Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Eau et glace

Quelle différence entre l'eau et la glace ? D'un point de vue analytique, il n'y en a pas : ce sont deux assemblages des mêmes briques élémentaire : la molécule de H2O. Le problème semble alors résolu par la connaissance de la brique élémentaire. Mais ....
...  on peut s'intéresser à bien d'autres choses que la brique élémentaire et observer que, quelle que soit celle-ci, l'état solide cristallin et l'état liquide sont commun à presque tous les corps. On peut alors porter le regard du cristallographe et négliger complètement les états liquides comme sans intérêt et comparer les diverses organisations cristallines et en faire une description géométrique judicieuse. Le concept H2O sera, là, devenu complètement anecdotique.

Je puis encore m'intéresser plutôt au passage de l'état "glace" (ou cristal) à l'état "eau" (au liquide), et étudier la physicochimie et la thermodynamique des transitions de phase. Autre regard …

Tout ceci pour montrer que, parce que nous sommes encore intoxiqués de cartésianisme et du platonisme qui le fonde, c'est toujours la définition substantielle analytique qui l'emportera, non pas que les deux autres soient fausses, mais elles semblent ne pas dire, à nos oreilles matérialistes, l'essentiel : de quel matériau s'agit-il ?

Posons la question : qu'est-ce que ce glaçon ?

Si je réponds : "de l'eau gelée", tout le monde sera content.

Si je réponds : "c'est un cristal rhomboédrique en fusion superficielle, qui absorbe de la chaleur ambiante", cette seconde définition, quoiqu'infiniment plus riche et intéressante que la première, ne satisfera pas grand monde. Pourquoi ? Parce qu'elle n'est pas analytique, mais bien holistique, systémique !

La première réponse sera donc préférée ; et pourtant elle est fausse car, à l'intérieur du glaçon, ce ne sont pas des molécules d'eau qui sont assemblées en cristal ; celui-ci est un vaste réseau d'atomes d'hydrogène et d'atomes d'oxygènes où les molécules d'eau liquide sont dissociées pour former une molécule-glaçon de formule H2mOm (m étant le nombre immense - de l'ordre du nombre d'Avogadro - de molécules d'eau ayant cristalliser dans le glaçon).

Cette cristallisation ne conserve pas la notion "molécule d'eau". A proprement parler, si l'eau est H2O, le glaçon n'est pas de l'eau. Et l'on voit ainsi apparaître toute la faiblesse des approches substantielles (analytiques) face aux approches morphiques (holistiques).

Le discours symétrique peut plus difficilement être tenu entre eau et vapeur car, cette transition-là de phase conserve la molécule de H2O et ne touche, en fait, que le conflit entre forces superficielles de viscosité et impulsion cinétique. Si celle-ci est supérieure à celles-là, l'eau est liquide, en cas inverse elle devient gazeuse. La distinction entre états liquide et gazeux est donc bien moins pertinente que celle d'avec l'état solide qui ne conserve pas la "brique élémentaire" et perd, donc, son analycité.

Il faut bien comprendre toute la portée gnoséologique et épistémologique de ces quelques remarques anodines … Pour la pensée classique, l'essence du glaçon est d'être du H2O. Tout le reste n'est que propriétés accessoires, accidentelles, périphériques car, pour elle - comme pour Platon et Descartes -, la nature principielle du glaçon est H2O … ce qui est un parti-pris particulièrement artificiel et appauvrissant (et réducteur et faux, qui plus est) quant à la réalité autrement riche du glaçon en question.

Marc Halévy, 13 février 2013