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La leçon de Moïse

Les cinq fonctions spirituelles et leur danger …

Dans la Torah (Deut.:33;1), seul Moïse est appelé - une seule fois - 'Ish ha-Elohim : "homme des dieux". Il est 'Ish, c'est-à-dire non pas un "humain" au sens générique ('Adam), mais une personne singulière ('Ish), une individualité unique.

Et cette personne singulière est intégralement dédiée aux dieux, c'est-à-dire au Divin ('Eyn-Sof) dans toutes ses manifestations et puissances ('Elohim).

Ailleurs dans le Bible, le prophète Elie (1 Rois 17-19) sera également nommé ainsi. Son nom hébreu, théophore en plein, est El-Yah-hou : "Dieu est Yah[1] lui-même" …

Être un "homme des dieux", c'est être plus qu'un Prophète et bien plus qu'un hiérophante (ce qu'est la tribu de Lévy à laquelle Moïse et son frère Aaron appartiennent).

L'homme du Divin n'est plus humain ; il a atteint la cosmicité, l'absoluité, l'unité pure du Un-sans-partie : il voudrait ne plus rien avoir à faire avec les humains, ne plus devoir leur parler (il a "la langue lourde"), n'avoir plus aucune mission à leur égard. C'est ainsi que Moïse se présente, face au buisson ardent, dans sa tentative désespérée de refus de la mission qui lui est confiée : libérer le peuple élu de l'esclavage et le mener sur la Terre de la Promesse (cfr. le terrible troisième chapitre du livre de l'Exode).

On retrouve là la différence que fait le bouddhisme mahayana entre un bouddha (l'éveillé absolu qui a quitté l'humanité) et un bodhisattva (l'éveillé individuel qui retourne vers l'humanité afin d'y promouvoir l'éveil collectif).

En ce sens, tout Prophète est un bodhisattva, dont la mission est d'éveiller le peuple élu afin qu'il remplisse, face aux Nations, son devoir de célébration du Divin et de sacralisation de la Vie et de l'Esprit.

En amont de tout prophétisme, il y a les "hommes du Divin", les initiés accomplis ; ceux qu'en hébreu, sans doute, on pourrait ou devrait appeler les Qadoshim, les Saints. La racine QDSh renvoie toujours à la sainteté et au sacré. Le Qidoush est le rituel de sanctification et de sacralisation, notamment celles du Shabbat, par la Lumière, le Vin et le Pain au Sel.

Moïse est un Saint que le Divin (YHWH) oblige à jouer au Prophète secondé par un Hiérophante (Aaron) auprès du Roi (Pharaon). Ainsi sont mises en place et en scène les cinq fonctions spirituelles  : la Divinité, la Sainteté, la Prophétie, la Hiérophanie et la Royauté. Les quatre dernières doivent être au service de la première qui leur donne sens et valeur. Et ces quatre fonctions au service du Divin se différencient clairement les unes des autres : la Sainteté est l'aboutissement final de toute démarche spirituelle et initiatique (Moïse meurt à l'humanité, au haut du mont Nébo, sa tâche accomplie, enlevé de parmi les hommes dans un "baiser divin"), la Prophétie est la capacité à entendre le Divin et à en traduire la Parole pour les hommes initiés ; la Hiérophanie est le travail de sacralisation et de célébration qui vise à mettre les humains au contact du Divin au travers des rites et des sacrifices (ce qui rend sacré) ; et la Royauté est le pouvoir théocratique d'instaurer une éthique spirituelle en terme d'une Loi de l'Esprit qui puisse élever la vie profane vers le Divin.

Autrement dit : l'Accomplissement, la Parole, le Rite et la Loi au service du Divin.

Dès lors qu'une de ces fonction spirituelle dérape et sort du service divin, elle devient dangereuse pour les hommes car la tyrannie n'est alors plus très loin sous forme extatique, idéologique, religieuse ou politique.

Marc HALEVY, 11/2017

 

[1] Yah (YH) est le nom ancien du dieu tutélaire de la Maison d'Israël, qui deviendra, plus tard : YHWH.