L'écologie est une chose trop sérieuse pour être laissée aux écolos !
Quatre facteurs simples conditionnent tout l'avenir de l'humanité : la population humaine, la propension à consommer, le volume global des ressources et leur dispersion.
L'écologie est une chose trop sérieuse pour être laissée aux écolos !
Il est temps de se rappeler que l'écologie, bien avant d'être récupérée comme mouvance idéologique et politique aux relents crypto-gauchistes que l'on sait, est une science. Une science "horizontale" ou transversale, complémentaire des sciences "verticales" ou spécialisées. Une science interdisciplinaire. Une science des relations et des interactions : l'entomologiste connaît tout sur les abeilles, le botaniste connaît tout sur l'acacia, le diététicien connaît tout sur le miel d'acacia, le gastronome connaît tout sur les gâteaux au miel … et l'écologue essaie de faire le lien entre tout cela et de faire comprendre que si l'on tue toutes les abeilles avec les pesticides mis en œuvre par l'agriculture intensive, et que si l'on arrache tous les acacias des friches pour faire des parkings en béton, le gastronome aura des soucis à se faire.
Même les plus récalcitrants, ceux qui nient les faits et pratiquent la politique de l'autruche avec une aisance et une efficience incontestables, même ceux-là en conviennent : le peak oil est passé, vers 2006, et, avec lui, parce que tout se tient dans un monde complexe où tout est cause et effet de tout, le peak everything. Qu'est-ce que signifient ces expressions anglaises ? Le peak oil ou pic pétrolier est un concept abstrait qui décrit le moment où la capacité tendancielle de l'offre en pétrole devient définitivement inférieure à celle de sa demande. Autrement dit : avant ce pic, on vivait dans une logique d'abondance pétrolière et après lui, on suit une logique de pénurie. "Pénurie", voilà bien un mot politiquement incorrect comme je les aime ! Oui : pénurie ! Comme nous vivons aussi une logique de pénurie croissante en eau douce, en terre arable, en métaux (cfr. Philippe Bihouix). C'est ce dernier, je crois, qui a inventé cette formule peak everything pour faire comprendre que nous sommes entrés de plain-pied dans une logique généralisée de pénurie.
Cela n'est en rien ni dramatique, ni catastrophique ou catastrophiste. Nous avons juste à apprendre à vivre autrement (cfr. mes "Principe Frugalité" et "Simplicité et minimalisme" parus chez Dangles en 2010 et 2011). Mais essayons de comprendre cela un peu plus rigoureusement …
D'abord, il y a une demande qui est le produit de deux facteurs : l'un est le nombre d'humains sur Terre et l'autre est la propension moyenne individuelle à consommer. Ces deux facteurs sont aujourd'hui en croissance.
Les démographes soulignent le caractère très exponentiel de la population humaine sur Terre. Rappelons les chiffres de base : 1800, 1 milliard ; 1900, 1,7 milliards ; 2000, 6 milliards ; 2012, 7.2 milliards ; 2050, entre 9 et 10 milliards … et rappelons aussi que, lorsque toutes les énergies fossiles et non renouvelables seront épuisées, si l'on veut procurer aux humains une consommation moyenne d'énergie égale à la moitié de celle des européens d'aujourd'hui, ne pourront vivre sur Terre que 1,5 milliards d'humains au maximum. Nous sommes donc déjà aujourd'hui 5,7 milliards de trop sur notre planète. Un paille … Bref.
La propension à consommer croît toujours avec le pouvoir d'achat. Et celui-ci ne cesse de croître - lui aussi exponentiellement - partout dans le monde, même dans les zones les plus pauvres et les plus déshéritées. Même s'il est encore insuffisant, le pouvoir d'achat moyen en Afrique noire a décuplé en moins de 30 ans.
Pour satisfaire cette demande à deux facteurs, il faut une production de biens et services utiles. Et pour assurer cette production, il faut une offre suffisante de matières premières qui, toutes, viennent de la Nature, qu'on le veuille ou non.
Or, cette offre est, elle aussi, le produit de deux facteurs : le volume total de telle matière première qui existe dans ou sur la Terre et son niveau moyen d'entropie. Ce dernier terme mérite sans doute quelque explication … L'entropie mesure, au fond, le taux de dispersion de la matière étudiée. Une pépite d'or de la grosseur d'un œuf de caille trouvée dans un ruisseau a un taux d'entropie extraordinairement bas : l'or y est très pur et très concentré ; c'est cela qui fait sa valeur. L'eau de mer contient, tous océans confondus, des millions de milliards d'atomes d'or mais ils sont tellement fractionnés et dilués qu'ils ont un niveau entropique extrêmement haut, tellement haut qu'ils en deviennent inutilisables parce qu'inexploitables.
De même, les nappes de pétrole on-shore presque affleurantes du Moyen-Orient de naguère fournissait un pétrole de très basse entropie, directement utilisable ou presque, avec des coûts d'exploitation très bas. A l'inverse, les schistes bitumineux contiennent du pétrole, c'est vrai, mais tellement dispersé et intriqué dans la roche que son entropie est haute et les coûts d'extraction extravagants - sans parler des désastres écologiques que de telles extractions occasionnent.
