Mystique philosophique
Il peut paraître curieux, voire paradoxal, de juxtaposer deux termes que tout semble, sinon opposer, du moins séparer.
La Mystique n'est-elle pas une approche du Réel qui se place au-dessus ou au-dehors de l'activité de pensée rationnelle ? Ne se base-t-elle pas plus sur l'intuition et la recherche de l'extase, que sur la rigueur des raisonnements ?
De son côté, la Philosophie n'est-elle pas le parangon de l'activité rationnelle, en quête de la vérité partout où l'on croit pouvoir en débusquer quelque bribe ?
Au début (de notre démarche, sinon des temps …), il y a la conscience.
Et cette conscience est confrontée, immédiatement, à elle-même, d'abord, à son "dedans". Dans un second temps, elle s'aperçoit que tout n'est pas son "dedans" mais qu'il existe un "dehors" sur lequel elle a peu prise. Et ce "dehors", selon le canal qu'elle utilise pour l'appréhender, se découvrira comme la Nature perçue par le Corps, ou la Vie ressentie par la Cœur, ou le Réel conçu par l'Esprit et ou le Divin reçu par l'Âme.
La Mystique, comme la Philosophie, a pour but unique de développer, d'élargir, de fertiliser, d'approfondir les relations entre la Conscience intérieure et la Nature, la Vie, le Réel et le Divin, bref : sa relation avec le Tout-Un qui l'enveloppe.
La Philosophie, de sont côté, avec ses méthodes et langages, elle aussi tente d'élucidé les rapport entre la Conscience et cette Nature (c'est l'écologie), cette Vie (c'est l'éthologie), ce Réel (c'est la cosmologie) et ce Divin (c'est la théologie), donc avec ce Tout-Un (c'est la métaphysique).
La Mystique fait vivre ce que la Philosophie conceptualise.
La Mystique se vit comme la Philosophie se pense.
Mais redisons bien que leur objet et leur but sont les mêmes, exprimés différemment. La Mystique vise la Joie et la Philosophie vise la Connaissance. Soit. Mais qui oserait prétendre qu'il n'y a pas de Joie sans Connaissance, ni de Connaissance sans Joie ?
Il y a les Mystiques de la Conscience (ou de la Psyché) : les voies de la Conscience pure comme la méditation zen ou bouddhiste.
Il y a les Mystiques du Corps (ou de l'Eros) : les voies de la maîtrise de certains organes comme quelques yogas indiens ou de certains orgasmes comme le tantrisme kashmiri.
Il y a les Mystiques du Cœur (ou de la Storgué) : les voies de la dévotion, des arts plastiques, parfois, de la musique, souvent, de la prière.
Il y a les Mystiques de l'Esprit (ou de la Philia) : les voies de l'étude et de l'herméneutique, du kabbalisme et des upanishad, du Tao-chia philosophique.
Et il y a les Mystiques de l'Âme (ou de l'Agapè) : les voies de la contemplation, de l'extase, de l'unio mystica, du soufisme, d'une certaine poésie.
Parallèlement, la Philosophie aussi s'applique à atteindre la Connaissance de la Nature de la Vie, du Réel et du Divin. Mais le seul chemin qu'elle emprunte est celui de l'Esprit, de la pensée, de la raison et de l'intuition conceptuelle, de l'argumentation logique.
La Philosophie, du moins dans ce qu'elle a de plus précieux et de plus profond, est donc bien une Mystique de l'Esprit. Elle s'origine dans la culture grecque antique dont elle fut, en somme, la grande religion (du moins pour cette aristocratie que constituaient les philosophes). Car, au fond, quelle est la différence réelle entre les mythes religieux, les concepts philosophiques et les théories scientifiques ? Il n'y en a pas. Seul les langages et les méthodes de référence changent, mais l'identité de fond demeure : quête de la Joie et de la Connaissance, de la Joie par la Connaissance et de la Connaissance par la Joie.
Voilà que s'ouvre, ainsi, cette voie nouvelle : celle de la Mystique philosophique qui, parmi toutes les voies de la Mystique, élit celle de l'Esprit, celle de la pensée construite, logique et conceptuelle, et l'applique à féconder, en profondeur, les relations et rapports entre Conscience, Nature, Vie, Réel et Divin.
Elle sera plutôt Philosophie mystique lorsqu'elle penchera plus du côté de la Connaissance qui se cherche. Elle sera plutôt Mystique philosophique lorsqu'elle penchera plus du côté de la Joie qui se vit. Mais qu'importe ces nuances subtiles - et peut-être inutiles … pourvu que Philosophie et Mystique soient réunies et réconciliées.
Marc Halévy, 8/10/2013