Quelques réflexions à propos des "Gilets Jaunes"
Les masses commencent à ressentir, intuitivement, instinctivement, inconsciemment, le changement de paradigme. Et cela les effraie intensément parce que, par définition, les masses sont réactionnaires.
Contrairement à ce que les idéologues ont toujours prétendu ou espéré, les masses ne sont pas progressistes : l'homme de la rue accepte ou exige toujours plus de ce qu'il a déjà, mais il refuse de vouloir autre chose.
Tous les groupuscules révolutionnaires se sont toujours appuyés sur les manques des masses pour tenter d'imposer leurs phantasmes dont personne ne veut ; s'ils réussissent et prennent le pouvoir, ils commencent à instituer leurs "réformes" et les masses se retournent contre eux car elles ne voulaient pas "autre chose", mais elles voulaient "plus de ce qu'elles avaient déjà". La "révolution", alors, doit recourir à la violence et à la terreur pour se maintenir (les Parisiens de juillet 1789, voulaient du pain, pas la révolution ; ce sont des fils de bourgeois ou de noblions qui ont récupéré cette faim du ventre pour jouer leur petite farce pendant deux ou trois ans avant que Maximilien - lui aussi noblion - n'impose sa dictature et sa Terreur … on connaît la suite funeste).
C'est exactement ce qui se passe aujourd'hui : les ressources manquent, la planète s'appauvrit toujours plus, un changement de paradigme s'impose (ce n'est pas un choix, mais une obligation) vers plus de frugalité, notamment ; et cela n'est pas acceptable pour des masses qui veulent consommer plus, gagner plus, dépenser plus, tout en travaillant moins et en produisant moins.
Cette peur panique populaire se retourne alors et cherche un coupable : les "élites", l'Union européenne, les "complotistes", les islamistes, … ou encore Trump, Poutine, Xi Jinping ou Macron …
Et il y a toujours, bien sûr, des crapules pour tenter de récupérer, à leur profit, ces peurs et mécontentements populaires : les populistes, les salafistes, les gauchistes, les souverainistes, les anarchistes, les néo-boulangistes, etc … comme, en France, Mélenchon, Le Pen ou Dupont-Aignan, entre autres.
La seule question du moment est celle-ci : les masses populaires sont-elles capables d'entendre et de comprendre le changement de paradigme en cours avec ses conséquences (frugalité, continentalité, intériorité, flexibilité, virtuosité, immatérialité, etc …) ?
Si l'on croit pouvoir répondre par l'affirmative, alors il faut faire œuvre de pédagogie pour expliquer encore et encore, et de fermeté pour clore le bec aux imbéciles.
Si l'on croit devoir répondre par la négative, alors le démocratisme devient létal car le refus obstiné des masses populaires d'engager ce changement de paradigme, ne peut se traduire que par un immense suicide collectif.
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Le mouvement des "gilets jaunes", aujourd'hui, démontre sept choses :
- L'insondable imbécillité des masses.
- La capacité de quelques milliers de crétins de bloquer et saccager un pays.
- La puissance d'amplification de la Toile.
- L'existence d'un tas d'enragés crapuleux, connus ou inconnus.
- La mort des partis et des syndicats.
- L'opportunisme nauséabond des médias.
- L'impuissance coupable des institutions.
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De Patrick Artus à propos de la stupidité macroéconomique des revendications des Gilets Jaunes :
"Il n'est jamais populaire de plaider l'effort, mais il faut accepter qu'une hausse du pouvoir d'achat n'est possible en France que s'il y a parallèlement une hausse de la productivité, donc des compétences et du niveau de gamme."
