Démocratie directe
- Etes-vous favorables à la mise en place d’une démocratie directe en France, et sous quelle forme ? Quelles seraient selon vous les inconvénients et les avantages d’un tel régime ?
La démocratie directe prétend avoir l'avantage de court-circuiter toutes les instances idéologiques (partis, syndicats, etc …), ainsi que le carriérisme politique y associé, et de permettre à chacun de s'exprimer librement et directement sur la question posée. Les technologies numériques permettent, aujourd'hui, d'organiser ce type de fonctionnement à grande échelle. Il faut cependant refroidir très vite les enthousiasmes.
Primo : le court-circuitage de la machinerie représentative et donc partisane, transfèrera, sans la supprimer, la foire d'empoigne idéologique vers les médias (traditionnels, mais surtout numériques) qui, ainsi, seront les vrais détenteurs des vrais pouvoirs d'influence et de décision. Basculer du pouvoir des partis au pouvoir des médias, ne me semble pas du tout souhaitable.
Secundo : le principe même de la démocratie est à revoir de fond en comble ; il faut revenir à la définition athénienne : la démocratie, c'est le pouvoir POUR le peuple et non pas le pouvoir PAR le peuple. Le "peuple", c'est-à-dire la populace, est totalement incapable de comprendre et de piloter quoique ce soit dans le monde complexe qui est le nôtre. N'oublions pas la loi de Pareto : 80% de l'intelligence se concentre dans 20% de la population. La démocratie en général et, plus encore, directe n'est que la tyrannie des crétins.
Tertio : promouvoir la démocratie directe, c'est, dans les faits, donner le vrai pouvoir à celui ou ceux qui ont le pouvoir de formuler les questions et de convoquer les suffrages. Une telle concentration est un bon chemin vers tous les totalitarismes.
Quarto : l'exemple suisse le démontre à souhait : la démocratie directe ne fonctionne bien que dans un tout petit monde (le canton) et sur les questions relevant de la vie quotidienne ; les questions globales relevant de la complexité du monde complexe ne peuvent pas être traitée démocratiquement.
- Soutenez-vous le principe du référendum d’initiative populaire ? Pourquoi ?
Certainement pas. Le "peuple" est absolument incapable de voir plus loin que le bout de son nez (ou, plutôt, que le bout de son portefeuille et de son sexe). Depuis presque toujours, on sait que le "peuple" n'a qu'un seul moteur : panem et circenses, "du pain et des jeux". Ses seules revendications sont : plus de pain (de revenu à travail égal ou moindre) et plus de jeux (de loisirs et de distractions). Et le tout, dans l'immédiateté, à court-terme. Je ne crois ni au bon sens, ni à l'intelligence, ni à l'instinct populaires. L'actuelle farce des "gilets jaunes" le démontre. Je crois en l'évergétisme.
Depuis cinquante ans, nos pays vivent largement au-dessus de leur moyens (cfr. l'endettement national) et épuisent, à toute vitesse, les stocks de richesses naturelles qui ne se renouvelleront jamais et qui sont indispensables pour produire le nécessaire et le superflu. Aujourd'hui, nous entrons en pénurie et n'aurons bientôt plus les ressources indispensables, même pour le nécessaire. Le "peuple" s'est gavé pendant soixante-dix ans (et plus que jamais depuis trente ans) et, maintenant que la fête est finie, il bloque le pays pour que ça continue comme avant. C'est juste absurde. Et Macron n'y est pour rien. De plus, il est sociologiquement démontré que les "riches" consomment beaucoup moins et beaucoup mieux que les "pauvres". Le taux d'obésité - donc de diabète - et la consommation de fast-food, de plats préparés, de drogues, de cigarettes, de téléphones portables, de jeux vidéos et de télévision "grand écran" sont bien plus importants chez les "pauvres" que chez les "riches". En fait, c'est contre leur propre bêtise que s'insurgent les "gilets jaunes" et leurs émules. Nous changeons de paradigme (pénurie oblige), et ils ne l'acceptent pas. Ils veulent que ça continue comme avant et que l'Etat - c'est-à-dire ceux qui travaillent vraiment - paie à leur place. Que se passerait-il en cas de débridement du "référendum populaire" : une seule litanie unique qui martèlerait, sans trêve, qu'il faut donner plus de sous en échange de moins de travail !
- Quelle(s) mesure(s) principale(s) envisagez-vous pour réformer nos institutions politiques ?
J'en vois deux principales…
Primo : le passage de la démocratie à la stochastocratie. La démocratie est une joli principe, mais, dans la pratique, il est condamné à dégénérer en démagogie électoraliste et clientéliste, court-termiste et idéologisante. Tout système électoral repose sur deux questions simples : qui peut être électeur ? qui peut être éligible ? Les diverses doctrines politiques s'élaborent sur les réponses données à ces deux questions. La démocratie au suffrage universel répond, en gros, "tout le monde" à ces deux questions. Et ce "tout le monde" pose problème car "tout le monde" est très loin d'avoir les aptitudes, les compétences, les talents et l'éthique nécessaires. Mais évidemment, dès que l'on quitte le chemin démocratique, les dangers de la dictature et du totalitarisme ne sont plus très loin. La stochastocratie pallie des défauts et faiblesses de la démocratie en évitant les pièges de son contraire. Qui est éligible ? Les volontaires courageux qui ont pu démontrer à un jury de sages, qu'ils possèdent les qualités requises pour chaque fonction à pourvoir. Qui est électeur ? Le tirage au sort entre les candidats pour cette fonction. Plus de parti, plus de campagnes électorales, plus d'idéologie, plus d'élection, plus de sondages, plus de démagogie.
Secundo : le passage des hiérarchismes nationaux à un communalisme continental. Sans remettre en cause l'effective globalisation planétaire dans grandes problématiques, il faut acter la fin de la mondialisation qui, depuis 1945, n'était en fait que l'américanisation du monde. Le monde se continentalise avec quatre grands moteurs : l'Amérique du nord (et ses sosies océaniens), la grande Chine, la grand Inde et, surtout, la grande Europe, avec deux hinterlands liés aux hydrocarbures : la Russie et l'Islamie, et avec deux zones plus ou moins suiveuses : l'Amérique du sud et l'Afrique noire. Dans un monde complexe, les organisations pyramidales sont condamnées à disparaître parce que trop lourdes et trop lentes. Elles doivent être remplacées par des réseaux de petites communautés autonomes. Ainsi, l'Europe pyramidale des Etats eux-mêmes pyramidaux doit disparaître et devenir un vaste réseau d'une centaine de régions autonomes (du point de vue socioéconomique) unies par cœur fédéral (garant de la paix extérieure et intérieure, et de la qualité des infrastructures communes).
Pour "L'Inactuelle"
Marc Halévy, Décembre 2018