Créationnisme ou Hasardisme
La physique classique considère, depuis longtemps, que les lois et constantes universelles sont des "donnés". Mais donnés par qui et pour-quoi ? La physique débouche alors sur un questionnement métaphysique crucial.
Deux réponses ont été données à la première de ces deux questions "par qui ?" (la seconde a été largement laissée en friche) : soit par un Dieu personnel et créateur, omniscient et omnipotent (créationnisme), soit par le Hasard (hasardisme) auquel cas la probabilité que le Tout existe, est quasi nulle.
Pour sortir de cette impasse métaphysique, d'Everett à Smolin, certains (méta)physiciens ont inventé une hypothèse : celle des multivers, soit parallèles et proliférants (Everett), soit successifs et darwiniens (Smolin). L'idée est simple : nous, les êtres intelligents qui nous posons ces questions, appartenons évidemment au seul univers qui ait "réussi", mais tous les autres, inféconds et absurdes, existent aussi (mais il ne peut y exister aucune intelligence capable d'en rendre compte), ce qui permet au Hasard d'échapper à l'impasse de la probabilité quasi nulle.
On comprend vite que la pirouette de l'hypothèse des multivers ne résout aucunement le problème métaphysique. Elle le déplace. Pour-quoi y aurait-il une infinité d'univers parallèles (ce qui s'oppose au principe de simplicité du rasoir d'Occam et qui brise le principe de l'unité et de l'unicité du Réel) ? Comment se fait-il qu'il n'y ait qu'un seul de ces univers qui puisse "réussir" à engendrer de l'intelligence et qui soit fécond ? Est-ce par la volonté d'un Dieu théiste ou par le plus grand des Hasards ? On retombe de Charybde en Scylla …
Il n'y a qu'une seule issue : l'idée simple qu'il n'y a ni lois, ni constantes universelles qui soient données, mais que celles-ci soient des produits de l'évolution immanente de l'univers unique qui forme le Réel, qu'elles soient le résultat d'un processus d'auto-apprentissage par lequel des solutions locales, inventées par essais et erreurs, soient devenues tellement efficaces qu'elles ont proliféré au point de devenir des heuristiques d'efficience avant de se généraliser en "lois et constantes universelles".
La question métaphysique n'est pas résolue pour autant, mais elle change totalement de registre. En effet, pour que le Réel cherche à "résoudre ses problèmes" et puisse recycler les "solutions qui fonctionnent", il faut que ce Réel porte en lui deux puissances : celle de la mémoire et celle de l'intention. Car toute l'évolution cosmique n'est que la résultante de cette dialectique fondamentale entre mémoire et intention (entre trajet déjà accompli et projet à accomplir, si l'on préfère).
La question métaphysique est, alors : pour-quoi (pourquoi et pour quoi) le Réel possède-t-il ces deux puissances essentielles ? A cause de Dieu ou à cause du Hasard ?
Pour sortir de ce cercle vicieux métaphysique, il faut considérer qu'il puisse exister un trajet (mémoire) sans projet (intention), mais qu'il est impossible qu'il y ait un projet sans trajet. C'est donc le projet qui est fondateur, qui est la source ultime de tout ce qui existe. Comme tout projet est antithèse du hasard qui, par définition, est absence de projet, il faut en conclure une identité simple : le Projet est le Dieu, source ultime et moteur éternel du Réel. Ce Dieu-Projet, cette Intention fondatrice et éternelle, se pose comme l'antithèse radicale d'un quelconque créationnisme : il fonde un constructivisme (émergentisme, émanationnisme, processualisme, etc …) où l'idée de "Dieu" est celle d'un Dieu impersonnel et radicalement immanent, source et moteur du Réel.
Marc HALEVY, 2/11/2018