La grande révolution cosmologique
D'un côté, la cosmologie confirme que l'univers est porté par trois propensions croissantes à l'expansion volumétrique, à la complexification eidétique et à l'accélération dynamique.
De l'autre, elle s'appuie sur une physique dont le pilier central est un ensemble de lois de conservation au premier rang desquelles celle de la conservation de l'énergie.
En tout bon sens, une logique propensive et une logique conservative sont antinomiques. Cette antinomie logique est au cœur du processus aboutissant à la pose de ces hypothèses fumeuses que sont l'énergie noire, la matière noire, les trous noirs, les particules indétectables, le boson de Higgs, … et toute la panoplie des délires à la mode.
La seule attitude raisonnable pour dépasser les impasses actuelles est de poser, tout simplement, que les lois de conservation ne sont qu'approximatives et seulement valables dans les zones de l'univers où l'activité est faible, c'est-à-dire là où une ou plusieurs des propensions sont négligeables.
Plus généralement, le grand critère de plausibilité d'une théorie cosmologique ou physique fondamentale est la qualité de la réponse qu'elle donnerait à la question : pourquoi en serait-il ainsi et pas autrement ? Au fond, on retrouve là le critère d'économie d'Occam ou le critère d'harmonie d'Einstein.
Et bien sûr, on en revient à ceci : puisque l'univers est un processus en marche (expansion, complexification, accélération) et puisque le credo physicien (sinon il n'y aurait pas de physique, donc pas sciences) affirme que ce processus est animé par une logique c'est-à-dire une intention (une in-tension, une tension intérieure comme celle de maximiser son entropie ou de minimiser son lagrangien, etc …), la plausibilité d'une théorie se mesure à l'aune de la simplicité et de la clarté de l'intention qui lui est sous-jacente.
En récusant la notion d'intention et, donc, en se fondant sur un pur hasardisme, la physique mécaniciste récuse, du même coup, l'idée que l'évolution de l'univers soit portée par une logique ; cette physique devient alors, automatiquement, illogique, ce qui est bien vérifié dans les théories fumeuses d'aujourd'hui.
Le hasardisme mécaniciste aurait pu être plausible dans un univers statique (sans évolution, sans propensions) ; c'était la vision physicienne depuis Leucippe et Démocrite jusqu'à Lemaître, ce fut la raison du succès de la physique mécaniciste des 17ème, 18ème et 19ème siècles. Mais le paradigme d'un univers évolutif (vers quoi ? dans quel but ? mû par quelle intentions ? au service de quelles propensions ?), ensemencé par les travaux d'Einstein, Friedman, Lemaître et Gamow, sape définitivement et irréversiblement le paradigme antérieur, mécaniciste, déterministe, conservatif et hasardiste.
L'affrontement de ces deux paradigmes est encore très doux (le nouveau étant largement minoritaire) pour la simple et bonne raison que le financement de la recherche est décidé par des instances dont l'idéologie est farouchement mécaniciste et dont les referees de Nature sont la sainte Inquisition.
La science classique est platonicienne en ce sens qu'elle cherche, derrière tout ce qui évolue, des "choses" qui n'évolueraient pas, des "immuables" (des structures mathématiques au sens du pythagorisme ou des Idées au sens du platonisme).
En ce sens, Werner Heisenberg témoigne :
"La physique moderne a définitivement (sic) opté pour Platon. Car les plus petites entités de matière ne sont pas des objets physiques au sens ordinaire du terme : ce sont des formes, des structures, ou - au sens platonicien - des Idées, dont on ne peut parler sans ambiguïté qu'en langage mathématique".
Ce platonisme implicite - et parfois explicité - s'effondre dès lors que l'on convient que tout évolue et que rien n'est immuable (pas même ni les "constantes" universelles, ni les "lois" universelles de la physique qui, si elles ne sont pas des heuristiques accumulés, appellent un absolu platonicien antérieur et extérieur au "big-bang").
Or, c'est bien vers cette muabilité universelle que conduit toute la cosmologie postclassique, rejoignant ainsi les grandes intuitions taoïstes sur l'impermanence foncière de tout ce qui existe.
Le Devenir abolit l'Être ! La métaphysique et la physique du Devenir (de l'évolution de tout et du Tout) abolit toutes les métaphysiques et physiques de l'Être (de l'existence d'invariants transcendantaux et intemporels, inaltérables).
Il n'y a pas de constantes physiques universelles, il n'y a pas de lois physiques universelles ; il n'y a que des paramètres d'ajustement et des heuristiques[1] processuels.
Chaque saut de complexité induit de nouveaux heuristiques qui se superposent aux précédents et qui deviennent les "lois" spécifiques à ce plan-là d'existence[2].
Charles Sanders Peirce : "Il y avait de légères tendances à obéir aux règles déjà suivies, et ces tendances devinrent des règles de plus en plus suivies par leurs propres actions".
Friedrich Nietzsche : "Au commencement des choses nous devons peut-être supposer, comme forme générale d'existence, un monde qui n'était pas encore mécanique, fonctionnant en dehors des lois mécaniques bien qu'ayant accès à elles. Ainsi l'origine du monde mécanique serait un jeu sans règle, acquérant finalement un cohérence égale à celle que les lois organiques semblent avoir aujourd'hui. '…) Toutes nos lois mécaniques ne seraient donc pas éternelles, mais elles évolueraient, survivant à d'innombrables autres lois mécaniques".
William James : "Si l'on prend la théorie de l'évolution au pied de la lettre, on doit l'appliquer non seulement aux strates rocheuses, aux animaux et aux plantes, mais aussi aux étoiles, aux éléments chimiques et aux lois naturelles. Il doit y avoir eu des temps très anciens, est-on tenté de supposer, où les choses étaient vraiment chaotiques. Peu à peu, de toutes les hasardeuses possibilités de ces temps, quelques objets et habitudes connexes sont apparus et les rudiments d'un fonctionnement normal ont commencé".
Alfred North Whitehead : "Le temps se différencie de l'espace par le fait d'hériter de modèles du passé. (…) Les gens commettent l'erreur de parler de 'lois naturelles'. La nature n'a pas de lois, elles n'a que des habitudes temporaires".
Qui dit mieux ?
Marc Halévy, 11 septembre 2013
[1] Un heuristique est un mode de fonctionnement ou de travail, un "tour de main" qui s'élaborent par la pratique, sans recours à aucune théorie préétablie. Les heuristiques, c'est ce que l'on "apprend sur le tas".
[2] Ainsi, les "lois" de la Vie ne peuvent pas se réduire aux "lois" de la physico-chimie, etc …