Incivilité et compagnie …
L'incivilité (la non-citoyenneté, étymologiquement) explose dès lors que la notion de "bien commun" n'existe plus.
C'est la notion de respect qu'il faut interroger. Qu'est-ce que "respecter" ? Que faut-il "respecter" ? Et pour-quoi ?
Le mot "respect" vient du latin respectus : "action de regarder en arrière" de retro spectare … L'étymologie est paradoxale car elle pointerait vers un certain refus de la tradition. Ici, ce n'est pas tout-à-fait de cela qu'il s'agit, mais de bien pire.
L'incivilité, c'est le non-respect, souvent agressif, de ce qui n'est pas soi, à soi, pour soi, de soi ; c'est le fait d'avoir un regard très différent sur son propre "petit" monde que l'on préserve ou encense, et sur le reste du monde (choses et êtres) qu'au mieux on méprise mais qu'au pire on dégrade, abime, humilie, agresse, viole, violente.
Il est un peu court d'accuser, comme nombre de sociologues, la montée de l'égocentrisme, de l'individualisme, de l'égotisme car ces trois attitudes aboutiraient seulement - mais pas nécessairement - au mépris du monde des autres, du monde commun. Avec l'incivilité, on passe un cap : il y a volonté de nuire, de dévaster, de détruire ce monde des autres. Au fond de l'incivilité, il y a de la haine, c'est-à-dire, pour reprendre la terminologie nietzschéenne : du ressentiment.
L'incivilité est une vengeance plus qu'une négligence. Mais quelle vengeance de qui et contre quoi ? De la médiocrité des médiocres, de l'imbécillité des imbéciles, de la crétinerie des crétins. Ils se sentent minables et en rendent le monde extérieur (les autres, hors clan) responsable.
Or , des médiocres, il y en a toujours eu (beaucoup, une majorité) sans qu'ils se manifestent avec ce ressentiment et cette haine destructrice.
La plupart du temps, un crétin ne se rend pas compte qu'il l'est : il vivote sa petite vie et se repaît de panem et circenses avec des gens qui lui ressemblent dans sa "médiocrité joyeuse". Mais il peut arriver qu'il prenne conscience qu'il le soit. En ce cas, trois attitudes d'accusation sont possibles : l'accusation du "destin" (c'est ainsi et on pense très vite à autre chose en retournant au panem et circenses), l'accusation de soi (et c'est le début de la sortie du crétinisme, de la catharsis salutaire, de la rédemption magnifique) ou l'accusation des autres, de la société, du système (c'est l'option d'actualité de ces pitres appelés "gilets jaunes").
La question alors, devient : pourquoi, aujourd'hui, est-ce ce troisième scénario qui soit tant en vogue ? Je pense que la réponse tient en ceci : le martèlement, depuis plus de cinquante ans, des thèses égalitaristes. Au fond, dire sempiternellement que tous les hommes sont égaux, mène à une idée simple : "puisque je suis égal aux autres en tout, mais que je ressens que je ne suis pas leur égal en tout, c'est donc que les autres m'empêchent d'être leur égal". Et voilà que s'installe l'infernale boucle paranoïde. Je suis une "victime" … des blancs, des hétérosexuels, des colonialistes, des mâles, des élites, des non musulmans, des nantis, du gouvernement, des banquiers, des partis politiques, des médias, du système libéral ou démocratique ou républicain, etc …
Nous vivons l'heure du victimisme ! Et, par symétrie, de la totale déresponsabilisation personnelle : je suis un minable non pas parce que je le suis vraiment, intrinsèquement, mais parce que je suis victime d'une cabale cosmique qui me vise personnellement et qui m'enferme dans ma déplorable médiocrité.
Et si l'on commençait par appeler un chat, "un chat" !
Marc Halévy, Le 18/12/2018