Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

L'erreur sur la communication

Il y a de tout, de trop : trop d’outils, trop de messages et trop peu de communication, malgré la communication. Ou à cause d’elle ? Voici une réflexion, une ouverture qui met un pied dans la porte de ce qui s’annonce aujourd’hui comme l’après-communication . Car la communication porte ses propres limites. Pour les dépasser et tout à la fois recrédibiliser la communication de plus en plus décriée, il est temps de poser l’analyse.

"La communication qui devait rapprocher les hommes devient en réalité le révélateur de ce qui les éloigne" déclare Dominique Wolton dans son livre « Penser la communication » (Flammarion, 2007, page 20). Oui, elle les éloigne. Non, elle n’avait pas pour vocation de les rapprocher. Rapprocher les hommes par la communication, au sens où l’Homme voudrait l’entendre, est une illusion, une erreur méthodologique même ! Voyons pourquoi.

Le mécanicisme du XXème siècle, également en communication

Qu’est-ce donc que la communication ? Selon la masse des théoriciens et des praticiens aussi, la communication en tant que « sciences de l’information » est une approche centrée sur la transmission de l’information et s’appuie sur le concept d’interaction. Alors que l’objet prime sur le lien au niveau de l’information, le lien prime sur l’objet au niveau de la communication. Il faut cependant entendre le terme « lien » au sens du XXème siècle, de la société de productivité, de consommation ; le lien au stade basal de l’action-réaction, de l’émetteur-récepteur, de la rétroaction, du push-replay ! C’est aller un pas trop loin que confondre les notions de « lien » et de « rapprochement entre les hommes ». 

La communication du XXème siècle a consisté en ceci : mettre plusieurs sujets en présence, construire des tubes (canaux) entre eux. Ensuite, y injecter un élément (un message). Enfin attendre qu’au bout du conduit, l’autre (le récepteur) renvoie la balle selon l’attendu (la réaction) du premier (l’émetteur), ce dernier espérant que le « bruit » alentour ne perturbe pas la réponse (d’achat, d’adhésion, de participation, etc.). Exit le contexte intra et extra-muros (du récepteur), exit au plus possible car il est « perturbation ». Trop simple ? C’est pourtant bien ce que l’on enseigne toujours dans les écoles et ce que l’on pratique encore majoritairement dans les entreprises. C’est la transposition, exemplaire et parfois élaborée, d’une chaîne de montage robotisée. Rien de plus, rien de moins. La communication classique est à l’image du siècle qui l’a fait naître : un siècle cartésien, mécanique, quantitatif et de production. La communication du XXème siècle est donc évidemment une accumulation d’outils, de messages, d’interactions, … privilégiant forcément la quantité à la qualité. De même pour ce que l’on nomma jusqu’ici « lien » : il s’agit bien d’un rapprochement mais au sens de mise à proximité de deux objets, et non pas au sens de rendre proche des sujets faits d’affectif, d’émotionnel, de créativité, de spiritualité, de personnalité … bref de complexité. Le lien traité jusque là n’était que mécanique. Rapprochement effectivement via l’interaction mais au sens de la complication (une juxtaposition de pièces sans propriété émergente, machine démontable à souhait) et non pas au sens de la complexité (une synchronisation d’éléments produisant du neuf dans un processus absolument irréversible). Mécanique et systémique sont deux notions qui s’excluent mutuellement. Là est la limite du siècle et du communicateur.

J’entends certains s’insurger : « Communiquer consiste pourtant à transférer du sens ! ». En effet, mais quel sens ? Celui de la régulation des systèmes. Un sens injecté et non pas émergeant, un sens volontaire et non pas créatif. Notre « science de l’information », approche centrée sur la transmission de l’information, est en effet née de la cybernétique de première génération (la science de la régulation des systèmes). Elle n’est qu’une déclinaison d’un processus industriel primaire du système humain, l’application des mécanismes de causalité circulaire (dont le concept de feedback), étudiés par le premier cercle d’experts interdisciplinaires de la cybernétique dans les années 1940-1950. Dans la pratique des organisations, la communication ne vise qu’à maintenir l’homéostasie relationnelle par des mécanismes de (auto)régulation. Le « plan de communication » en est le bras et la culture ou plutôt le « culte d’entreprise », l’objectif. Notons cependant qu’à propos de ces plans, désormais 2/3 des entreprises s’en passent … et que le culte en question, nombres s’en détachent, clament leur indépendance, revendiquent leur propre talent. Signal d’alerte pour les sceptiques.

La limite de la communication lui est intrinsèque, celle d’être une science de l’information, rien de plus, rien de moins. Une praxis de la non-complexité, une ‘science humaine’ mais dans la conception du siècle finissant.  

