La guerre des tribalismes ?
Les chiffres de l'OCDE sur les 15-34 ans résument tout le mal français : trois millions de jeunes totalement oisifs, dont 40 % issus de l'immigration.
Face à ces chiffres, deux lectures sont possibles …
Le victimisme gauchisant : la société française ne propose pas de travail au jeunes en général et aux jeunes immigrés en particulier … (procès en conservatisme et en racisme).
Le cynisme droitisant : beaucoup de jeunes français, surtout immigrés, se complaisent à parasiter la société … (procès en laxisme et parasitisme).
Alors qui est responsable et qui est victime : la société ou l'individu ?
Derrière ces vrais constats mais faux débats, se cachent deux faits majeurs.
Le fait que la société, cela n'existe pas : elle n'est qu'une abstraction idéologique commode, mais vide de contenu, qui amalgame une mosaïque de communautés divergentes.
Le fait que l'individu autonome, cela n'existe pas : un individu, surtout peu instruit, n'est que le reflet de la communauté qui l'engendre.
La difficulté vient du fait que, sociologiquement parlant, la notion de communauté de vie - malgré qu'elle soit la seule pertinente - est floue, avec des niveaux d'appartenance et de conformation très variés (la notion classique de "catégories socioprofessionnelles" est totalement biaisée et artificielle).
Mon ami Michel Maffesoli a remplacé la notion de "communauté de vie" peut-être trop vague, par celle, plus impliquante, de "tribu" ; l'idée de "tribu" renforce, sur le petit nombre, la puissance d'appartenance et de conformation, mais exclut, en fait, un grand nombre de personnes dont les appartenances sont molles et les conformations labiles.
L'utopie républicaine (de 1870 à 1945) a voulu imposer l'élimination de toutes les communautés au profit de la seule appartenance nationale et de la seule conformation citoyenne ("je vote, donc je suis").
Très symétriquement, l'utopie socialiste a condamné toutes les communautés différenciantes au nom de la seule égalité ("je me dissous, donc je suis").
La "société liquide" de Zygmunt Bauman semble dissoudre toutes les appartenances et conformations dans l'hyperconsommation généralisée ("je consomme, donc je suis").
Dans la réalité concrète, toutes ces doctrines uniformisantes récusent l'idée de socio-diversité, l'idée de la coexistence (plus ou moins pacifique) de communautés ou "tribus" plus ou moins différenciées … et sont de cuisants échecs tant politiques que théoriques.
Ce sont ces concepts centraux d'appartenance et de conformation communautaires (ou tribales) qu'il faut revisiter. Qu'elle en soit consciente ou non, chaque personne est le produit d'une communauté et aura tendance, au moins dans l'enfance, à s'y conformer. L'adolescence, en général, induit des tendances, plus ou moins puissantes, à s'en émanciper surtout si l'appartenance à la communauté est plus "autoritaire" (aliénante) que "nourricière" (sécurisante).
Ensuite, les vies étudiante, professionnelle, sociale vont inscrire la personne dans d'autres communautés de vie, plus ou moins attachantes, impliquantes ou tribalisantes. De là, il vient une multi-appartenance qui engendrera plus ou moins de tensions selon le degré de compatibilité des diverses communautés et de leur puissance de conformation.
En somme, le débat intérieur de chacun, devrait être une confrontation entre tribalisme (et ses exigences, voire ses dérives sectaires) et indifférentisme (et ses déshérences, voire ses dérives psychopathologiques).
Mais notre époque vit une autre confrontation : celle des mouvements centrifuges vers des tribalismes parfois violents et sectaires, et celle des mouvements centripètes vers des uniformismes (nationaux, citoyens, idéologiques, …) parfois tout aussi sectaires et violents. Et cela, les Etats nationaux ne sont pas du tout prêts ni à l'envisager, ni à l'organiser.
Cette évolution est pourtant inéluctable car intimement liée au changement de paradigme que nous vivons et au passage des organisations centralisées et hiérarchiques, à des organisations réticulées et autonomisantes.
Marc Halévy
Un clin d'œil à mon ami Michel Maffesoli
Le 21/01/2019