Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Nietzsche et la politique … contre l'Etat!

Chaque homme au service de sa vocation profonde.

C'est Hegel, dans ses "Principes de la philosophie du droit", qui a inventé la formule Arbeit macht Frei : "Le travail rend libre", slogan qu'avec cruauté, les socialistes nationaux allemands avait apposé au fronton de l'entrée du camp d'extermination d'Auschwitz. Il est évidemment absurde et exclu de faire un procès en nazisme à Hegel. Le pauvre en aurait été consterné. Aussi, vaut-il mieux oublier - l'espace d'une réflexion - cette récupération infâme et indigne.

Que signifie la formule sous la plume de Hegel ?

Le travail de l'homme accomplit le monde. Le travail, par cet accomplissement, donne sens et valeur à l'homme ; l'ennoblit, en somme. Et en accomplissant le monde par son travail, c'est lui-même aussi qu'accomplit l'homme. Et qu'est-ce que la liberté sinon cet accomplissement de soi qui désaliène de l'incomplétude, de l'ignorance, de la faiblesse, du manque vital, de l'angoisse existentielle ?

La liberté - Hegel l'affirme clairement - n'est jamais le "je fais ce que je veux quand je veux" ; cela n'est que du caprice puéril, aussi stérile qu'amer. La plus grande liberté de l'homme c'est le vouloir : le vouloir se placer au service de ce qui le dépasse infiniment (Nietzsche confirmerait en parlant de la Volonté de puissance qui pousse l'homme sur le chemin du surhumain).

C'est ici que Hegel s'invente le symbole de l'Etat absolu, figure hiératique et emblématique du Bien commun au-delà des petits égoïsmes minables et mesquins. Cependant, aujourd'hui que l'on connait les limites et horreurs de l'absolutisation du politique et de l'Etat (que Kant célébrait autant que Hegel), il est temps de nier l'Etat hégélien (à la Française), sans sombrer dans la "guerre de tous contre tous" à la Stirner (et à l'Américaine), et de dépasser l'opposition entre égotisation et socialisation[1].

Comme le yin et le yang chinois, l'individuation et l'intégration sont consubstantiellement liées l'une à l'autre. L'une est impossible sans l'autre. Faire, comme Stirner, de l'individu seul la clé du monde humain en prônant la liberté absolue et inaliénable, est aussi délétère que faire, comme Hegel, de la société seule (via l'Etat absolu) cette même clé en prônant l'abnégation dévouée, absolue et irréfragable.

L'heure a sonné d'une troisième voie : entre tyrannie sociétale (démocratique ou autocratique, de droite ou de gauche, mais toujours jacobine et centralisée, procédurière et fonctionnaire) et barbarie individualiste (l'égoïsme et l'égocentrisme amoraux, érigés en système), il faut chercher la voie de l'ordre organique (complexe) qui ne soit ni mécanique (hiérarchique), ni chaotique (anarchique).

Dire que chaque homme doit se mettre au service de sa vocation profonde ou dire que chaque homme doit se mettre au service de la vie globale, reviennent au même. L'équation upanishadique le confirme bien : le brahman et l'atman sont un seul et même tout. Car, au fond, l'intime vocation profonde de chacun ou l'immense vie du tout ne sont que deux expression complémentaire de la même intention d'accomplissement.

Ici encore, Nietzsche - et Dionysos - montreront la voie : ni l'Etat (qu'il haïssait), ni les philistins (qu'il détestait autant).

Marc Halévy, Mars 2012 


[1] Le modèle britannique, en ce sens, du moins jusqu'aux délires actuels de l'américanisations radicale et débile, a été une bonne tentative en ce sens avec les notions de gentleman, de privacy, de clubs, etc …