Crises et idéologies : la fin de l'économique ET du politique
Notre crise de civilisation suscite l'émergence de deux catégories de comportement subversif : le "militant" et le "méditant".
Le "militant" croit au changement extérieur par les institutions ; le "méditant" croit au changement intérieur par les intentions.
Tous ces militants (écologie plus ou moins verdâtre, plus ou moins sociale, plus ou moins crypto-gauchiste, simplicité volontaire, décroissance, alter-mondialisme, etc …) se trompent très lourdement et très dangereusement : ils visent à changer le système, alors que c'est l'homme et lui seul qu'il faut changer : que l'homme change en profondeur et le changement du système suivra alors naturellement.
Cela ne signifie nullement qu'il ne faille pas aller très vite et très loin et très fort dans la direction de ces "écologie", "simplicité" ou autre "décroissance" ; cela signifie plutôt que ces pratiques vitales et indispensables, ne peuvent en aucun cas devenir des idéologies parce que nous sortons (et nous devons sortir) de l'âge idéologique. Cela signifie enfin que ces pratiques doivent devenir des foyers d'exemplarité individuelle qui rayonneront pas contagion, et surtout, devenir des leviers d'élévation spirituelle personnelle (ce qui donne raison aux méditants contre les militants).
De plus, ces tristes militants ne comprennent pas que leur logique passe nécessairement par la "conversion" des masses qui, elles, par définition, sont inertes et n'ont aucune intention de renoncer ni à leur gavage consommatoire, ni à leur "panem et circenses" télévisuel ou footballistique, ni, plus généralement, à leur médiocrité foncière. Ils ne veulent pas comprendre que le suffrage universel est le pire ennemi de l'indispensable changement de paradigme en cours qui est l'affaire des élites CONTRE les masses.
La crise économique et sociale actuelle signe la fin de la Modernité et DONC du paradigme moderne, de tous ses modèles (égalitarisme, démocratisme, humanisme, capitalisme, social-démocratisme, étatisme, industrialisme, financiarisme, etc …) et de tous ses contre-modèles (solidarismes, révolutionnarismes, totalitarismes, marxismes, utopismes socialistes, fouriérisme, proudhonisme, anarcho-syndicalisme, phalanstèrisme, etc …).
Il est illusoire, voire dangereux, de vouloir appliquer, à nos crises de millénaire naissant, ces modèles et contre-modèles totalement dépassés (ils ont tous été conçus aux 18ème et 19ème siècles).
Or, l'on voit de plus en plus de crypto-marxistes ou de néo-trotskistes tenter de récupérer la situation au profit de leur idéologie désuète (dont l'histoire a d'ailleurs très largement démontré l'inanité et la nocivité) : en reprenant les catégories marxiennes de Travail et de Capital (et en oubliant la troisième force économique, l'Intelligence, qui n'est réductible ni à un travail, ni à un capital), ils opposent à la faillite du capitalisme un militantisme antilibéral et social (qui dérivera, comme d'habitude, en totalitarisme dès qu'ils croiront détenir une once de pouvoir).
Ils ne voient pas que le "social" n'est jamais l'antidote au "capital", puisque, aujourd'hui, le capitalisme est un capitalisme de masse via les banques et les fonds de pension. Ils ne voient pas que le "social" alimente le "capital" et que chaque achat fait par les quidams dans un supermarché nourrit et conforte l'industrialisme capitalistique au détriment de l'artisanat. La vie quotidienne des masses plébiscite (au sens profond ET étymologique) le capitalisme le plus crapuleux (celui de l'industrie agroalimentaire).
Ils ne comprennent pas (ils ne veulent pas, ils ne peuvent pas comprendre) que le problème n'est plus NI économique, NI politique. Que les Marchés (ou, plus généralement, les pouvoirs économiques) ET les Etats (ou, plus généralement, les pouvoirs sociétaux) sont aussi impuissants les uns que les autres à réguler le système humain. Que l'Economique ET le Politique doivent être totalement périphérisés et asservis à ce qui les dépasse infiniment tous deux : le Noétique, c'est-à-dire l'avènement de l'Esprit et de l'Intelligence comme sublimation de la Vie (bien au-delà de toute considération humaine).
La Verticalité du Spirituel doit se substituer à l'Horizontalité du Politique et de l'Economique qui, tous deux, ne visent qu'à l'exploitation, aux seules fins de l'homme (de quelques hommes), des territoires naturels et sociaux.
Il faut redécouvrir la notion de "Noblesse d'Intention", c'est-à-dire dépasser tout humanisme et comprendre que la seule vocation (et justification) de l'humain, n'est pas du tout l'homme, mais bien le Surhumain, c'est-à-dire l'Esprit qui doit émerger de la Vie.
L'avenir sera nietzschéen et teilhardien, ou ne sera pas.
La rage du consensus
"Dans la vie, rien n'est à craindre, tout est à comprendre." (Marie Curie)
Le plus paradoxal, en nos temps de fragmentations, de dislocations, de tribalisations, d'effet mosaïque généralisé, c'est que l'on n'a jamais tant parlé de "consensus". Il "faut" mettre les gens d'accord. Il "faut" discuter, partager, échanger, convaincre, argumenter, uniformiser, unanimiser, convenir, circonvenir. Bref, il "faut" débattre - car voilà lâché le mot magique de nos invétérés discutailleurs : débattre … Socialisation oblige …
Mais pourquoi et pour quoi faudrait-il échanger, partager et débattre ? Pourquoi et pour quoi faudrait-il uniformiser ce qui, de plus en plus et par essence, est pluriel, multiple, multidimensionnel, complexe, irréductible à quelque élémentaire que ce soit ? Pourquoi et pour quoi chacun ne pourrait-il pas se faire sa propre religion et se l'appliquer à soi (parce que, sans doute, la grande majorité est trop idiote, incapable de penser par elle-même et pour elle-même, incapable d'assumer la moindre autonomie) ? Pourquoi et pour quoi, en somme, faudrait-il ce sacré consensus ?
Par nostalgie, sans doute. Par nostalgie du communautaire, par nostalgie sécuritaire du "ensemble" contre la terreur du "seul".
Atavisme, sans doute … Vieux relent de cerveau primitif venu du fond des âges, venu du fond de la grotte de cet homme des cavernes, terrorisé par la Nature environnante parce que si fragile et si peureux, sans carapace ni fourrure, si malhabile à la course, à l'escalade, au combat. Sa seule force, déjà, était sa pensée, mais il l'a utilisée pour asservir la Nature et non pour s'y inscrire en la comprenant, en la respectant, en s'y harmonisant.
Pourtant on le redécouvre, aujourd'hui - mais il est presque trop tard - : la Nature sauvage n'est ni hostile, ni dangereuse.
Le seul vrai péril pour l'homme, c'est l'autre homme.
Ah, Robinson, comme tu devais être heureux sur ton île avant l'arrivée de ce con de Vendredi, et comme tu as dû bien vite la regretter, ton île, lorsque tu embarquas sur ce maudit rafiot qui te ramena à Bristol …
Marc Halévy, 28/2/2010