De la métaphysique à la physique
La métaphysique est l'étude des fondements du Réel.
La physique est l'étude des manifestations du Réel.
Ceci posé, on comprend vite que le passage de la métaphysique à la physique est double : un changement de perspective et un changement de langage.
Si je me place au plan de ma métaphysique personnelle, j'affirmerai que le Réel est un processus évoluant d'une généalogie (une mémoire accumulée) vers une téléologie (un accomplissement en plénitude), que cette évolution est soumise à un principe d'optimalité et nécessite une tripolarité dont aucun des trois pôles n'est réductible aux deux autres, et que ce tripode est l'ensemble d'une substantialité volumique, d'une logicité eidétique et d'une activité holistique.
Ce faisant, j'affirme le socle métaphysique de ma physique, mais je ne suis pas encore entré dans le domaine spécifique de cette physique.
Pour réussir ce passage de l'un à l'autre, il me faudra, d'abord, établir une correspondance entre les concepts métaphysiques affirmés plus haut et les notions en usage dans le monde des physiciens ; il me faudra, par exemple, exprimer que la propension volumique est la puissance entropique (qui mesure la quantité d'ordre uniforme) à l'œuvre dans l'univers, alors que les propensions eidétique et holistique en sont, respectivement, les puissances néguentropique (qui mesure la qualité d'ordre complexe) et énergétique (qui mesure la cohérence et l'intensité de l'activité dynamique) ; il me faudra ajouter que le principe d'optimalité de l'évolution cosmique, évoqué plus haut, se pose comme la seule loi universelle et correspond, respectivement, aux principes classiques de moindre encombrement volumique (principe de Carnot-Clausius-Boltzmann qui est la racine des processus de dilution et d'uniformisation), de moindre tension eidétique (principe de Prigogine qui est la racine des structures dissipatives et des processus d'émergence) et de moindre action holistique (principe de Lagrange qui est la racine unique des mécaniques classique, relativiste et quantique).
Mais suggérer des ponts et des correspondances est nécessaire, mais non suffisant.
Encore faut-il établir une clé de traduction du langage métaphysique en langage physique. Le langage de la physique, depuis Galilée, a été décrété "mathématique" pour la bonne et simple raison qu'il traite de grandeurs quantitatives et que, en principe, contre la réalité d'une grandeur quantitative dûment mesurée et attestée, il y a peu de contestation possible. Le langage mathématique fut donc, pendant quatre siècles, un gage de véracité, d'objectivité et de sûreté. Aujourd'hui - et je m'en suis déjà très longuement expliqué -, ce gage s'évanouit pour deux raisons : parce que les domaines nanoscopique et gigascopique ne permettent quasi plus aucune mesure quantitative avérée et attestée, et parce que la complexité n'est quasi jamais réductible à un ensemble fini et suffisant de grandeurs quantitatives. On sait donc que les mathématiques ne sont un langage puissant que dans le domaine des systèmes mécaniques mésoscopiques. Ailleurs, il bat de l'aile. Il y a donc là une béance !
Le langage courant dit d'un système qu'il est très "complexe" lorsqu'on n'en connaît … quasi rien. De là l'idée que la néguentropie mesure le rapport entre la quantité réelle d'information contenue dans le système (son ontologie du point de vue métaphysique) et la quantité d'information qu'on peut en connaître (sa phénoménologie du point de vue physique).
A l'inverse, l'entropie mesure le taux d'uniformité dans une région donnée de l'espace de référence. Lorsque l'entropie y est maximale (infinie), l'uniformité y est totale et tout (l'ensemble de toutes les grandeurs caractéristiques que l'on pourrait y inventer) y est constant (la conservativité y est absolue).
Et ce "tout = constante" est la seule information contenue dans cette région et elle peut être totalement connue.
Le taux d'inconnaissabilité y est nul : lorsque tout est conservatif, tout est connaissable (c'était le mythe central de la physique mécanique classique de Galilée à Einstein en passant par Newton et Laplace). Mais si tout est conservatif (et absolument connaissable, donc), l'entropie est maximale et, dans cet univers-là, il ne se passe rigoureusement rien (il n'y a donc rien à y connaître). Nous sommes là au cœur de l'aporie fondatrice de la mécanique classique.
Pour qu'un univers réel où il se passe quelque chose, il est donc indispensable que l'entropie ne soit pas infinie et que de la néguentropie irréversible et non conservative s'y déploie. Mais là encore, le passage de la métaphysique à la physique pose de gros problèmes.
En effet, on peut induire de ce qui est dit plus haut que la néguentropie dépend de trois grandeurs :
- le nombre des paramètres nécessaire pour décrire "parfaitement" le système contenu dans la région étudiée,
- la variabilité de la valeur de ces paramètres dans l'espace et le temps,
- le taux de corrélation entre ces valeurs, d'une part, et leurs variations, d'autre part.
Remarquons que le nombre des paramètres "nécessaires" à la connaissance "parfaite" du système (le nombre de dimensions de l'espace des états), est clairement inconnaissable a priori (la seule chose que l'on sache, c'est que plus le système est complexe, plus ce nombre sera grand).
Quant aux deux autres grandeurs, elles sont, a priori, mesurables … à la condition de savoir, a priori, ce qu'il faut mesurer.
En conclusion, le passage de la métaphysique (de l'ontologie, plus précisément) à la physique (à la phénoménologie) se heurte à des murs, non seulement de langages (mathématiques ou pas), mais aussi de faisabilité (connaissance a priori du nombre des paramètres nécessaires).
Il s('ensuit que ce passage, comme le démontre l'histoire des sciences est une dialectique permanente et constructiviste, et non une simple traduction d'un langage vers un autre.
Marc HALEVY, 6/2/2019