Légitime grogne humaine face à la fusion

Aujourd’hui, la complication n’est plus à même de répondre aux besoins du monde, devenu plus complexe et plus incertain. De plus en plus de personnes ont acquis -ou sont en chemin d’acquérir- ce que l’on peut nommer, faute d’autres mots, un niveau de conscience supérieur. Aussi, lui reproche-t-on ses propres limites à cette communication. Sans doute son tort fut-il de faire croire qu’elle était toute-puissante, qu’elle était à même de transformer le monde, jusqu’à l’idéal : de rapprocher les hommes, en toutes ces dimensions, jusqu’à amener la paix. Quelle illusion, quelle prétention ou quel délire ! Egalement, le tort fut la naïveté de cette masse de consommateurs, de médias et de producteurs qui crurent en elle comme en l’Eldorado : la promesse créant la réalité, comme dans ce fabuleux monde de Walt Disney, cette formidable escroquerie du non-réel. Que d’étincelles … jusqu’au petit matin, seulement.

Si les penseurs et les professionnels de la communication, ainsi que tous les autres d’ailleurs, voulaient bien admettre les véritables nature et fonction de la communication, les reproches tomberaient d’eux-mêmes. On ne peut en effet demander à un système simple de gérer un niveau de complexité supérieur, n’est-ce pas monsieur Einstein ?!

La physique explique, scientifiquement, s’il le faut, le phénomène, la croyance. En physique, l’on considère l’énergie interactive (d’échange externe) et l’énergie constitutive (de cohérence interne). Si la première est largement supérieure à la seconde, l’objet fond, il n’existe plus en soi. Il y a « fusion » et indifférenciation entre les éléments. De même, si l’entreprise communique, donne toute sa puissance à l’interaction, c’est pour tendre vers la fusion, vers l’adhésion totale. A l’extrême, elle entend que les clients achètent sans réfléchir trop, que les personnels s’investissent corps et âme, nuit et jour, que les partenaires soutiennent sans trop se poser de question et que les fournisseurs soient toujours au garde à vous. Quel rêve ! Lorsque la communication (l’interaction, le lien) surpasse l’information (la donnée), la personne est « fondue » dans l’organisation, elle disparaît, avec ses capacités créatives. Communiquer servirait donc l’uniformité ! C’est cela l’adhésion : le résultat d’une sorte de fusion physico-chimique, pari d’émulsion réussie entre des énergies différentes.

L’humain a fondu. L’interaction a bien créé de l’uniformité. Mais la pâte humaine est faite d’autre chose, d’autres énergies dont n’a pas tenu compte le XXème siècle : elle pense (son rôle dans le processus), elle ressent (la manipulation), elle se sent (oppressée, pressée), elle prend distance, elle revendique son existence unique. Le trop nuit. La goutte a débordé du vase. L’homo sapiens sapiens s’en défend. Il refuse la fusion totale, l’annihilation de son existence propre, de sa fonction créative, de son originalité. Conscient du confort de l’état de fusion mais à la fois aussi de sa survie individuelle nécessaire, il exige que le bon point d’équilibre entre la fusion totale et l’individualisme total. Il demande un moins de communication et un plus … d’autre chose, à créer. Voilà la formule du XXIème siècle déjà bien entamé.

Stop aux prétentieux : accepter les limites de la communication

Sommes-nous capables de conserver de la communication ce qui permet de tendre vers l’adhésion, la fusion, et à la fois de tenir compte de ce « supplément d’âme » de l’humain pour accepter et valoriser la différence ? Et par là-même, de prendre le risque d’une part de liberté, d’autonomie, de non-uniformité. Pourrons-nous, dans nos organisations, nos entreprises, nos sociétés occidentales créer et animer ce double mouvement, yin et yang, de la convergence et de la divergence tout à la fois.

Cette démarche exige du communicateur du nouveau siècle de faire l’auto-critique tout à la fois de sa discipline, de son parcours, de ses pratiques, de son paradigme sociétal. Elle nécessite une prise de recul. Elle doit se nourrir d’un regard plus large, très large ! Il lui faut puiser en d’autres sciences, d’autres dimensions, d’autres conceptions de la vie. Elle doit s’ouvrir. Et cela n’est pas affaire de philosophie de comptoir, bien au contraire. Cela consiste à développer une méthode nouvelle inscrite dans un processus dynamique, en phase avec le réel vrai de ce monde.

Cela n’enlève en rien l’apport de la science de l’information et de la communication. Les bases demeurent. Mais elle n’était qu’une étape. Cela, il faut l’accepter.

Le monde est devenu plus complexe et plus incertain, l’approche par les systèmes complexes est désormais incontournable si l’on veut atteindre un autre niveau d’efficacité, dans le monde socio-économique ne particulier.

S’ouvrent ici un champ nouveau, un champ théorique mais aussi le terrain de nouvelles pratiques. Des pratiques d’une après-communication qui ne renie nullement celle qui l’a engendrée. Elle la dépasse, en garde le meilleur, lui donne sa place exacte et se déploie. Je l’ai nommée : la syntonie, l’accord parfait. De la communication à la syntonie, l’on passe de l’interaction (A vers B) à la synchronisation (A et B), du bidirectionnel (feedback, rétroaction) au multidirectionnel (co-création), du transfert de sens (du contenu) à la création et la gestion de l’adhésion, du lien, de la reliance. A suivre …

Dominique Annet, 1 janvier 2010

http://www.dominique-annet.eu