L'imaginaire et la mort ...
L'idée d'une "autre vie" est au cœur des dispositifs sotériologiques de bien des religions qu'elles soient monothéistes (l'immortalité de l'âme dans l'au-delà post mortem : christianisme, islam et un certain judaïsme) ou non (les réincarnations, métempsychoses, transmigrations, palingénésies du pythagorisme, de l'hindouisme ou du bouddhisme).
Cette idée est fort ancienne puisque, dès l'homo sapiens d'il y a près de 40.000 ans, apparaissent des rites d'inhumation des morts, souvent en position fœtale, accompagnés d'objets et de nourriture destinés à faciliter son "voyage dans l'au-delà".
L'homme n'accepte pas sa propre mort malgré qu'elle soit le symétrique indispensable de sa propre naissance qu'il accepte, elle, bien volontiers. Curieuse et funeste dissymétrie …
Avec ces rites funéraires, apparaît une espérance et un espoir : celle d'une vie autre, future, ailleurs, qui serait infinie. Or n'est-ce pas l'idée forte de toute philosophie du tragique, de toute philosophie de l'œuvre que de vouloir se dés-espérer, de renoncer à ces espoirs et espérances qui ne sont que pur phantasmes, que pur produits de l'imaginaire.
Accepter et assumer son destin, accepter et assumer son humanité avec dignité, c'est aussi accepter et assumer sa propre mort.
Sans l'échéance de la mort, il n'y a plus d'œuvre, il n'y a plus d'accomplissement possible. Lorsque l'on a "out le temps", on ne fait plus rien. Or, l'homme ne vaut que par ce qu'il fait. S'il ne fait rien, il ne vaut rien. La mort est le prix de la valeur. De la valeur de soi, de la valeur des autres, de la valeur des œuvres.
Pourtant, depuis qu'il est sapiens, donc "sage" ou "savant", l'homme n'accepte pas sa finitude , ce qui ne plaide pas en faveur de sa prétendue "sagesse" et de ses prétentions au "savoir" … Il n'accepte pas de venir du néant et d'y retourner après un bref séjour au pays des vivants.
Pourquoi ? Par orgueil, bien sûr ! Malgré que le monde lui-même soit fini et qu'une démographie indéfiniment croissante serait une condamnation à mort pour tous (c'est le cas de figure que vit notre époque avec ses 7,5 milliards d'humains alors que la Terre ne peut en porter et nourrir durablement qu'au maximum 2 milliards), chaque individu, sauf rares exceptions, estime pouvoir et devoir refuser l'idée de sa propre mort. Quelle contradiction ! Quel puérilité ! Mais où est le problème ? Mais en quoi ma propre finitude qui donne valeur et saveur à tout, devrait-elle être rêvée comme infinitude, c'est-à-dire comme ennui et fadeur éternels ? La mort n'est pas effrayante - c'est la douleur physique qui l'est ! Tout au contraire, la mort est une bénédiction lorsqu'elle arrive à temps, c'est-à-dire lorsque, selon la belle expression biblique, on est "rassasié de jours", lorsque toute la cire de la chandelle a été sublimée, que toute sa mèche est consumée et que la chandelle s'éteint tout doucement, tranquillement, sereinement.
Pourquoi donc vouloir accéder à une imaginaire vie éternelle ?
Marc Halévy, 1 août 2013