Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Processus

Redéfinir la métaphysique non plus à partir de l'Etre, mais à partir du Processus

Toute la métaphysique ne devient compréhensible que lorsqu'on ose remplacer partout le mot "Être" par le mot "Processus". Tout ce qui est, est processus, ou plutôt : tout ce qui existe, est processus.

Car "Être" n'est rien d'autre qu'un verbe auxiliaire (une copule) qui assure l'identité entre deux prédicats comme "le chien est un animal" (c'est le ser espagnol) ; dans tous les autre cas, il faut utiliser le verbe "exister" (c'est le estar espagnol) et jeter aux poubelles de la pensée ce substantif verbeux sans sens qu'est le mot "Être".

Par exemple : Aristote définit l'ontologie comme la science de l'Être en tant qu'être. Au fond, cela ne signifie rien. Par contre, la définition d'Aristote devient lumineuse si l'on opère la substitution proposée : l'ontologie est la science des processus en tant que processus ; elle est donc l'étude du processus en soi (comme a tenté de le faire, avec des résultats mitigés et abscons, Alfred North Whitehead), l'étude du concept pur et abstrait de processus, indépendamment du sujet, de l'objet et du projet dudit processus ; elle fonde la logique processuelle.

Dans la même veine, Heidegger offre ainsi un : "Processus et Temps", ou Sartre pérore sur : "Le Processus et le Néant". Ou encore, dire de Dieu qu'il est l'Être suprême ne dit rien, mais dire de Dieu (ou du Tao) qu'il est le Processus suprême ou ultime, dit tout.

La métaphysique, alors, devient la réflexion sur la nature même du processus, quel qu'il soit, et de sa logique processuelle, alors que la physique devient l'étude de tous les processus de la Nature, étude animée du secret espoir de montrer que tous ces processus singuliers ne sont que des cas particuliers d'une seul et même processus cosmique.

Au sens classique, comprendre un phénomène, c'est comprendre l'explication donnée au phénomène, c'est prendre avec soi et pour soi cette explication comme porteuse de sens c'est-à-dire de plausibilité sinon de vérité. C'est donc accepter l'analyse causale du phénomène, son dépliage externe (ex plicare), son démontage en séquences causales : expliquer, c'est expliciter les causes.

Derrière toute explication, il y a une modélisation causale, une recherche de LA cause ou, à tout le moins, du très petit nombre de causes que l'on croit suffisantes pour faire entrer le phénomène dans une logique déterministe linéaire : si ceci(s) alors cela. Or ce mode causal ne fonctionne que pour les processus les plus élémentaires qui répondent aux principes du mécanicisme. Dès lors que le processus monte dans l'échelle de la complexité, le nombre des "causes" à convoquer devient infini puisque là, tout est cause et effet de tout. Il ne s'agit plus de causalité différentielle, mais de causalité intégrale comme l'avait bien conjecturé Ernst Mach.

Dans ces conditions, l'explication par la causalité mécanique doit être abandonnée et le principe d'émergence convoqué : un phénomène local surgit du fait d'une situation locale, fruit d'une causalité intégrale qui englobe tous les phénomènes et processus de l'univers depuis le big-bang. Cette situation locale est un nœud saturé de tensions pour lequel toutes les "solutions" mécanistes sont en échec. La dissipation de ces tensions appelle des structures émergentes auto-organisées, donc non causées du dehors mais générées du dedans (ce sont les structures dissipatives de mon maître Ilya Prigogine). Ainsi, de l'explication causale des choses, faut-il passer à la présentation émergentielle du processus en décrivant la structure du nœud saturé de tensions (c'est précisément la description de la crise locale latente) et les scénarii de dissipations possibles (mais contingents, non déterministes). 

Ainsi dès que l'on quitte l'apparence du phénomène et que l'on tente de le comprendre (dans une autre sens que ci-dessus) comme processus, alors l'explication causale ne tient plus et cette compréhension exige l'implication du sujet qui veut comprendre, dans le projet processuel qui sous-tend le phénomène.

Comprendre non pas l'être d'un phénomène (propre à l'objet), mais son processus, revient à faire entrer, méthodiquement, ce processus en concordance avec les processus de connaissance (propre au sujet) qui est processus de compréhension. Cette concordance devient le projet du sujet pour l'objet.

C'est le degré de cette concordance qui mesurera le degré de plausibilité - et donc de "vérité" - de la connaissance qui en relève.


Marc Halévy, 8 janvier 2013