Du Dieu-Père à la Déesse-Mère
Les hommes ont abandonné la Déesse-Mère au profit du Dieu-Père dès lors que leur regard à quitté le réel terrestre pour contempler l'idéal céleste.
Car vu de la Terre, avec des yeux d'hommes, le royaume céleste semble être celui de l'ordre et de la régularité : ses cycles dans le temps, ses configurations dans l'espace et ses mouvements entre eux paraissent immuables, éternels.
On sait bien, aujourd'hui, que cette apparente perfection astronomique est le fait de notre myopie : lorsqu'on regarde les choses de trop loin, avec de mauvais yeux, on ne voit plus aucune aspérité, tout à l'air lisse.
La distance idéalise.
Mais la question de l'abandon de la vision matriarcale reste posée : pourquoi, à la complexité organique et à la diversité vivante de la Nature, l'homme a-t-il préféré l'ordre mécanique et la régularité morte de la voûte céleste ?
La question est de totale actualité car, de nos jours, le mouvement inverse s'impose, comme une parenthèse de douze mille ans (du néolithique au noétique) qui se referme.
Pourquoi l'homme a-t-il préféré (et préfère-t-il toujours) l'ordre du Ciel et de la Loi, à la richesse de la Terre et de la Vie ?
On peut évoquer la peur de l'incertitude et le désir de domination : ces deux causes se rejoignent car quel meilleur moyen que la domination pour imposer un ordre certain. La peur engendre le besoin de dominer. Soit ! Mais quelle est l'origine de cette peur ? Jusqu'il y a douze mille ans, la Terre était vue et vécue, malgré les évidents dangers de la vie sauvage, comme une généreuse mère bienveillante, offrant ses fruits à profusion.
Je pense bien volontiers qu'il faut voir, dans la révolution néolithique des débuts de l'agriculture et de l'élevage, un processus qui a dénaturé l'homme, qui l'a rendu orphelin de mère, qui l'a fait entrer dans la culture (au deux sens du mot) et qui a fait passé la Nature sauvage du statut d'amie qui offre ses fruits au statut d'ennemie qui saccage les champs et décime les troupeaux.
La Mère était devenue, dans l'esprit des hommes, une marâtre. Ils cherchèrent leur réconfort ailleurs.
Mais aujourd'hui, les hommes - du moins une minorité d'entre eux - prennent conscience qu'en détruisant la vie sauvage, qu'en domestiquant tout, qu'en pillant, saccageant, polluant chaque parcelle la Nature, ils sont en train d'assassiner leur seule Mère et qu'à travers elle, ils se tuent eux-mêmes.
Ils savent qu'il est amplement temps de faire amende honorable et de réparer toutes ces blessures infâmes et purulentes qu'ils lui ont infligées … s'il n'est pas trop tard.
Mais le grand basculement qu'ils appellent (qu'ils exigent) de leurs vœux, n'est pas qu'écologique. Il signe aussi la fin des philosophies, spiritualités et religions du Tout-Autre pour inaugurer l'ère du Tout-Un.
Les temps des idéalismes, des mysticismes et des théismes s'achèvent. Voici venu le temps du réalisme, du monisme et du panthéisme.
Marc Halévy, 4 avril 2013.