Qu'est-ce que le hasard ?
Plus précisément, le calcul a été fait plusieurs fois avec sérieux (notamment par mon ami l'astrophysicien franco-américain de l'université de Virginie, Trinh Xuan Tuan) d'évaluer la probabilité d'émergence "par hasard" d'une cellule vivante. Et la réponse est claire, nette et précise : cette probabilité n'est évidemment pas nulle, mais elle est si petite que l'âge actuel de l'univers (13,7 milliards d'années) ne suffirait pas du tout pour que cette rencontre improbable arrive. Autrement dit : le hasard seul est incapable de produire la vie. Et l'esprit, encore moins.
Alors ?
Alors, il ne reste que deux solutions : celle de Thomas d'Aquin (le mot magique : Dieu) ou celle de la physique complexe.
Cette dernière réponse repose, en fait, sur un corollaire du calcul des probabilités lui-même : la probabilité de trouver augmente considérablement si l'on cherche ce que l'on veut trouver et si l'on utilise sa mémoire pour ne plus chercher là où l'on n'a déjà rien trouvé.
Le hasard n'est plus le maître dès lors que l'on pose que l'univers possède, intrinsèquement, une intention immanente (une flèche du temps, une orientation de l'évolution, une direction) et une mémoire immanente (une accumulation du temps, une thésaurisation, sous forme de "lois physiques", des solutions découvertes dans le passé pour des problèmes récurrents).
Autrement dit, très prosaïquement, le cosmos se construit poussé par l'intention de réaliser tous les possibles et par la mémoire des impasses et échecs du passé. Ainsi mû, il avance beaucoup plus vite que par le seul hasard. Cela n'élimine nullement le hasard. Mais cela en atténue les lenteurs et les inefficacités.
Et comprenons bien que ces notions cruciales d'Intention et de Mémoire (j'y mets à présent une majuscule pour marquer leur caractère à la fois métaphysique et cosmologique) élimine, en même temps, le dieu Hasard du matérialisme et le Dieu personnel du théisme.
Ni matérialisme, ni théisme. Ni hasardisme, ni idéalisme.
L'intentionnalisme est un spiritualisme !
Mais quelle est cette Intention cosmique ? Pour répondre à cette difficile question, il faut éviter tous les pièges des idéalismes qui, peu ou prou, ramène toujours au très magique Dieu personnel des théologies théistes. Si je dis, avec idéalisme, l'Intention fondatrice est identique à l'Idée de Bien (Platon) ou de Perfection (Augustin d'Hippone) ou d'Ordre (Descartes) ou d'Harmonie (Leibniz), je projette sur le Tout un fantasme humain. Pour être véritablement immanente et intrinsèque, l'Intention doit être autoréférente : les aspirations humaines doivent en demeurer rigoureusement étrangères : elle ne peut donc se réduire à aucune Idée, quelque séduisante ou exaltante soit-elle.
Il n'y a dès lors plus qu'une seule solution possible : l'Intention cosmique immanente est d'actualiser toutes ses propres potentialités, de réaliser tous ses propres possibles, d'engendrer tout l'engendrable en elle, bref cette Intention est son propre accomplissement en plénitude.
Autrement dit, pour reprendre la phrase fameuse que Nietzsche a partiellement empruntée à Pindare, la grande devise cosmique du Réel est : "Deviens ce que tu es et fais ce que toi seul peux faire !". Exprimer tout ce qui est latent, accomplir tout l'accomplissable, tenter tous les possibles, oser toutes les combinaisons et voir ce que cela donne et savoir qu'il y aura plus d'échecs que de succès. Mais qu'importe : l'univers a le temps puisque c'est lui--même qui engendre le temps - comme l'espace, l'énergie et la néguentropie.
Marc Halévy, 1 février 2013.