De même, encore, l'énergie solaire dont le taux d'arrivée sur Terre est fixe, fini et bien connu, possède un niveau entropique tellement haut (la dilution énergétique y est tellement grande) que, pour être utilisable, elle doit être reconcentrée à grands frais par des panneaux photovoltaïques ou des éoliennes (car le vent, c'est de l'énergie solaire tout comme l'électricité hydroélectrique). Toutes ces technologies de reconcentration de l'énergie solaire ont deux caractéristiques définitives : elles produisent des rendements bas et consomment beaucoup de métaux précieux en voie de disparition. Bref : il n'y pas de miracle ! Pour diminuer l'entropie - et rendre les matières utilisables -, il faut consommer de l'énergie. Pour concentrer beaucoup, il faut brûler beaucoup plus encore. Cela s'appelle la thermodynamique et ses lois.
Observons enfin que l'histoire de l'homme et de ses consommations de matières premières sur Terre est une histoire elle aussi exponentielle. Tous les gisements de tout, qui étaient facilement exploitables parce que la Nature y avait concentré les matières, lentement, durant des millions d'années, sont aujourd'hui épuisés. Il ne reste plus, pour assumer une demande de plus en plus exponentielle, qu'un volume de plus en plus petit de matières de plus en plus dispersées - donc à coût d'exploitation de plus en plus prohibitif. C'est aussi cela que signifie le passage, entre 2000 et 2010, du peak everything.
Ce qu'il faut bien comprendre est au cœur de la thermodynamique : l'homme ne (sur)vit qu'en combattant la croissance naturelle de l'entropie (la tendance universelle à la dilution, à la désagrégation, à l'uniformisation, … à la mort) et ce combat consomme inéluctablement de l'énergie (il nous faut manger pour vivre). C'est la dure loi de la science thermodynamique. Elle est aussi incontournable que la loi de la gravitation de Newton. Je sais bien qu'il y a nombre de cinglés qui prêchent la croyance absurde en un miracle technologique qui permettrait de se gausser des lois de la physique : la quête du mouvement perpétuel excite encore quelques ignorants. Mais pas ce chance pour ces charlatans : les lois de la physique sont bien plus universelles et irréfragables que la bêtise humaine.
Place donc à la lucidité et à l'intelligence !
Résumons. Telle est l'équation à quatre facteurs de l'avenir humain sur Terre. D'un côté, une démographie et une appétence consommatoire en croissances exponentielles, de l'autre, un volume de matières et une concentration des matières en décroissance exponentielle. Il ne faut pas détenir en doctorat en mathématique pour comprendre que cette situation converge très rapidement (un siècle ou deux, au maximum) vers l'extinction pure et simple de l'espèce humaine - et de beaucoup d'espèces vivantes - sur Terre.
Que peut-on faire pour redresser la barre :
1. faire diminuer drastiquement la démographie en imposant, partout dans le monde, des politiques d'incitation à la dénatalité et à la stérilisation ;
2. faire diminuer spectaculairement toutes les consommations de tout en taxant, très fortement, tous les produits en proportion de leur consommation de matières premières et d'énergies tant pour leur fabrication que pour leur utilisation, leur recyclage et leur rebut ;
3. recycler tout ce qui est économiquement recyclable, c'est-à-dire la grande majorité des déchets incontournables (et interdire l'usage de matières non recyclables) ;
4. interdire l'usage de matériaux à haute dispersion entropique (comme par exemple, les quarante alliages différents, communément utilisés par l'industrie automobile où sont injectés de très nombreux métaux rares qu'il est impossible de récupérer parmi le fer des tôles de casse) ;
5. forcer la conception et la fabrication de biens durables, réparables, utilisables, usables à la corde, interdire les objets jetables et sortir vigoureusement des politiques d'hyperconsommation ( interdire toutes les formes de publicité - la publicité est une pollution pernicieuse et crapuleuse des espaces informationnels).
Utopie ? Oui, peut-être, mais nous n'avons aucun autre choix si nous voulons que nos descendants aient une petite chance de survie !
Voilà bien le dilemme de notre époque : ou bien l'on continue de vivre comme avant, comme si de rien n'était, et l'on condamne à mort l'espèce humaine, ou bien l'on change radicalement nos modes vie vers une réelle frugalité et nos descendants auront peut-être une petite chance de (bonne ?) vie.
A chacun de prendre ses responsabilités et les mesures qui s'imposent. Je crains que l'immense majorité des humains ne soit pas prête à sacrifier sa facilité de vie. Et je suis donc infiniment pessimiste quant à l'issue de l'histoire. Il faut s'attendre à d'énormes cataclysmes dont, peut-être, une poignée d'humains sortira indemne pour tout recommencer … presqu'à zéro … et transmettre à leurs descendants ce précepte : empêcher, par tous les moyens, l'emballement des démographies et des technologies.
Marc Halévy, 21 mai 2012.