Haro sur le big-data
Avec le big-data, la dictature probabiliste et la tyrannie statistique, fondées sur le grégarisme et le conformisme humains, engendrent une puissance manipulatoire qui mène à l'homogénéisation des comportements.
Regardons, par exemple, l'influence réciproque du big-data et des systèmes de santé. Par ses achats et ses visites médicales, le big-data sait comment s'alimente Mr X et comment évolue sa santé. Le big-data vend ces informations aux compagnies d'assurances qui relèvent la prime de Mr X si son alimentation n'est pas conforme - pour son bien - et promettent une baisse de la prime si Mr X devient conforme.
Ce procédé profite peut-être aux compagnies d'assurances, mais cela profite, dans tous les cas, à l'industrie agro-alimentaire dont les lobbies contrôlent les normes de "ce qui est bon pour la santé". Soit Mr X accepte d'entrer dans la catégorie des moutons et il se conforme aux statistiques et aux normes. Soit il se rebelle - ce qui lui coûtera cher en primes d'assurances - et continue de manger ce qui lui plaît.
La suite logique de ce second comportement, sera la création de compagnies d'assurances alternatives par mutualisation des rebelles.
S'instaure alors une guerre des parts de marché entre les deux types de compagnies d'assurances, les unes financées par l'industrie agro-alimentaire, les autres par les filières alimentaires alternatives.
Le camp des rebelles restera, vraisemblablement, très minoritaire et se constituera donc en camp retranché de la marginalité.
Tout ce processus est applicable à peu près dans tous les secteurs économiques avec, pour conséquence, l'émergence, partout, de deux économies parallèles.
Un homme est d'autant plus facilement manipulable qu'il est paresseux, grégaire, inintelligent, inculte et impatient.
C'est dire si le big-data a de beaux jours devant lui avec les 85% de crétins qui constituent l'humanité.
Au sein des répartitions statistiques très précises, chacun peut faire l'objet d'une évaluation en terme de probabilité d'acheter ou de désirer un produit, d'avoir telles préférences de tous ordres, de faire une infraction routière, de devenir délinquant, de consommer de la drogue, de succomber à la propagande, de faire un bon couple avec un conjoint dûment ciblé, de faire des enfants programmés, de tomber malade, de mourir à un certain âge, de prendre des risques et de tricher avec les assurances, de réussir des études, de satisfaire un employeur, de payer ses traites, de voter d'une certaine manière, …
Plus le nombre, la finesse et la fiabilité des critères d'évaluation seront grands, plus les échantillonnages statistiques seront riches et plus les domaines de prédiction seront nombreux, bien modélisés et fortement corrélés, plus les algorithmes prédictifs donneront de bons résultats.
La question qui vient est donc celle-ci : les algorithmes statistiques prédictifs pourront-ils mieux réguler les sociétés humaines que les Etats avec leurs outils législatifs, policiers, idéologiques, bureaucratiques, électoraux, etc …
La tentation est forte, au vu des maigres résultats actuels de cette artillerie obsolète, de croire qu'une régulation algorithmique et statistique sera plus efficiente au moins pour les masses manipulables et grégaires.
Cependant, la question lancinante est : que signifie "réguler mieux" ? Quels seront les critères de ce mieux ? Qui les édictera … sinon les commanditaires des logiciels algorithmiques ?
Dans la triade masses/élites aristocratiques/élites démagogiques, le big-data va simplement se substituer aux élites démagogiques (les politiciens et dirigeants carriéristes) qui vont disparaître ou devenir les faire-valoir affidés du big-data.
Les commanditaires du big-data prendront leur place dans la triade, voilà tout.
L'idéologie pragmatique (statistiques obligent) se substituera aux idéologies idéalistes : triomphe de l'utilitarisme anglo-saxon (Jeremy Bentham et John Stuart Mill) où le seul critère de véracité est le bien-être du plus grand nombre. Fin du progressisme (la religion du progrès) et fin de toute progression (la réplétion devient le seul but sociétal).
Qui édicte la Loi ? Dieu ? Un roi ? Des sages ? La masse ? Des algorithmes statistiques ?
Qui porte la régulation sociétale ? Telle serait la question qui se pose à nous, aujourd'hui.
Mais cette question est fallacieuse car, dans tous les cas, c'est toujours une caste politique qui exerce les pouvoirs : au choix, celle des prêtres, celle des nobles, celle des politiciens, celle des technocrates, celle des geeks …
Toujours, cette caste constitue une élite démagogique qui ne peut préserver ses prérogatives qu'en s'appuyant sur le plus grand nombre, donc sur sa loi d'airain : du pain et des jeux.
Marc Halévy, décembre 2016