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La foi juive

Entends Israël ...

Il n'y a pas, à proprement parler, de profession de foi juive comme il y a un Credo chrétien ou un shahâda musulmane (Lâ illâha illa-llâh: "aucune déité que le Dieu"). Cependant, deux versets du Deutéronome en tiennent traditionnellement lieu (Deut.:6;4-5).

Le premier de ces versets est capital :

Sh'm'a (Entends) Yishra'èl (Israël)

Adoshem (YHWH) Elohéynou (nos dieux)

Adoshem (YHWH) 'E'had (Un)

 

La suite dit :

"Et tu aimeras (Wé'ahavta) avec (èt) YHWH (Adoshem)

de tes Elohim (Elohèykha) par tout ton cœur (Bé-kol-lévévkha)

et par toute ta vitalité (Wé-bé-kol-néphèshkha)

et par toute la puissance (Wé-bé-kol-modèkha)".

 

Le premier verset …

Sh'm'a (Entends) Yishra'èl (Israël)

Adoshem (YHWH) Elohéynou (nos dieux)

Adoshem (YHWH) 'E'had (Un)

 

Qui parle ? Moïse. Il prononce six paroles, une pour chaque jour de l'émanation du monde hors du Divin.

Premier jour : la Lumière mystique … "Entends".

Deuxième jour : la Séparation des Eaux du dessus et du dessous … "Israël".

Troisième jour : l'Apparition du Sec et du Végétal du sein des Eaux du dessous … "YHWH".

Quatrième jour : la Lumière physique des luminaires et le Temps … "Nos dieux".

Cinquième jour : la Vie de l'Eau et de l'Air … "YHWH".

Sixième jour : la Vie de la Terre … "Un".

 

Entends …

Entends la Parole. Il ne suffit pas d'écouter, de tendre l'oreille ; il faut encore entendre c'est-à-dire comprendre. L'œil et la vision offrent le spectacle des apparences du monde. Le temps n'est plus de voir ce qui existe, mais d'entendre le Logos qui fait que tout existe. Il ne s'agit plus d'écouter les paroles des hommes, mais d'entendre la Parole du Silence divin qui murmure la réalité du Réel.

Israël …

Israël est le nom mystique qui sera donné à Ya'aqob (Jacob - "celui qui talonnera"), fils de Ytz'haq (Isaac, "celui qui rira"). Il recevra ce surnom après un combat d'une nuit, sur la rive da la rivière Yaboq, avec un "être" ('Ish) qui ne le vaincra pas, mais qui luxera sa hanche, le rendant boiteux. YShR est un mot qui signifie : "droit, droiture, intégrité". Et 'El est "Dieu". YShR-'EL, Israël : "droiture de Dieu". Est-ce Dieu qui est droit ? Ou bien est-ce Israël qui doit l'être ? La séparation entre Israël et les Nations, entre le sacral et le profane, entre l'ésotérique et l'exotérique, correspond bien à la grande séparation du deuxième jour.

YHWH …

Première occurrence du nom sacré du dieu tutélaire de la Maison d'Israël, un des dieux nombreux appelés les Elohim (qui est bien un pluriel - le Judaïsme originel était polythéiste).

Ce nom, YHWH, est le déploiement, par l'adjonction de deux lettres médianes, du nom archaïque et mystique de ce dieu-là : YHYah est le nom de dieu que l'on retrouve dans les plus vieux cantiques retranscrits dans la Bible hébraïque.

Nos dieux …

"YHWH nos dieux" : formule sibylline. Le mot "dieux" est manifestement un pluriel, ce qui interdit la traduction classique relevant d'un monothéisme beaucoup plus tardif : "YHWH [est] notre Dieu". Il reste le cas génitif : "YHWH de nos dieux" qui bute sur le fait que, si YHWH est le dieu tutélaire de la Maison d'Israël, les autres dieux ne peuvent pas être nos dieux. Il reste cependant une issue : en juxtaposant YHWH (à advenir) et "nos dieux" (actuels), le verset insiste, comme tout le reste de la Bible hébraïque, sur l'idée que, pour atteindre à l'essence de YHWH, il faut d'abord s'extraire et se purger de toutes les idolâtries qui nous rongent de l'intérieur. Il faudrait alors traduire par : "YHWH [face à] nos dieux".

Cette hypothèse est bien confortée par le second verset qui insiste : "YHWH face à tes idolâtries à toi".

