Histoire, politique et nature humaine
La bien-pensance idéologique fait de la politique le moteur de l'Histoire. Rien n'est plus faux. Dès lors que le politique tente de forcer l'Histoire, cela débouche, systématiquement, sur des dictatures atroces et sanglantes.
Et c'est toujours au nom de l'Idéal que l'on veut forcer l'Histoire, que l'on croit pouvoir changer la Nature et, en particulier, la nature humaine. Toujours, une poignée d'idéologues qui se disent idéalistes, refuse la réalité, nie le réel tant de la société que de l'humain qui vit cette société. Elle fantasme et attend son heure ; et dès que l'occasion s'en présente - ce qui, heureusement, est une conjonction rare d'événements et de moyens -, elle impose son modèle qui, bien sûr, ne colle pas avec cette réalité qu'elle nie. Alors, ou bien c'est l'échec ou bien vient la tyrannie avec son cortège de terreurs, de violences, de purges et d'appauvrissements.
L'erreur est de ne pas comprendre que l'Histoire se tresse par la rencontre, au quotidien, d'une activité économique qui engendre de la richesse, d'une infrastructure logistique qui aménage un territoire et d'un paradigme noétique qui alimente des croyances et des modèles. Le politique, là-dedans, se réduit au façonnage d'institutions qui, en théorie, sont censées faciliter ou optimiser ce tressage, mais qui, le plus souvent, en pratique, se contente d'y creuser des niches de pouvoirs avec les prébendes qui les accompagnent.
Mais, en amont et en soubassement de cette dynamique sociétale, il y a la nature humaine - concept de plus en plus critiqué ou refusé par les missionnaires de l'humanisme.
L'homme est un animal comme les autres, doué d'imagination (c'est son "propre") mais régi, largement, par une idiosyncrasie biologique et atavique : chaque homme est le fruit de l'histoire humaine, du phylum humain ; la liberté de l'homme s'inscrit dans un champ limité par cette idiosyncrasie, elle ne peut exploiter que ce qui est indifférent à la Nature et à sa nature. La liberté ne peut pas s'opposer à la réalité, elle peut seulement s'en accommoder et s'y lover.
Mais revenons à la nature humaine qui hérisse tant les idéologues.
L'homme est un être chez qui la propension à l'individuation s'oppose toujours la propension à l'intégration. Bien sûr, cette opposition connaît des degrés d'intensité très variables selon les périodes, selon les circonstances, selon les peuples. Mais toujours, l'homme veut vivre sa différence (il appelle cela sa liberté) et s'affirmer comme individu avant que d'être réduit à quelque rôle que ce soit, comme celui de citoyen .
L'homme est un animal largement asocial. Il vit en société tant qu'il a besoin des autres pour pallier sa propre faiblesse native : les idéologues appellent cela le principe de solidarité, mais il vaudrait mieux appeler cela le principe de parasitage. Mais dès qu'il en a les moyens, il s'isole avec ses proches dans une bulle quasi autarcique (qu'il appelle sa "vie privée"), étanche à ces mêmes autres qu'il ostracise. L'homme n'aime pas son prochain (deux milles ans de culpabilisation chrétienne, dont mille ans de violences ecclésiales, n'y ont rien changé) ; il le subit, il le supporte, il le tolère … plus ou moins, mais il ne l'aime, il n'en veut pas, il ne souhaite que s'en écarter.
Marc Halévy, 28 décembre 2012