Les mythes absurdes de Jeremy Rifkin
"Le plus grand danger, dans les moments de turbulence, ce n’est pas la turbulence ; c’est d’agir avec la logique d’hier". Peter Drucker
Le constat de départ est juste : l'ère du pétrole, sous ses formes conventionnelles et non conventionnelles, arrive à sa fin. Mais ce constat n'est que très partiel. Ce sont toutes les ressources naturelles qui sont entrées en pénurie, à commencer par l'eau douce, les terres arables, les métaux non ferreux, les terres rares, le gaz "naturel", le charbon, l'uranium, … et j'en passe et des meilleures. Ne se pencher que sur le problème énergétique lié au pétrole en voie de disparition est une faute : le problème est systémique et touche, en même temps, toutes les dimensions de l'écosystème humain.
Toutes les élucubrations de Rifkin ne concernent que la problématique des besoins énergétiques domestiques. Il passe sous silence les besoins énergétiques industriels qui sont autrement plus importants : la consommation énergétique domestique ne correspond qu'à quelques pourcents des besoins totaux. Mais soit. Commençons par là. La maison "neutre" voire "positive" en matière énergétique est réellement possible aujourd'hui … à condition qu'elle soit construite à neuf, avec les nouveaux matériaux isolants dont la production exige l'usage de matières déjà rares et une grosse consommation … d'énergie. Jeremy Rifkin n'a pas compris le second principe de la thermodynamique et n'a pas pu comprendre qu'en physique, il n'y a jamais de miracle car tous les rendements de transformation de matière et d'énergie sont toujours plus petit que "un". Pour produire quelque chose quelque part, il faut détruire quelque chose autre part, et il faut détruire plus que l'on ne produit. Et plus on produit, plus on détruit beaucoup plus. Désolé : les lois de la physique s'appliquent, même à l'orgueil humain.
Rifkin s'intéresse à l'énergie (la science qui s'occupe de l'énergie et de ses transformations, s'appelle la thermodynamique). Voyons donc.
L'énergie se manifeste selon trois voies : l'énergie potentielle (comme dans l'eau prisonnière d'un barrage), l'énergie libre (qui est toujours une énergie cinétique comme la température d'un gaz, l'intensité d'un courant électrique, la vitesse d'un mobile, la lave d'un volcan, etc …) et l'énergie capturée (dans un noyau atomique comme l'uranium, dans des molécules chimiques comme le bois, le pétrole ou le gaz "naturel", dans un cristal comme le graphite du charbon, etc …). Quand nous disons que nous "consommons de l'énergie", en fait nous dégradons de l'énergie potentielle ou capturée, à haute néguentropie, en énergie cinétique à basse néguentropie (l'électricité) ou à très basse néguentropie (la chaleur du feu ou les rayons solaires).
Stocker de l'énergie consiste à transformer de l'énergie libre en énergie capturée (en transformant, par exemple, des rayons solaires en molécules végétales par réaction chlorophyllienne) ou en énergie potentielle (par exemple, en faisant tourner des pompes électriques pour remonter de l'eau au-dessus du barrage). Bref, le stockage d'énergie consiste à transformer de la basse néguentropie en haute néguentropie, et cela consomme énormément d'énergie par application simple et immédiate du second principe de la thermodynamique. Le stockage d'énergie consomme plus d'énergie que la quantité d'énergie que l'on stocke. Voilà ce que Jeremy Rifkin n'a pas compris.
Bref, contrairement aux allégations de Rifkin, la bonne énergie libre de haute qualité (comme l'électricité) ne se stocke pas (ou très mal et à très grands frais). Son stockage implique sa dégradation. Pas de chance, cher Jeremy ! L'idée de réinjecter l'énergie électrique domestique produite en trop dans les réseaux de distribution générale, est pratiquée en France depuis longtemps, et coûte une fortune au contribuable via EDF qui rachète cette énergie pour la redistribuer, mais qui ne la redistribue pas puisqu'elle est produite quand on n'en a pas besoin et qu'elle n'est que peu stockable.
L'énergie solaire est de très mauvaise qualité. Pour être utilisable par l'économie humaine, il faut qu'elle soit reconcentrée … ce qui consomme énormément d'énergie (même raisonnement que ci-dessus). Par exemple, les panneaux photovoltaïques, tant vantés par Rifkin comme panacée, ont des rendements globaux négatifs c'est-à-dire que la quantité totale de ressource énergétique qu'ils produiront (de jour et en été c'est-à-dire lorsqu'elle est inutile) est largement inférieure à la quantité totale de ressources dépensées pour les fabriquer, les construire, les entretenir, les maintenir, les dépanner, les réparer, les nettoyer et, en fin de vie, les démanteler et les recycler. Cela est vrai aussi pour les méga-éoliennes d'EDF et pour les centrales nucléaires.
Le "système" de Rifkin repose sur deux idées : le production domestique décentralisée d'énergie renouvelables et le stockage des surplus énergétiques. Moyennant les remarques et limites notées ci-dessus, ces deux idées ne sont pas mauvaises, mais elles ne concernent que moins de 5% de la problématique globale de la pénurie de ressources à l'échelle planétaire. Répétons-le, pour des raisons thermodynamiques indiscutables, les énergies dites renouvelables (essentiellement dérivées du flux solaire à haute entropie donc de basse qualité) ne peuvent couvrir que les besoins domestiques mais sont incapables d'alimenter les réseaux industriels pourtant indispensables pour fabriquer les matériaux sophistiqués rendant "l'habitation énergétiquement neutre" possible. Et, toujours pour des raisons thermodynamiques indiscutables (les mêmes, en fait : le second principe), le stockage économique de l'énergie de qualité (de basse entropie) est quasi impossible. Les deux axiomes du "système Rifkin" s'effondrent pour les mêmes raisons : l'ignorance de la réalité physique et thermodynamique.