YHWH …

Seconde occurrence du nom du dieu tutélaire de la Maison d'Israël. Le nom divin YHWH est la contraction de deux formes du verbe HYH qui signifie "devenir, advenir", à savoir YHY : "il deviendra", et HWH : "devenant". YHWH est donc "celui qui adviendra advenant". Il est donc "à venir" pour s'opposer à "nos dieux", à toutes nos idolâtries (qui adorent l'apparence), à tous nos idéalismes (qui conceptualisent l'apparence) et à toutes nos idéologies (qui verbalisent l'apparence) : ces trois mots ont même étymologie grecque, et viennent de eidos : "figure, forme, apparence". YHWH symbolise donc la sacralisation et la divinisation du Réel qui est en train d'advenir contre l'adoration des apparences et des illusions.

Un …

"YHWH [est] Un" (la copule "être" n'existe pas en hébreu). La caractéristique première, primordiale, foncière, originelle et archétypale de YHWH est son unité, son unicité, son unitarité. Ce "Un" fonde tout le monisme juif (et non le monothéisme qui est toujours un dualisme de type platonicien), tel qu'il s'expose dans la Bible hébraïque issue du lévitisme originel, tel qu'il explose dans le kabbalisme et tel qu'il se conceptualise dans le spinozisme. Tout est Un. Mais Un est plus que Tout (puisque l'Un contient Tout plus ce qui lie ce Tout pour en faire un Un cohérent). Ainsi l'Un contient le Tout, l'enveloppe et le rend cohérent par l'Esprit divin, par le Logos, par l'Âme cosmique qui fédère le tout du Tout dans une histoire, dans une évolution, dans un accomplissement commun et global. Donc, Tout est dans Un : panenthéisme.

 

Le second verset …

"Et tu aimeras (Wé'ahavta) avec (èt) YHWH (Adoshem)

de tes Elohim (Elohèykha) par tout ton cœur (Bé-kol-lévévkha)

et par toute ta vitalité (Wé-bé-kol-néphèshkha)

et par toute la puissance (Wé-bé-kol-modèkha)".

 

Le verbe "aimer" est conjugué sur le mode inaccompli (rendu par un futur) ce qui signifie que l'amour est un cheminement, une ascèse, une quête et non un sentiment. Cet amour-là se construit spirituellement au long d'un parcours initiatique exigeant. Je ne suis pas sûr que le verbe français "aimer" soit adéquat car il a été mitonné à tant de sauces sentimentalistes qu'il en vient à être inadéquat lorsqu'il s'agit de "l'amour spirituel du Divin".

En hébreu, le verbe "aimer" est AHaB qui s'utilise, comme en français, tant au plan profane qu'au plan sacral. Sa valeur guématrique est 8 ce qui est conforme à la numérologie kabbalistique qui fait du 8 le chiffre de l'Alliance (la "circoncision d'Alliance" à lieu le huitième jour après la naissance).

On comprend mieux, alors, qu'aimer, ici, signifie assumer et accomplir l'Alliance (BRYT) entre le Divin et Israël (symbole de l'homme spirituellement avancé et initié[1]). Et l'on notera au passage que la naissance des mondes, que la Genèse (BR'AShYT : B'rèshit - "Dans un commencement …") coïncident avec la pénétration de 'ASh (le Feu) au cœur de BRYT (l'Alliance) ; cela donnerait, à la Genèse, un premier verset stupéfiant :

 

"Une-compénétration-du-Feu-dans-l'Alliance

engendra des dieux avec le Ciel et avec la Terre".

 

Au début était l'Alliance. De son cœur jaillit le Feu divin qui, la fécondant, fit émerger les dieux avec le Ciel et la Terre.

Il convient donc d'apprendre, avec patience et volonté, à assumer l'Alliance qui est au principe de tout ce qui existe, pourvu que le Feu divin l'anime.

Quelle est cette Alliance que le Juif pieux s'engage à assumer, progressivement, au long de sa vie ? Elle prendra des formes successives : avec Noé, une Alliance de Vie symbolisée par l'arc-en-ciel (Gen.:9;13-16); avec Abraham, une Alliance de Sang symbolisée par la circoncision (Gen.:15;18 et 17;11) ; et avec Moïse, deux Alliances dont l'une est l'Alliance du Shabbat conclue avec toute la Maison d'Israël et symbolisée par les tables de la Loi (Ex.:31;16 et 34;10) et dont l'autre est l'Alliance de Sel conclue avec la tribu sacerdotale des Lévy et symbolisée par l'oblation des prémices (Lev.:2;13).

Si le mot "Alliance" apparaît trente-deux fois dans la Torah, seules sept (chiffre sacré s'il en est) de ces occurrences concernent l'Alliance sacrée entre YHWH et la Maison d'Israël[2].

