu'il ne faut pas confondre avec l'hédonisme (celui-ci ne vise que le plaisir et non la joie) et qui exprime que la propension globale de tout système complexe est de s'accomplir soi-même en plénitude, en harmonie avec l'accomplissement du monde alentour. La joie est la conséquence immédiate et automatique de cette difficile équation.

Dans ce cadre, que deviennent nos quatre dimensions comportementales ?

L'humanité de ce temps entame une mutation paradigmatique profonde qui correspond à la concomitance de deux révolutions, l'une intérieure, l'autre extérieure.

La révolution extérieure est une révolution écologique et exprime, simplement mais dramatiquement, que l'humanité, durant ce dernier siècle, s'est comportée en enfant gâtée et a dépensé, avec quelle gabegie, avec quels gaspillages, une bonne part des réserves naturelles que la Terre avait accumulées pendant des centaines de millions d'années : l'humanité est entrée, définitivement, dans une logique de raréfaction et de pénurie quant à toutes ses ressources matérielles et énergétiques.

La révolution intérieure est une révolution noétique et exprime que les technologies ont permis, il y a moins de trente ans, de lancer l'humanité dans la création explosive d'espaces

immatériels (ou cyberespaces) qui ouvrent un champ infini et inépuisable tant d'activités que de valeurs économiques et sociales.

Par la révolution écologique, l'interface avec la Nature et tout l'environnement dicte une première valeur fondamentale : la FRUGALITE. Il ne s'agit nullement d'austérité sévère ou de privations délétères, il s'agit d'aller au bout de deux démarches complémentaires, de deux questions vitales.

Primo : qu'est-ce qui est nécessaire à ma joie de vivre et qu'est-ce qui ne l'est pas ou ne l'est pas vraiment ? Autrement dit, qu'est-ce qui est superflu ?

Secundo : comment faire beaucoup mieux avec beaucoup moins ? Autrement dit, comment utiliser l'intelligence pour minimiser les prélèvements de matériaux et d'énergies ?

Le principe "frugalité" implique de renoncer définitivement à tous les superflus et de minimiser tous les prélèvements. On retrouve là une principe de tempérance que ni stoïciens, ni épicuriens ne renieraient.

Le propension dynamique qui dirige l'activité et guide l'action, induit une valeur de FECONDITE : ne rien faire, ne rien entreprendre, ne rien accepter qui n'ait valeur d'engendrement, de construction vitale, de production d'intelligence et de connaissance. Une activité n'est éthique que si elle est créative, productrice de valeurs, contributrice à l'accomplissement cosmique et à la prolifération de la Vie et de l'Esprit. Pour prendre la langue des physiciens, une activité n'est éthique que si elle engendre des propriétés émergentes qui font que le tout sortant est plus, bien plus, que la somme des parties entrantes.

La propension eidétique qui régit le style et guide la complexion et l'expression de soi, induit une valeur d'ÉLÉGANCE : il ne s'agit pas de luxe, il ne s'agit ni de snobisme, ni de dandysme, il ne s'agit ni de paraître, ni de parure. Il s'agit de cultiver la parfaite adéquation entre ce que l'on est et ce qui est, entre ce que l'on devient et ce qui advient. Il s'agit, en somme, d'être en parfaite harmonie avec soi, en toute simplicité, avec tout le raffinement que cette difficile simplicité exige pour se déployer pleinement. La vertu d'élégance enjoint chacun de tracer sa vie comme le calligraphe trace son calligramme : le geste est parfait, l'adéquation est parfaite, le pinceau, le papier et l'encre sont parfaits, le sens et la beauté du message sont parfaits.

La propension métrique qui anime le rapport à la présence de soi et à soi, à l'occupation de l'espace et du temps, induit une valeur de NOBLESSE. Il ne s'agit évidemment pas de titres nobiliaires, mais d'attitude et d'intention nobles. Ce principe de "noblesse" force à considérer que l'existence humaine ne prend sens et valeur qu'au service de ce qui dépasse infiniment les hommes et leurs bricolages. Il faut que l'espace s'ouvre vers le haut et élève l'homme au-dessus et au-delà de lui-même. L'homme est un pont entre la Vie et l'Esprit, entre l'animal et le surhumain, et il lui faut l'assumer s'il veut vivre en joie - comme le marin doit accepter les forces de l'océan et s'y soumettre avant que de pouvoir prétendre aller où il veut et jouir de son voilier. Il n'y pas de liberté sans noblesse ; sans cette noblesse, il n'y a que des caprices méprisables et vulgaires.

Lorsqu'on les tresse, ces quatre valeurs de frugalité, de fécondité, d'élégance et de noblesse engendrent une amarre solide qui attache l'homme à sa joie. Cette amarre s'appelle SIMPLICITE.

Mais, que cette simplicité est difficile !

Combien antinomique est-elle au culte ambiant de la facilité en tout, pour tous, à la médiocrité donc, à la vulgarité générale ! Le défi est immense, mais il est aujourd'hui vital de le relever.

 

Marc Halévy, 1 juin 2009