Contre l'idéalisme
L'idéalisme met l'Idée à l'origine du Tout. Ce fut la doctrine de Pythagore et de son disciple Platon. Pythagore, en cela suivi par Platon, pose l'existence de deux réalités parallèles : celle que nous connaissons comme univers matériel, soumis à l'imperfection, à la transformation, à la naissance et la mort, à l'impermanence …, et celle des invariants immatériels et éternels qui président, comme autant de modèles parfaits, à l'évolution des formes contenue dans l'autre réalité.
Pour Pythagore, ces invariants sont les nombres et les figures mathématiques. Pour Platon, ce sont les Idées qui, toutes, découlent de l'Idée de Bien. Le christianisme reprendra cet idéalisme platonicien, mais remplacera l'Idée suprême de Bien par Dieu.
On comprend, par exemple, en suite de ce qui vient d'être dit quant au matérialisme, que si l'on pose que les lois de la physique préexistaient à la substance, avant le big-bang, nous aurions affaire à un idéalisme parfait, de type pythagoricien, où les invariants mathématiques seraient remplacés par cet invariant physique, par ailleurs mathématisé.
La physique théorique classique oscille, ainsi, entre matérialisme (c'est la voie du modèle standard des particules et de la physique quantique) et idéalisme (c'est la voie du modèle standard cosmologique et de la physique relativiste).
Mais revenons à Jacobi et à l'idéalisme qu'il pourfend. Il ne peut y avoir d'idéalisme métaphysique sans un dualisme ontique. Pour le dire autrement, pour qu'il y ait idéalisme, il faut deux réalités parallèles, irréductibles l'une à l'autre, l'une était idéale, parfaite et éternelle, l'autre étant un chantier chaotique tendu vers cet idéal.
La "réalité" idéale est immatérielle (des nombres, des figures géométriques, des Idées ou le Dieu des théistes). La réalité réelle est matérielle (l'univers où nous vivons ou que nous vivons).
Ce dualisme heurte la règle du rasoir d'Occam qui établit qu'une hypothèse supplémentaire, inutile pour rendre compte du Réel tel qu'il est, est superfétatoire et doit être éliminée. La thèse moniste qui prône l'existence d'une seule et unique réalité, considère que tout dualisme est superfétatoire et prétend, avec beaucoup de bon sens, que les deux réalités parallèles des idéalistes n'en font qu'une qui est leur synthèse. Ce sera la thèse dominante chez les philosophes romantiques.
Indiquons encore deux réflexions.
La première concerne Descartes et affirme clairement que le système cartésien est bien un idéalisme dualiste, forgé sur le modèle chrétien ; le point de contact des deux réalités, divine et mondaine, étant l'âme humaine qui appartiendrait à la réalité divine immatérielle, mais qui aurait été enfermée dans un corps matériel appartenant à la réalité mondaine.
La seconde réflexion porte sur la version politique de l'idéalisme qui postule l'existence d'une société idéale et/ou d'un homme idéal vers lesquels il faudrait- absolument tendre par tous les moyens. L'idéalisme politique se nomme "idéologie" ; et, à bien considérer toutes les idéologies de l'histoire des hommes, elles ont toutes abouti à des horreurs, des bains de sang et des dictatures infâmes. Pourquoi ? Parce que l'idéalisme en général et l'idéologie en particulier refuse d'accepter la Nature universelle en général (considérée comme impure, imparfaite, impermanente) et la nature humaine en particulier. L'idéalisme et l'idéologie s'oppose à la Nature et à toute nature, et traduisent ce refus en violence, physique ou morale. Toujours.
Marc Halévy, 25 juillet 2014.