Le "système Rifkin" repose sur cinq piliers. Examinons-les, un à un, pour prendre conscience leur ineptie.
1- Migrer vers un système avec 100% d'énergie renouvelable. D'abord, l'énergie renouvelable, cela n'existe pas. On ne consomme pas de l'énergie (la quantité totale d'énergie de l'univers est une constante ; c'est le premier principe de la thermodynamique) ; on consomme de la néguentropie c'est-à-dire que l'on dégrade de l'énergie à haute concentration et de haute qualité en énergie de basse concentration et de basse qualité. L'opération inverse n'est possible qu'en dégradant encore plus l'énergie environnante (c'est le second principe de la thermodynamique).
2- Faire de chaque bâtiment une mini-centrale énergétique autosuffisante, voire surproductrice. Donc il faudrait détruire 99% du parc immobilier existant car il ne sera jamais convertible en bâtiment "énergétiquement neutre ou positif", et il faudrait tout reconstruire à neuf avec des matériaux extrêmement chers (du point de vue des ressources consommées) à fabriquer. De plus, le coût de démolition et de recyclage du parc immobilier existant ne serait que de quelques dizaines de fois supérieur au PIB mondial actuel : un paille !
3- Passer aux technologies énergétiques basées sur l'hydrogène. L'idée n'est pas neuve et a été abandonnée pour la simple raison que l'hydrogène n'existe pas tel quel dans la Nature et qu'il faut le produire en craquant les molécules extrêmement solides de l'eau qui, déjà, est une ressource vitale beaucoup plus pénurique que l'énergie. C'est tomber de Charybde et Scylla. Briser des molécules d'eau pour produire de l'hydrogène consomme beaucoup plus d'énergie que la reconstitution d'une molécule d'eau n'en produit. De plus, l'hydrogène peut aussi être utilisé dans des centrales nucléaires à fusion qui, entre autres inconvénients, outre leurs rendements globaux négatifs, détruisent de l'eau rare pour produire de l'hélium inutilisable.
4- Les réseaux intelligents de redistribution et de stockage des surplus énergétiques produits par les habitations nouvelles, énergétiquement positives. D'abord, répétons-le, l'énergie libre concentrée, de haute qualité, ne se stocke pas. Ensuite, la redistribution, intelligente ou non, sans stockage, fournit de l'énergie excédentaire au moment où personne n'en a besoin (c'est d'ailleurs pour cela qu'elle est excédentaire).
5- La généralisation des véhicules hybrides. L'idée du mariage, par complémentarité, du moteur à combustion et du moteur électrique, n'est pas neuve. Elle est séduisante. Mais elle oublie que l'électricité nécessaire à cette hybridité, doit être produite quelque part, dans une centrale qui, la plupart du temps, brûle du charbon ou du gaz "naturel", voire du pétrole. C'est donc une fausse bonne idée. Répétons-le : en physique en général et en thermodynamique en particulier, il n'y a jamais de miracle. Comme le mouvement perpétuel, l'économie parfaitement circulaire est un phantasme : partout, toujours, il y a des pertes, des fuites, des frottements, des déchets, de la dégradation entropique. Un exemple : pour produire 100 grammes de chair humaine vivante (ce que notre corps fait tous les jours), il faut détruire, directement et indirectement, 25 kilos de végétaux. Multipliez par sept milliards et demi d'humains, et vous commencerez à comprendre le vrai problème.
Mais une dernière question se pose : pourquoi Rifkin se laisse-t-il enliser dans tant d'inepties ? La réponse est simple : parce que Rifkin, comme la majorité des citoyens américains (et tant de nos contemporains européens) veut sauver le modèle économique encore dominant, mais condamné à disparaître : celui de la croissance infinie, celui du maintien des niveaux actuels de consommation, celui de l'abondance des ressources naturelles, celui de la montée générale des pouvoirs d'achat et des PIB qui vont avec.
Le travail de Rifkin, on l'aura compris, est une aberration scientifique. Mais son but n'est pas la vérité scientifique. Sa finalité est de propagande pour le modèle américain de la croissance économique éternelle et infinie. Il relève du déni de réalité, cette grande spécialité des idéologues et politiques français. Il l'écrit : il veut "sauver" la croissance … alors que le PIB mondial par humain ne cesse de ralentir depuis plus de trente ans (la démographie croît plus vite que l'économie mondiale). Rifkin propose quelques rustines sur une des multiples chambres à air d'un véhicule qui est obsolète, globalement en panne, irrécupérable, bon pour la casse.
Et dire qu'il existe, de-ci de-là, des gogos politico-ignares pour payer des centaines de milliers d'euros à Rifkin, en pure perte, pour boire ses délires sciences-fictifs. Pourquoi ? Parce que toutes les idéologies politiques actuelles sont en panne, usées, ineptes, purs produits d'un 19ème siècle révolu et totalement incapables de rencontrer la réalité et les défis objectifs de notre 21ème siècle.
Ces gogos pathétiques sont prêts à dépenser beaucoup (de notre argent) pour s'offrir des espérances messianiques, aussi absurdes soient-elles, plutôt que d'affronter la réalité qui se résume à ceci : la démographie humaine croît beaucoup trop vite et la capacité totale de ressources matérielles décroît beaucoup trop vite. La seule issue est de changer radicalement de modèle socioéconomique et de vie pratique, d'entrer définitivement dans une logique de vraie frugalité et de remplacer la croissance matérielle et économique par une croissance immatérielle et qualitative. Le problème n'est plus d'être riche : on ne le sera plus jamais ; le problème est d'être heureux avec ce que l'on est, plus qu'avec ce que l'on n'a … presque plus.
Marc Halévy, 12 décembre 2014.