De l'imagination
La grande différence entre l'homme et l'animal, est que l'homme est un animal inadapté à la vie sauvage naturelle. L'homme est une erreur de la Nature, un animal dénaturé. Et, s'il a survécu et s'il a proliféré malgré cette inadaptation, il le doit à l'hypertrophie de son imaginaire qui lui permet de concevoir les dangers à venir et, donc, de les anticiper ; il peut ainsi se construire des représentations de son monde qu'il entend "comprendre". Ces représentations forment la Culture, cette force cognitive palliant les déficiences de sa nature.
La liberté est donc le fruit de l'imagination. Un être sans imagination est un être esclave de ses déterminations et programmations.
L'imagination n'est pas l'apanage de l'homme, mais elle est plus rare et moins puissante chez l'animal qui en a moins besoin pour survivre, étant mieux adapté à la réalité sauvage.
L'imagination a sauvé l'humanité de la sélection naturelle, non parce qu'elle est commune à tous (la plupart des hommes n'ont aucune imagination et sont de purs robots instinctifs), mais parce que certains hommes ont beaucoup d'imagination et sont enclins à en partager les fruits avec ceux qui les entourent et qui, ainsi, en bénéficient. Ce partage n'est en rien une preuve d'altruisme ou de sociabilité inhérents à l'humain, mais la simple conséquence du besoin de coalition des forces pour opposer une réaction suffisante au danger qui vient.
La survie de l'humanité tient ainsi à deux hypertrophies complémentaires, participant de la même logique de représentation anticipatrice : celle de l'imagination et celle du langage.
Ajoutons le troisième pied de ce tripode : la mémoire qui permet de conserver les représentations imaginaires qui "marchent" et dont la pertinence (que l'on appellera, plus tard, "vérité") sera renforcée à chaque application réussie.
Enfin, notons que l'imagination est d'autant plus sollicitée que les reliances et la résonance, que la sensibilité au monde sont plus grandes. De là, l'émergence de la caste des sorciers et chamanes, hommes "reliés", détenteurs des secrets de l'imaginaire et du langage … surtout poétique, symbolique, anagogique.
L'erreur de la Modernité, en général, et des "Lumières", en particulier, a été de croire cette fable que tous les hommes sont désireux et capables de liberté.
La responsabilité de cette erreur funeste est largement portée par Jean-Jacques Rousseau, grand inspirateur des révolutions parisiennes et des idéologies socialistes.
Il faut beaucoup d'imagination et de génie pour créer des chemins de liberté hors de l'autoroute des conditionnements divers. La plupart des hommes en sont totalement incapables, prisonniers, qu'ils sont, de leurs idoles et esclavages intérieurs, enfermés dans leur refus du réel et dans leur déconnexion d'avec lui.
L'imagination, lorsqu'elle n'est pas activée par la reliance au réel, boucle sur elle-même, s'étiole, se tarit et meurt.
Marc Halévy, 23 novembre 2012.