Le Naturel et l'Artificiel
Si la Nature est l'ensemble de tout ce qui est "naturel" et puisqu'est "naturel" tout ce qui n'est pas artificiel c'est-à-dire produit par l'industrie des hommes, alors la Nature existe de moins en moins sur la Terre. Elle rétrécit comme une peau de chagrin.
De même, si l'on veut parler de la "nature humaine", l'humain devenant de plus en plus artificiel, il s'ensuit que l'homme est en train de perdre son humanité.
La question centrale est de savoir si l'artificialité est capable de dépasser la naturalité en l'enveloppant, en la sublimant et en la transcendant, ou si elle s'y substitue en la détruisant.
Est naturel (donc porteur de naturalité), tout ce qui est produit par la Nature sans intervention de l'humain. Est artificiel (donc porteur d'artificialité), tout ce qui est produit par "l'art" (technê en grec) des hommes.
Ainsi posés, les mots indiquent immédiatement que le naturel et l'artificiel ne sont pas étanchement distincts et séparés : un arbre fruitier greffé est un hybride de naturalité et d'artificialité.
La question posée, de façon abrupte, est celle-ci : la technique humaine peut-elle améliorer la Nature ?
Améliorer ? Rendre meilleur ("plus bon"), donc, d'après l'étymologie latine. Certes. Mais meilleur pour qui ? Selon quel critère ? A quel prix ?
La technique, globalement, a été inventée par les hommes pour améliorer les performances naturelles jugées trop faibles et trop lentes. La technique est une quête quantitative, essentiellement ; mais pas seulement puisque cette intervention technicienne a également porté sur des améliorations qualitatives (la pomme cultivée et incroyablement meilleure à manger que la pomme sauvage - immangeable).
Ce qui est clair, c'est qu'en matière de jugement des performances naturelles, c'est l'homme qui s'autoproclame "juge suprême" faisant montre de cet humanisme, aussi abdéritain que moderne, qui se définit comme "homme, mesure de toute chose".
On est bien là dans la pure tradition de Descartes qui écrivait, dans son "Discours de la Méthode" : "(…) connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent (…)"
Mais l'homme est-il un juge légitime des performances de la Nature ? Que celles-ci ne lui conviennent pas toujours, c'est un fait, mais cela lui octroie-t-il quelque droit sur la Nature et la Vie ?
Il faut être d'un orgueil démesuré pour croire, ne fut-ce qu'un seul instant, que la petite intelligence humaine à l'œuvre depuis moins de 10.000 ans, puisse être supérieure à l'Intelligence cosmique qui préside à l'évolution de la Nature depuis près de cinq milliards d'années.
La Nature "en sait" bien plus que l'homme … et même sur l'homme, que l'homme lui-même.
Mais cela n'est pas une raison pour sombrer dans la technophobie radicale, ni dans la prêche du "retour à la Nature" qui est aussi infaisable qu'absurde. Le mal est fait et tout processus complexe est irréversible. Alors ?
La réponse est, au fond, simple à exprimer même si sa mise en application l'est bien moins : l'homme peut user de ses techniques à son profit, à la condition expresse de ne nuire à rien d'autre que lui-même.
Autrement dit : la Vie globale doit toujours primer les vies particulières. L'homme peut jouer au apprentis-sorciers dans la Nature, mais jamais contre la Nature.
En un mot : greffer un arbre : oui !, abattre un arbre : non !
La greffe ne nuit pas à la Vie ; l'abattage, si !
Marc Halévy
Le 11/12/2017
On pourrait appeler cette position, cette règle de vie, une "éthique écologique".
Le principe est simple et clair : la Vie globale vaut plus que toutes les vies particulières.