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Les fondements du Taoïsme

Le Taoïsme propose une vision du monde qui s'oppose en tout, à celle de la modernité occidentale. Il sera, sans doute, une clé de l'après-modernité.

S'il fallait faire entrer la pensée taoïste dans les catégories philosophiques occidentales, il faudrait distinguer, d'abord, le versant cosmologique (qui traite des principes fondamentaux qui régissent le tout du Tout) du versant anthropologique (qui traite de l'homme et de ses sociétés).

Cosmologiquement, le taoïsme philosophique est un naturalisme, un monisme, un processualisme, un panthéisme et un non-dualisme.

Anthropologiquement, il est un antihumanisme, un libertarisme, un élitarisme, un érémitisme et un antidémocratisme.

Essayons, brièvement, de définir chacun de ces mots techniques en "isme" afin d'éclairer notre sujet.

  • Naturalisme : rien n'est surnaturel, tout est naturel. Il n'y a ni "autre monde", ni "arrière-monde". Tout ce qui existe , existe dans la Nature, par la Nature et pour la Nature, même l'Esprit (l'Esprit-de-la-vallée qui fait tout s'écouler vers son destin), même les esprits qui hantent les sources, les arbres ou le vent. Il y a, dans le Taoïsme, comme de vieux relents de l'animisme ancestral, quelques touches de chamanisme antique véhiculées par le Yi-king : le Classique de la Mutation.
  • Monisme : tout est Un. Tout ce qui existe forme une unité absolu : tout est dans tout, tout est cause et effet de tout, tout est interdépendant de tout, tout est inextricablement intriqué. Le Tao est l'essence profonde de ce Un cosmique. Il fonde tout ce qui existe et tout ce qui existe émane de lui et n'en est que la manifestation et l'expression, comme les vagues à la surface de l'océan.
  • Processualisme : contrairement à la tradition européenne, la pensée chinoise s'ancre, non pas dans des métaphysiques de l'Être, mais bien dans une métaphysique du Devenir. Autrement dit : tout est impermanent, rien n'est fixe, rien n'est au repos, rien n'est stable : tout change tout le temps, tout évolue, tout se transforme, tout est vivant. Il y a là comme une sorte d'hylozoïsme stoïcien. La permanence de l'Être est une illusion ; seule l'impermanence radicale et définitive du Devenir est réelle et exprime l'essence profonde du Tao qui est "processus" et non "objet".
  • Panthéisme : il n'y a pas de Dieu personnel pour le Taoïsme philosophique. Une telle conception prêterait d'ailleurs à rire. Le mot "Dieu" n'existe pas en mandarin. S'il faut parler du Divin, alors que ce soit un Divin immanent, une sacralisation de la Vie et de la Nature. Le cosmos est un vaste système autocréateur et autoréférent. Le Taoïsme n'est pas un athéisme, comme on le dit souvent à tort, puisqu'il vénère la Nature et ses forces de Vie, puisqu'il reconnaît du Divin en tout, du sacré partout. Mais il est certainement un antithéisme, une négation claire et franche de tout Dieu personnel qui serait créateur du monde , mais extérieur à celui-ci, d'une autre nature que lui.
  • Non-dualisme : tout ce qui existe, est mû par une force dipolaire : le yin-yang. Mais il ne s'agit nullement d'une dualité, d'un dualisme, d'une opposition binaire comme on les aime en occident : bien-mal, beau-laid, vrai-faux, sacré-profane, etc … Rien de tel au sein du Taoïsme puisque toute bipolarité se résout dans le Tao vivant qui fonde, maintient et affirme l'unité absolue de tout ce qui existe.
  • Antihumanisme : la Chine n'est pas et ne sera jamais humaniste. Pour elle, l'homme est insignifiant, surtout lorsqu'il est individuel. L'individu ne compte pas. Les catégories kantiennes comme "l'inaliénable dignité humaine" non seulement lui sont étrangères, mais lui répugnent. L'homme ne vaut rien par lui-même. Il ne vaut que par ses œuvres. Si la muraille de Chine a coûté des centaines de milliers de vies humaines, qu'importe : la muraille est là et ces hommes morts sont oubliés. Ils ne comptent pas.
  • Libertarisme : le saint taoïste, la sage du Tao sont des hommes libres. Ils refusent la société. Ils refusent de vivre en société. La promiscuité des hommes leur répugne. Le bon Prince est un Prince qui laisse le Tao faire son œuvre, qui n'intervient pas, qui se contente de remplir les panses du peuple et à contenir les ardeurs des soldats ; son seul rôle est de maintenir la paix dans le sens de "ficher la paix".
  • Elitarisme : les petites gens n'offrent aucun intérêt pour le saint du Tao. A l'extrême limite, il accepte, parfois, de conseiller les Princes, mais le peuple ne lui est que "chiens de paille" : un objet de décoration que l'on brûle après la fête.
  • Erémitisme : l'idéal de vie du saint taoïste est la vie solitaire de l'ermite, au fond des forêts, au sein de la Nature, loin des hommes et de leurs turpitudes. Il exècre les villes. Il vit dans sa hutte, au fond des bois, chantant et rimant, s'enivrant de vin et de sagesse.
  • Antidémocratisme : inutile de préciser, après tout ce qui vient d'être dit, que le sage taoïste ne croit nullement en une quelconque sagesse du peuple, en un quelconque bon sens populaire, en une quelconque intelligence des masses. Il ne croit donc pas à la démocratie et certainement pas au suffrage universel. Mais il ne croit pas non plus à l'autoritarisme hiérarchique qui sera la colonne vertébrale du confucianisme. Très profondément, il ne croit pas en la société, il n'y voit que le champ de bataille des intérêts personnels, souvent mesquins et médiocres. Il préfère en tout la solitude, loin des hommes et de leurs miasmes.

Marc Halévy, le 30 octobre 2012