 

Il faut décrypter ces quatre symboles proposés …

L'Alliance de Vie conclue avec Noa'h et symbolisée par l'arc-en ciel, est, en somme, un pacte "écologique" qui enjoint à l'homme de respecter la Vie sous toutes ses formes, lui-même n'étant qu'un vivant parmi des myriades. L'Alliance de Vie fait de l'homme un vivant comme et parmi les autres. YHWH parle ainsi : "Avec mon arc, j'ai donné dans la nuée et il est devenu pour un signe d'Alliance entre Moi et la Terre". Dieu s'engage, à l'avenir, à ne plus frapper tous les vivants à cause des vices de l'homme … car Dieu est sans illusion : "(…) et YHWH dira à son cœur : 'Je ne soufflerai plus malédiction avec l'humus à cause de l'humain car le cœur de l'humain forme du mal depuis son enfance (…)" (Gen.:9;21). L'homme est donc mauvais par nature, et ce n'est pas à la Vie de payer le prix de ses turpitudes. Mais Noa'h est l'exemple même d'hommes qui ne sont pas mauvais par nature et qui sont justes (tzadiq) et  accomplis (tamim), allant avec les dieux (Gen.:6;9). C'est cela l'essence de l'Alliance de Vie qui ne s'adresse qu'aux hommes supérieurs, seuls capables de respecter et de cultiver la Vie sous toutes ses formes, parce qu'ils cultivent la justesse, l'accomplissement et la spiritualité.

L'Alliance de Sang est conclue au moment ou Abram ("père haut") prend nom de Abraham ("leur aile"). Elle est symbolisée par la circoncision, signe de l'initiation qui autorise Abram à atteindre son nom mystique, Abraham, ce qui, aussitôt, lui permet de féconder Saraï ("ma princesse"), sa femme, qui deviendra Sarah ("la princesse") lorsqu'elle aura conçu le fils attendu : Ytz'haq ("Il rira"). L'Alliance de sang rend l'homme fécond et cette fécondité l'amène au rire en passant par le ventre de la princesse. Cette princesse - cette "fiancée" - que l'on accueille à l'orée du Shabbat, aux accents de "Lèkha Dodi" ("Viens ma bienaimée"), n'est autre que la Shékinah, la Présence divine dans le monde.

Ainsi, après le stade de l'indéfectible solidarité avec la Vie sous toutes ses formes, vient le temps de comprendre la Vie comme l'expression d'une Présence qui la fonde : le monde matériel, qui est monde d'apparences, qui est la Nature, n'est que le visage du Divin dont l'homme, comme tout ce qui existe, fait intégralement partie. Avec l'initiation abrahamique, commence la quête mystique, l'arrachement hors des apparences et l'entrée, précautionneuse, dans le Réel au-delà des apparences. Il faut franchir le pont entre phénomènes et noumène.

L'Alliance du Shabbat est conclue avec Moïse, en haut de la montagne du désert de Sin. Elle symbolise la révélation de la Loi, de la Torah (mot qui, en hébreu, signifie, d'un côté : "parcours, exploration", et de l'autre : "avertissement, mise en garde"), qui sera gravée sur deux tables de pierre.

Le don de la Torah est commémoré par la fête de Shavouot - qui donne "pentecôte" en grec -, sept semaines après la libération, la sortie d'esclavage, commémorée par Pessa'h, la Pâque. Ce don de la Torah symbolise la rencontre avec le Logos, avec l'Esprit divin, avec le secret du Cosmos, c'est-à-dire de l'ordre cosmique.

S'ouvrent alors les portes de la Connaissance, de la Gnose. Le livre de l'Exode (31;16) parle de B'rit 'Olam, d'Alliance cosmique.

D'abord, la vie de l'homme entre dans la Vie cosmique. Ensuite la présence de l'homme entre dans la Présence cosmique (le Cœur divin). Ici, l'esprit de l'homme entre dans l'Esprit cosmique.

L'Alliance de Sel, enfin, est conclue, au travers de Moïse, avec la tribu sacerdotale des Lévy.

Elle complète, évidemment les trois précédentes en faisant entrer, cette fois, l'âme de l'homme dans l'Âme divine, dans la raison d'exister de tout ce qui existe, dans le Désir divin dont tout est issu, dans l'Intention originelle qui anime et meut tout dans le Réel.

Avec l'Alliance de Sel, le lien entre Divin et humain prend son tour le plus mystique. S'ouvre là tout l'univers de la Kabbale, de la tradition ésotérique et gnosique qui alimente la sagesse juive depuis le quatrième siècle avant l'ère vulgaire, non loin des quais du port d'Alexandrie, dans la quartier du Pharos.

