Une âme qui vous anime … Un regard philosophique.
Pourtant, son étymologie est toute simple (en apparence) … Le mot "âme" dérive du latin anima qui … ne veut pas dire "âme", au premier chef, mais bien : "air, souffle, vent, exhalaison", puis, sur un nouveau plan : "principe de vie, vie, âme". L'anima, c'est le "souffle de vie". Ne possède une "âme de vie" que ce qui respire, donc les animaux (même étymologie). Les plantes ne sont pas censées posséder une âme.
Le grec avait précédé : l'âme, c'est la psyché; le souffle, aussi. Le sanskrit va dans le même sens avec âtmâ.
Avec l'hébreu, tout se complique car il y a là trois âmes :
- la Roua'h qui est le "souffle cosmique et divin" qui entraîne la totalité du Réel sur les chemins de son accomplissement,
- la Néphèsh qui est le "souffle de Vie" partagé par tous les animaux qui respirent (comme en latin ou grec),
- la Nishamah qui est le souffle personnel et qui naît et meurt avec le corps (alors que la Roua'h et la Néphèsh sont immortelles). Il faut ici rappeler que le Lévitisme (l'orthodoxie juive qui a dominé entre le retour d'exil de Babylone en -538 et la disparition des sadducéens après 70, suite à la destruction de Jérusalem par les légions romaines) a compilé et écrit le Tanakh (la Torah, les Prophètes et les Hagiographes - soit toute la Bible hébraïque) et ne croyait absolument pas ni à l'immortalité de l'âme individuelle, ni à une vie après la mort, ni à quelque jugement divin que ce soit, ni au Paradis ou à l'Enfer. Ces notions ont envahi marginalement le judaïsme récent au travers des pharisiens (le rabbinisme et le talmudisme) qui les ont reçues des Grecs, eux-mêmes héritiers des Egyptiens.
Depuis Pythagore et Platon, l'occident s'est déchiré entre deux doctrines : celle du monisme pour lequel le corps matériel et l'âme immatérielle sont deux manifestations complémentaires locales et éphémères de la Vie globale et éternelle (ainsi pour Héraclite, Aristote, Zénon, Spinoza, Lavelle, Bergson, … et la plupart des traditions asiatiques) et celle du dualisme qui, à la suite des doctrines idéalistes (dont le christianisme, puis l'islam, ont fait leur fondement) distingue la nature matérielle du corps et la nature immatérielle de l'âme qui appartiennent à des mondes d'essences différentes.
Pour la vision moniste, âme et corps sont en fait deux aspects complémentaires d'une seule et même entité : la personne. Ils naissent en même temps et ils meurent en même temps : l'immortalité de l'âme personnelle et la vie après la mort n'ont, là, aucun sens. Cela n'empêche nullement la Matière cosmique, la Vie cosmique et l'Esprit cosmique d'être, eux, totalement éternels et immortels, d'être sacralisés, voire divinisés (c'est le panthéisme ou le panenthéisme).
Selon cette vision, il ne peut exister d'individualisme ontologique : tout ce qui existe - l'humain compris - n'est qu'une manifestation locale et éphémère d'un Réel-Un vivant et global, holistique. La personne ou l'individu ne sont que des apparences qui révèlent l'existence d'un Réel sous-jacent, unique, omniprésent et éternel, manifesté dans les myriades d'avatars.
Pour la vision dualiste qui est au fondement de la tradition européenne, à la naissance, ou à la fécondation, ou quelque part entre ces deux moments, l'âme qui vient du monde céleste, divin ou idéal s'incarne dans le corps qui, lui, appartient à l'univers terrestre, mondain et matériel. Symétriquement, au moment de la mort, l'âme réputée immortelle (puisqu'appartenant au monde idéal et céleste où les moindres imperfections ou finitudes ne sauraient être tolérées) se sépare du corps mort pour rejoindre son monde à elle, après les épreuves et les souffrances de l'ici-bas. On nage ici en plein individualisme : l'âme est personnelle, individuelle et éternelle.
Là encore, la tradition occidentale se déchire entre sotériologie et eschatologie. Qu'est-ce à dire ?
On parle de "sauver son âme" c'est-à-dire de lui permettre, à l'issue de l'existence, de retourner dans le monde céleste afin d'y jouir d'une béatitude bien méritée. La sotériologie, l'étude théologique du "Salut", examine les conditions de ce retour de l'âme au monde de l'immortalité et de la parfaite béatitude. Il y est question de mérites moraux ou de grâces divines, il y est question de "pesée des âmes" ou de jugement divin, il y est question de Paradis ou d'Enfer (voire de Purgatoire, chez les catholiques) selon la pureté et la sainteté de la vie menée ici-bas.
L'eschatologie est l'étude théologique des fins dernières, de la fin des temps, du jugement dernier et de la résurrection des morts. Le "salut de 'âme" n'est alors pas immédiat, à la mort, mais différé en attente de l'établissement définitif du Royaume divin dans l'univers mondain où les personnes qui le méritent, ressusciteront en corps et retrouveront leur âme pour une vie éternelle.
On comprend que sotériologie immédiate (le salut de l'âme seule au moment de la mort, le corps étant abandonné) et eschatologie différée (le salut de l'âme dans le corps ressuscité prenant effet à la fins des temps) soient difficilement compatibles ; et pourtant, le christianisme en général et le catholicisme en particulier n'ont jamais tranché.
Mais, hors de l'histoire du salut, il est bien d'autres manières de parler de l'âme. Par exemple, une manière plus intimiste qui consiste à regarder l'âme comme une des facettes du psychisme. L'esprit humain fonctionne sur la base de cinq piliers : la Mémoire qui encapsule le passé, la Volonté qui vise le futur et, dans le présent, la Sensibilité qui relie aux mondes intérieurs et extérieurs, l'Intelligence qui intègre tous les noèmes selon de bonnes règles de cohérence, de pertinence, de résilience et d'efficience, et la Conscience qui est le lieu de l'affrontement des quatre autres piliers de l'esprit qui, si souvent, sont en contradiction les uns avec les autres (pour plus de détails, se reporter à mon livre : "Les autres dimensions de l'Esprit" paru chez Oxus en 2018).
On comprend assez vite que, l'âme étant "ce qui anime" la personne, elle doit être assimilée à la Volonté c'est-à-dire à ce qui répond à la question du "pour quoi ?". L'âme véhicule alors la vocation de chacun, sa profonde raison d'être.
La boucle se boucle : les diverses traditions disent au fond la même chose, immortalité mise à part.
Marc Halévy, Le 18/11/2018 (Pour la Revue "Recto-Verseau)