Contre le Ludisme ambiant
Désolé de devoir le confesser, mais je prends le Divin, l'Univers, la Vie et l'Esprit très au sérieux. Je refuse de gaspiller mon temps en futilités, en frivolités, en amusettes. J'ai les "vacances" (dont l'étymologie pointe vers le "vide") en horreur.
Je pense et je crois très profondément que l'existence humaine ne prend sens et valeur qu'au service d'une cause supérieure à l'homme ; que la vie est courte et que chaque seconde doit être intensément et profondément vécue aux fins de lui donner toujours plus de sens et de valeur, aux fins de l'enrichir sans trêve.
Toute perte de temps, tout gaspillage de temps, tout amusement, tout divertissement sont des diversions, des perversions, des "péchés mortels".
Or, comme toujours dans les périodes de totale décadence paradigmatique, le ludique s'impose aujourd'hui dans toutes les dimensions de la vie : "s'amuser" passe avant "construire". La génération Y est ludique par essence.
Un premier exemple … L'utilisation première du numérique est ludique : des jeux vidéos ou autres, des photos et "selfies" (moches et ridicules) sur Instagram, de la musique (populaire) écoutée en boucle pour s'abrutir les neurones, des bavardages stériles et débiles par courriels, sur les forums ou par SMS, du voyeurisme et de l'exhibitionnisme sans intérêt sur Fesse-Bouc ou autre Twitter, …
L'usage proprement téléphonique des téléphones portables pèse moins de 20% de leur utilisation. Tout le reste est du pur ludique. Apple l'a parfaitement compris qui laisse le numérique productif à Microsoft pour se cantonner (avec ses copains GAFA) dans le numérique ludique, stérile mais rémunérateur.
Un second exemple : le ludisme relationnel.
Il est de mode, dans beaucoup de milieux, de succomber aux discours des apprentis-sorciers en "psychologie" et de devoir perdre son temps en jeux relationnels : se parler en confiance, partager, se tenir les mains, dire "je te vois", se confesser publiquement, se caresser physiquement ou mentalement, dialoguer, partager, cultiver cette boue primaire que l'on appelle l'émotionnel (l'émotion est le degré zéro de la sensibilité, l'extase mystique en étant le degré sublime et ultime), etc …
Un ami m'a refilé une belle locution qui exprime parfaitement ce ludisme relationnel qui prévaut aujourd'hui dans toutes les rencontres de groupes et que j'abhorre viscéralement : il parle de "psycho-papouilles" !
Il faut jouer ; le jeu est au centre de tout. La vie est un jeu. Tout est jeu. Et jouer de tout, c'est s'amuser de tout … Il faut s'amuser. "Have fun". Mais "fun" n'est ni "happiness", ni "joyfulness", c'est juste du "pleasure" immédiat, évanescent, superficiel, sans aucune consistance.
Le verbe "amuser" a une étymologie … amusante : "amuser" c'est muser mais pas tout à fait - comme araser, c'est raser, mais pas tout à fait …
Et "muser", c'est errer, vagabonder, vaguer … S'amuser, c'est divaguer …
Chrétien de Troyes en donnait cette définition parfaite : amuser, c'est " repaître de vaines espérances, abuser (dans le sens de tromper)".
S'amuser, c'est se leurrer, se tromper soi-même, s'abuser en se détournant de sa vraie vie, de sa vraie vocation
La critique que je fais du ludisme ambiant amène certains à me faire procès de puritanisme …. Curieux !
Ainsi, dire que l'existence humaine ne prend sens et valeur qu'au service d'une cause supérieure à l'homme, équivaut, pour certains esprits, à un rigorisme moral proche du calvinisme, avec lequel cela se confondrait … Mensonge !
Le puritanisme est bien l'antonyme de l'hédonisme, certes, et j'accepte volontiers que l'on m'en affuble en ce sens, mais, comme toujours, il y a confusion entre hédonisme (qui est l'esclavage aux plaisirs) et eudémonisme (qui est la recherche de la joie).
Si je suis puritain, alors il s'agit d'un puritanisme joyeux, éthique mais amoral, aux antipodes du calvinisme puritain.
Marc HALEVY, 11 novembre 2017