Le Sel joue un rôle essentiel dans la liturgie du Shabbat puisque, après la bénédiction sur les deux chandelles et le partage du vin, vient le partage du pain que l'on trempe dans le sel[3]. En hébreu, le Sel est Mèla'h. dont l'anagramme est Lè'hèm, c'est-à-dire … "pain". Le pain et le sel forment un binaire , comme deux autres anagrammes du même mot : ML'H qui désigne la maladie et 'HLM qui pointe la bonne santé.

 

Ainsi, le chemin vers l'accomplissement de l'Alliance passe par quatre étapes : l'Alliance de Vie (Noé), 'Alliance de Sang (Abraham), l'Alliance du Shabbat (Moïse et tout Israël) et l'Alliance de Sel (Moïse et les lévites). Le corps, le cœur, l'esprit et l'âme.

Notons au passage que la Kabbale, depuis longtemps, affirme que la Torah permet quatre niveaux complémentaires d'herméneutique qui forment un acronyme : PaRDèS (le Verger - qui donnera, paradis", en français). Le P de Pshat, le sens littéral. Le R de Rémèz, le sens allégorique. Le D de Drash, le sens philosophique. Et le S de Sod (le "secret"), le sens mystique et ésotérique.

 

A chacune de ces quatre étapes, trois dimensions doivent être explorées : celle du Cœur (Lévav), celle de la Vitalité (Néphèsh) et celle de la Puissance (Mo'èd).

L'Alliance, à chaque étape, doit être nouée et scellée sur trois plans.

Premier plan : celui de l'Intelligence car le Cœur, traditionnellement était le siège de l'intelligence. Cette Intelligence est travail de l'esprit et implique l'étude.

Deuxième plan : celui de l'âme de vie ou de la force de vie (Néphèsh, dans la Torah est l'âme unique et éternelle qui anime tout ce qui vit, en complément avec Roua'h qui est l'âme cosmique, elle aussi unique et éternelle, qui meut le Tout de ce qui existe, vivant ou non, et avec Nishamah qui est l'âme personnelle, l'idiosyncrasie, la personnalité de chacun qui est multiple et mortelle). Néphèsh est cette vitalité qui engendre l'action dans le monde et qui appelle, derrière elle, l'éthique.

Troisième plan : celui de la Puissance c'est-à-dire, selon l'étymologie hébraïque, de ce qui vient de la "vapeur" ('èd). Cette vapeur symbolise la foi, non pas dans le sens de l'acceptation d'un dogme religieux (qui n'existe pas dans le Judaïsme), mais dans le sens d'une fidélité et d'une confiance ; foi, fidélité et confiance ont même étymologie latine : fidere, "se fier à" ; en hébreu, la foi est Amen avec le même sens de "confiance" et de "certitude" qu'il ne faut pas confondre avec Emèt : "vérité"[4]. La foi, comme la vapeur, est insaisissable, mais elle monte toujours vers le haut ; elle est source de mouvement si elle est convenablement canalisée. Elle est cette puissance énorme mais inoffensive tant que libre ; mais elle devient redoutable si on l'enferme.

 

Ainsi, le chemin de l'Alliance (mot qui sied mieux que celui d'amour, trop chrétien à mon goût), passe par quatre étapes déclinées, chacune sur trois plans. Cela donne douze creusets spirituels proposant une cheminement initiatique complet.

 

En bref …

Le Sh'm'a Yshra'èl, en hébreu, contient seulement seize (le carré du carré de deux) mots qui définissent, à la fois, les six piliers fondamentaux du fait juif, ainsi que les douze creuset spirituels de toute l'ascèse initiatique qui lui est liée.

 

Marc HALEVY, 8 janvier 2017

 

[1] Il serait d'ailleurs préférable de remplacer l'expression de "peuple élu" qui agace les jaloux, par celle de "peuple initié" qui indiffère.

[2] Israël est bien plus qu'un peuple : il est la Maison où habite YHWH, il est son Temple.

[3] On remarquera sans doute que l'eucharistie chrétienne n'a gardé, de cette liturgie, que le partage du pain et du vin, en l'appauvrissant notoirement, de la lumière et du sel.

[4] En hébreu, Amen (la foi) et Emèt (la vérité) commencent tous deux par AM sui signifie "si", la conditionnelle, l'hypothèse … Le premier se termine par la lettre N (noun) qui pointe vers le "serpent" (le plus malin des animaux, d'après la Genèse), et le second se clôt sur un T (tav) qui désigne le "signe" (le symbole).