Vivre en Juif
Le problème majeur d'un Juif aujourd'hui n'est pas de croire ou non en l'existence du Dieu des monothéismes ; il n'est pas d'adhérer ou non à telle ou telle mouvance ashkénaze, sépharade, hassidique, harédique, kabbalistique, sioniste, talmudiste, rabbinique, loubavitch, orthodoxe, conservateur ou réformé, haskalique, 'halakhique ou aggadique, karaïte, franckiste, sabra ou galouti, etc …
Le problème unique du Juif, depuis toujours et plus que jamais, est celui de son rapport intime avec l'étude de la Torah.
La Torah est un don divin.
Elle est un verger garni d'une infinité d'arbres, portant des infinités de branches sur lesquelles poussent des infinités de bourgeons, de fleurs et de fruits. Ce verger est enclos dans un mur d'enceinte appelé "judéité" ou, mieux : Maison d'Israël.
Il ne possède qu'une seul porte d'entrée, au linteau de laquelle un seul mot est gravé : BR'YT, "Alliance" (qui ne signifie ni "Amour", ni "Fraternité", ni "Amitié").
Ce mot avertit celui qui entre qu'ici, dans le monde du Réel, tout ce qui existe a sa raison d'être, a sa juste place, en harmonie et interdépendance avec tout ce qui existe ; que tout est lié non seulement horizontalement par les relations du corps et du cœur, mais aussi, verticalement, par les relations de l'esprit et de l'âme.
L'Alliance relie tout à tout, dans le temps et l'espace, et préserve la cohérence absolue de ce Tout qui existe - le Réel - pour en faire ce Un unique et unitaire que la Kabbale appelle Eyn-Sof - le "sans limitation" - et qui engendre tous : les dieux, les anges, les êtres et les choses ; source unique et éternelle de toute matérialité, de toute vitalité, de toute spiritualité.
Sur le poteau de cette porte d'entrée du jardin, à droite, est accrochée une Mezouzah contenant le texte calligraphié du Sh'm'a Israël :
"Entends, Israël :
YHWH [est] nos dieux,
YHWH [est] UN".
Il faut d'abord qu'Israël écoute … Car rien n'est muet.
Car le Divin est immanent et fait vibrer tout ce qui existe … et cette vibration universelle est appelée la Shékhinah : la "Présence", épouse de YHWH. Elle murmure la Vie et l'Esprit des mondes , mais il faut apprendre à l'entendre en faisant taire les fureurs et les bruits de la bêtise des hommes.
YHWH est un des dieux, un des Elohim, émanés de l'Eyn-Sof : il est une des dix puissances de l'Eyn-Sof et sa tâche est de veiller sur le bon ordre du jardin de la Maison d'Israël. C'est lui qui a inspiré la Torah à Moïse et à ses successeurs, les prophètes. YHWH se définit lui-même dans le livre de l'Exode (3;14) :
"Je deviendrai ce que je deviendrai"
Son Nom, d'ailleurs, nous dit la même chose : "Celui qui devient le devenant".
Il est le Logos des mondes en charge d'y réaliser le Kosmos. Il est la Loi. Il donne la Loi sur les deux Tables de pierre gravée : les dix Paroles du Sinaï et les 603 ordonnances qui les accompagnent.
Les dix Paroles du Sinaï disent ceci :
Concernant le Divin, respect de :
- sa Nature (Dieu libère des esclavages),
- son Unicité (Dieu est l'Un radical),
- son Nom (Dieu est YHWH, le Devenant),
Concernant le Temps, respect de :
- sa Téléologie (le Shabbat Shalom comme intention cosmique)
- sa Généalogie (perpétuer la mémoire cosmique),
Concernant soi-même, respect de la propre vocation intime :
- Vitalité : ne pas l'assassiner et la vivre pleinement,
- Fidélité : ne pas la renier, ni la tromper, ni l'adultérer,
- Authenticité : ne pas l'altérer, ne pas voler la vocation d'un autre,
Concernant autrui, respect de :
- sa Vérité (affirmer ce qu'il est),
- sa Propriété (affirmer ce qu'il a).
Dans le poteau gauche, est creusée une petite niche où est posée une Ménorah à sept branches.
Le chandelier à sept branches rappelle les sept étapes de l'émanation des mondes telle que la raconte le livre de la Genèse.
Les deux premières émanations : le Ciel des cieux et la Terre des terres.
En eux, se déploient les quatre incréés : la Ténèbre sur l'Abime et le Souffle des dieux sur l'Eau.
La Ténèbre engendre la Lumière. L'Eau se scindant engendre l'atmosphère. Les Eaux du bas se retirent et font émerger le Sec dont sortiront les végétaux. La Lumière du premier jour engendre alors les Luminaires dans le Ciel. Ensuite L'atmosphère engendre les animaux volants et l'eau, les animaux nageants. Puis la Terre engendre le bétail, les fauves et les animaux rampants. Puis l'homme apparaît ("mâle et femelle" - "dans l'image des dieux" mais non à leur ressemblance) au soir du sixième stade.
Alors, Dieu trop pressé, enjoint son complice le Serpent-Devin de mener la féminité humaine dans le jardin d'Eden afin qu'elle y reçoive la grande initiation de l'Esprit … Mais on se trompe d'Arbre, le quiproquo s'installe. La féminité de l'homme (Eve : la "Vivante") donne à la masculinité de l'homme (Adam : le "terreux") à manger du fruit de l'Arbre de la Vie … auquel il ne comprend rien, croyant avoir mangé de l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal (l'arbre empoisonneur des dualismes, dualités et manichéismes). L'initiation du genre humain a raté. Il faudra tout effacé dans le Déluge. Et tout recommencer avec Noé (Noa'h : "l'homme tranquille"). A présent, l'accès à la Gnose sera strictement individuel …
Il faut donc, depuis lors, que chaque Juif, par sa propre existence, entre lui-même dans le Jardin de la Torah et prenne le temps de s'y promener, tous les sens grand ouverts.
Une fois cette porte franchie, le verger est ouvert à de libres et infinies promenades. Tous les fruits sont offerts pour rassasier les affamés de Sagesse.
Il y a des chemins très fréquentés depuis très longtemps, mais il y a aussi beaucoup d'étroit chantiers très peu fréquentés … voire des coins désertiques. Il y a quatre rivières qui irriguent ce beau jardin : ce sont les quatre niveaux de l'étude du Verger : le sens littéral, le sens moral, le sens philosophique et le sens mystique.
Au milieu du jardin, a été planté l'Arbre de Vie que la Kabbale a renommé "Arbre Séphirotique". Il est l'axus mundi reliant la plus abyssale profondeur des mondes à leur plus haute élévation. C'est l'arbre de tous les secret qui, en somme, est la clé de voûte du jardin puisqu'il en révèle les vingt-deux chemins et les dix figures qu'il faut aller méditer et vivre charnellement dans leurs mystères.
Ces monuments qui émaillent le jardin, reliés entre eux par les vingt-deux chemins qui, chacun, porte une des lettres de l'alphabet sacré, portent des Noms lumineux : Couronne, Sagesse, Intelligence, Vitalité, Bonté, Beauté, Gloire, Eternité, Fondement et, le plus proche de l'entrée : Royaume.
Ce jardin, minuscule à l'échelle de l'espace profane, est une infinité d'infinités à l'échelle de l'espace sacré. Dans l'ordre de la matérialité, il est un livre de 365 pages …
Marc HALEVY, 3 janvier 2018