Notre époque ? Quelle époque !
Je me méfie des catégorisations comme Y ou Z ou autres car il s'agit toujours de gaussiennes variables tant dans l'espace et dans le temps, que dans la structure sociétale. Ce qui est certain, c'est que nos enfants et petits-enfants ne vivent pas et ne vivront pas comme leurs parents et leurs grands-parents qui avaient confiance dans les institutions de pouvoir (Etat, syndicats, partis, contrats d'emploi, retraite, sécurité sociale, …) qui, aujourd'hui, ont démontré deux choses : leur impuissance à régler les vrais problèmes (immigration, délinquance, islamisme, illettrisme, emploi, …) et leur cynisme à ne chercher que le pouvoir pour le pouvoir. Ces nouvelles générations utiliseront le système, mais n'en participeront pas.
- Qu’est-ce qui va devoir changer dans la logique capitaliste, dans les décennies à venir ? Pourquoi ?
Le capitalisme a vécu, depuis 1985, deux ruptures majeures : d'abord le divorce entre l'économie et la finance, ensuite le divorce entre la finance entrepreneuriale et la finance spéculative. Celle-ci est devenue monstrueuse par la conjugaison d'une cupidité sans borne et d'algorithmes de placement qui jouent à la nanoseconde près. Ce casino robotisé est démentiel et donne une importance considérable aux rumeurs, aux fausses nouvelles, aux effets d'annonce, aux mises en scène, … Les cotations boursières et les résultats réels des entreprises "vedettes" (le cas de cet imposteur d'Elon Musk est typique) ont divorcé. La finance entrepreneuriale quitte de plus en plus les casinos boursiers et prennent la forme de clubs d'investissement privés ou de crowdfundings. Comme la plupart des Etats sont surendettés et en faillite, ils n'oseront pas légiférer contre leurs financeurs qui continueront de pourrir le capitalisme.
- Pourquoi repenser la gouvernance de demain, dans les entreprises ? Comment devra être managée l’entreprise de demain ?
La finalité de l'entreprise a changé et, ipso facto, se transforment son éthique (ses règles comportementales sur le chemin de sa finalité) et sa gouvernance (les méthodes pour réaliser cette finalité). Pendant tout le vingtième siècle, une entreprise avait, pour finalité, de servir des rentes financières à ses actionnaires et, pour contrainte, de servir des rentes sécuritaires à ses salariés. Elles étaient coincées entre banques et syndicats, dans une économie de masse et de prix bas. Aujourd'hui, trois phénomènes détruisent ce modèle : la réelle valeur d'utilité remplace la prix bas et exige des entreprises des niveaux élevés de virtuosité (qui se raréfie du fait de la déroute de nos systèmes éducatifs ; ceci marque la fin programmée du salariat) ; la montée en importance stratégique des investissements immatériels rend les investissements matériels et donc la dépendance aux actionnaires, relativement secondaires (les effets de taille et les économies d'échelle jouent de moins en moins) ; la rapide complexification du monde socioéconomique rend les modèles organisationnels classiques mécaniques (la pyramide hiérarchique, les hiérarchies matricielles, les procédures, les normes, …) obsolètes (parce que trop lents et trop lourds) et impose des organisations réticulées et fractales, très organiques, très protéiformes dont le modèle pourrait être une forêt vivante.
- Ethique + gouvernance : c’est jouable ou utopique ?
Comme dit ci-dessus : l'éthique est l'ensemble des règles de comportement, et la gouvernance est l'ensemble des méthodes de prise de décision, qui s'imposent afin d'accomplir le projet que l'on s'est fixé. C'est le projet sociétal ou entrepreneurial qui induit les règles de l'éthique et de la gouvernance, et non l'inverse. Comme cela a été largement démontré par la philosophie, il n'y a pas de "morale naturelle", il n'y a pas de "lois absolues". C'est le projet qu'il faut juger ou jauger, et non ce qui en découle. Les grosses entreprises classiques et les Etats actuels sont esclaves de projets pauvres, sur le court-terme, obsédés de quantitatif et de paraître ; leur éthique est donc hypocrite et leur gouvernance cynique. Il faut donc marginaliser ces entreprises (par le boycott de leurs produits) et ces Etats (par la non participation), et favoriser, par notre action quotidienne, de projets nouveaux mus par des finalités nobles, à plus long terme, plus qualitatives. Il faut choisir, aujourd'hui : devenir riche en argent ou devenir riche en joie.
- Qu’est-ce qui guidera l’entreprise, demain ? Le profit maximum, toujours et encore ? Ou autre chose ?
Le profit financier est indispensable comme carburant de l'entreprise, pour alimenter les développements et les investissements, pour limiter la dépendance à la finance, pour attirer et mobiliser les talents, pour garantir une bonne visibilité et une bonne notoriété sur la seule place publique qui vaille : la Toile. Mais le profit est un moyen, non une fin ; un carburant, non un moteur. Le moteur de l'entreprise est son projet global, un projet suscitant passion et enthousiasme, inscrit dans le durée longue, basé sur les talents et non plus sur les obéissances, visant la pleine satisfaction des utilisateurs finaux et non les commissions éhontées des intermédiaires inutiles.
- Mondialisation et entreprise : quelle conséquence sociale et managériale ?
Il ne faut plus confondre "globalisation" et "mondialisation". La globalisation des problématiques (pollution, réchauffement climatique, pénurie des ressources, migrations, pandémies, épizooties, …) est un fait ; un fait planétaire qui doit être géré comme tel. En revanche, ce que l'on a appelé "mondialisation" n'est que l'américanisation du monde depuis 1945 c'est-à-dire l'uniformisation mondiale des méthodes économiques et managériales, et des modes de vie (confort matériel au détriment de tout le reste, obsession de l'argent, gabegie et obésité, fascination hollywoodienne, anti-écologie, socialité hypocrite, éducation plus sociale qu'intellectuelle, …).
Cette américanisation est un échec (heureusement) et est de plus en plus rejetée partout. Nous assistons à une continentalisation socioéconomique proche des prédictions de Samuel Huntington. L'avenir de l'Europe est en Europe ; il faut donc y éliminer les Etats nationaux des circuits décisionnels stratégiques, économiques, fiscaux, militaires, diplomatiques et sociaux, et les y préserver au niveau culturel.
- Big data, Intelligence artificielle, blockchain, etc. : révolution internet et révolution économique, dans quel monde nos enfants vivront-ils ?
Dans un monde débarrassé, espérons-le, des mythologies technologiques. Ce ne sont pas les technologies qui construisent le monde ; les technologies ne sont que des accélérateurs de rendement au service du projet humain (encore faut-il qu'il y en ait un). Ce qui est clair, dès aujourd'hui, c'est que toutes les tâches relevant de logiques mécaniques ou algorithmiques seront assumées par des robots (dont la seule "intelligence" est d'obéir aveuglément à des algorithmes programmatiques conçus et implémentés par des humains). Le domaine de l'humain s'expulsera ou se libérera (comme on voudra) de toutes les tâches répétitives, inintelligentes, fastidieuses, dangereuses, éreintantes, etc … et se cantonnera dans les tâches nobles, créatrices, holistiques, esthétiques, spirituelles, eudémoniques, anagogiques, c'est-à-dire, pour quitter ce vocabulaire trop technique, que le souci numéro un de l'homme de demain sera sa joie de vivre au service de la Vie et de l'Esprit.
Octobre 2017
De Marc Halévy pour Didier Durand à Bref Eco