De la même eau, de Philippe Tesson en parlant de l'incroyable ambiguïté du mouvement des Gilets Jaunes :
" Tout, il est vrai, a contribué à entretenir cette ambiguïté. Tout, à commencer par la naïveté, feinte ou réelle, du gouvernement, qui a agi dès les premières manifestations comme s'il estimait dérisoire et éphémère le destin de ce mouvement populaire. Tout, et surtout l'appui, la bienveillance, apportés à ce mouvement dès son apparition par l'ensemble de l'opposition, et plus exactement l'hostilité de l'ensemble de l'opposition à Emmanuel Macron et à sa politique. On ne dénoncera jamais assez le mal qu'aura fait à notre pays depuis l'élection de Macron la coalition des revanchards haineux auxquels il a ravi le pouvoir (…).[Avec pour conséquence] dans tous les cas de figure, le risque d'un renoncement obligé du chef de l'État à son ambition réformatrice. C'est-à-dire l'espoir que caresse le 'vieux monde', celui de droite et celui de gauche."
Pour ma part, je l'ai maintes fois écrit, ce mouvement (marginal) est le fruit de l'hybridation du ressentiment et de la nostalgie face à l'inéluctabilité de l'effondrement de l'ancien paradigme pour lequel il cherche des coupables (ressentiment) et qu'il aimerait éviter (nostalgie).
Pas de chance, il n'a pas de coupable et il n'est pas évitable.
En revanche, dès le départ je l'ai écrit, je ne crois pas un seul instant à la génération spontanée via les "réseaux sociaux" d'une telle organisation raffinée en termes de tactique militaire et de propagande guerrière. Tous les partis et syndicats traditionnels ont été pris de court et ne jouent d'ailleurs plus aucun rôle nulle part (et leurs tentatives de récupération du mouvement sont non seulement dérisoires et incrédibles, mais surtout ridicules et lâches - cfr. Le Pen, Wauquiez, Mélenchon, Royal, Dupont-Aignan, etc …) ; l'initiative ne vient pas d'eux.
L'objectif n'est pas de prendre le pouvoir, mais de le déstabiliser en profondeur. Qui donc y aurait intérêt ? Quels sont les piliers du macronisme ? Le libéralisme économique, le laïcisme spirituel et l'européanisme politique. Chacun de ces trois piliers connaît un ennemi ultra-extrémiste, respectivement : le gauchisme (l'ultra-gauche), le salafisme (l'ultra-islam) et le souverainisme (l'ultra-droite).
Vu l'organisation quasi militaire, à grande échelle, des mouvements de bloqueurs sur toutes les routes, je pencherais plutôt vers un groupuscule d'ultra-droite mené par des hauts-gradés de l'armée française, en active ou en retraite (dont certains, ces derniers temps, ont accumulé quelques désirs de vengeance à l'égard d'Emmanuel Macron). Mais ce n'est qu'une hypothèse … fragile.
On peut aussi songer aux Frères musulmans (qui avait minutieusement préparé, à l'instar de ce qui se passe ici, le soi-disant "printemps arabe") : la France est, de loin, le pays d'Europe le plus islamisé, où la population musulmane, surtout maghrébine, est toujours dans la rancœur tenace et haineuse d'un "colonialisme" réinventé. Rêver de faire de la France un nouveau Daesh est aussi une hypothèse plausible … mais aussi fragile.
Ce qui est en revanche clair, c'est que ce groupuscule ultra-extrémiste s'est contenté de mettre le feu aux poudres et que, depuis, il laisse aller les choses. Il ne contrôle plus rien … mais jette, sans doute, régulièrement de l'huile sur le feu. Répétons-le : son seul but était de "foutre le bordel" en déstabilisant l'exécutif et non de prendre le pouvoir.
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Comme je le martèle depuis près de vingt ans, le divorce s'accélère entre la société civile ou l'économie réelle, d'une part, et les institutions de pouvoir (héritages d'une modernité obsolète), d'autre part.
Toutes ces institutions de pouvoir (politiques, bancaires, boursières, patronales, syndicales, universitaires et médiatiques) sont en train de s'effondrer, vidées de toute crédibilité, ne survivant que d'acharnements thérapeutiques somptuaires, financés par les impôts des contribuables (donc par la société civile).
Mais il faut sortir d'un divorce par le haut … et non pas, comme c'est en train de se faire, par le bas, sur les chemins de la violence, du ressentiment, de la barbarie et du crétinisme.
Marc Halévy
Les 2, 3 et 4 décembre 2018