Mémoire et réminiscence
Essayons de bien comprendre que, dans l'histoire de l'Univers, rien ne s'efface. Le passé ne disparaît pas ; il n'est pas chassé dans le néant par chaque nouvel instant présent qui arrive. Il perdure, comme le bois de l'arbre qui n'est plus actif, mais qui porte, à sa périphérie, la mince couche active de l'aubier. L'aubier de l'univers, c'est le présent, c'est la mince couche active à laquelle appartient notre conscience. Mais ce présent est "soutenu", en quelque sorte, par la totalité de tous les instants passés qui se sont accumulés, intacts, portant, engrammée en eux, la totalité de tout ce qui s'est passé depuis l'origine des temps.
Lorsqu'on visionne un film, n'est active qu'une seule image à la fois : celle que l'on voit sur l'écran et qui sera très vite chassée par l'image suivante, au gré du défilement. Mais cela n'implique nullement que toutes les images antérieures aient été effacées. Elles restent toujours bien là, inactives, mais réelles, gravées sur le DVD. Et si l'on maîtrise bien la manipulation de la machine, il nous est loisible de faire des arrêts sur image ou de faire des retours sur images. C'est cela se rappeler (re-appeler), se souvenir (faire venir de dessous).
Eh bien, imaginons que l'Univers entier soit un tel DVD mais où la suite de l'histoire n'est pas encore écrite sur le DVD. L'histoire se crée, s'improvise, s'invente au fur et à mesure que l'on visionne (vit) le "DVD" cosmique. Mais tout ce qui a été vécu est définitivement engrammé. Donc, moyennant une bonne maîtrise de la télécommande que nous possédons dans notre mental et qui s'appelle "réminiscence", nous pouvons remonter le film et retrouver des scènes très anciennes (ce qui n'empêchera pas le scénario de continuer à s'inventer et à continuer à vivre sa vie, sans notre conscience qui est occupée ailleurs, à ce moment).
Pour la plupart des gens, leur capacité de réminiscence ne va pas très loin. Ils ne peuvent rappeler à eux (se rappeler, donc) que les scènes dont ils furent acteurs eux-mêmes. Et encore, la plupart des scènes anodines, sans du tout avoir été effacées (rien ne s'efface du DVD cosmique), ne leur son plus accessibles : leur télécommande mentale est trop faible. Mais imaginons que, comme pour toutes les facultés humaine, certains aient développé une maîtrise exceptionnelle de leur télécommande mémorielle et puissent remonter loin sur le DVD cosmique, jusqu'à pouvoir rappeler à eux (se rappeler) des scènes dont ils ne sont pas acteurs parce que ces scènes sont celles où jouaient à la vie d'autres personnes qu'eux, ou parce que ces scènes sont trop lointaines et qu'ils n'étaient pas encore nés. On pourrait appeler cela des facultés supranormales, non ? N'est-ce pas ce que nous faisons, inconsciemment, le plus souvent, lorsque nous tentons de "comprendre" l'autre, ou le monde, ou le Tout cosmique : entrer en résonance avec la mémoire de cet autre, de ce monde, de cet Univers pour "voir" comment il fonctionne.
La bonne nouvelle, c'est que la maîtrise de notre télécommande mentale s'apprend, s'exerce, se "muscle" par la pratique et que l'accès à ces trésors mémoriels (du moins à une part d'entre eux, plus profonds que nos souvenirs de vacances) sont à notre portée, si nous le voulons vraiment.
Marc Halévy, 11 janvier 2013.