Panorama des Mouvances et Rites maçonniques en France
La querelle des Ancients et des Moderns.
Cette distinction doit beaucoup à la querelle toute britannique entre les Moderns et les Ancients, querelle sui sévit entre 1723 et 1813. Tout part de la Royal Society londonienne - où se retrouvaient, autour de Sir Isaac Newton, toute l'élite intellectuelle et scientifique anglaise - et de son secrétaire Jean-Théophile Desaguliers qui, comme bien des membres de cette honorable assemblée, ne rêvait que de créer une religion idéale au-dessus des religions instituées et de promouvoir une morale idéale au-dessus des morales particulières. Nous sommes alors en pleine guerre dynastique en Grande-Bretagne aux forts relents de guerre des religions entre catholiques, protestants et anglicans.
Desaguliers est sans doute membre d'une Loge maçonnique comme il en existait encore quelques unes, moribondes, vivotantes, dans Londres. Desaguliers y a découvert que, depuis des siècles, les Francs-maçons sont statutairement et réglementairement obligés de pratiquer la religion et de respecter le souverain et les lois du pays où leur pérégrination de chantier en chantier les mène. Il y voit le chemin lumineux pour réaliser son rêve : la religion et la morale universelles et idéales. Il décide alors de "récupérer" la vieille Franc-maçonnerie pour en faire le fer de lance de son projet politico-religieux.
Desaguliers charge, vers 1720-1722, le Pasteur Anderson de rédiger de nouvelles Constitutions pour cette Franc-maçonnerie nouvelle et moderne qu'il veut réinventer au profit de son projet. Et Anderson y met tout son zèle. C'est lui qui inventa (pour des raisons rusées et politiques) la fable de la création, en juin (à cause du solstice d'été) 1717, de la Grande Loge de Londres et de Westminster par la réunion de quatre Loges londoniennes à l'auberge "The Goose and the Gridiron", dans le quartier de la cathédrale Saint-Paul.
Desaguliers et Anderson crée ainsi le Franc-maçonnerie des Moderns qui, de suite, connaît un gros succès dans Angleterre aristocratique et bourgeoise, et essaime à toute vitesse vers Bordeaux, Marseille, Amsterdam, Anvers, Hambourg, etc … bref vers tous les ports de commerce avec lesquels les Anglais travaillaient.
Cette idée centrale d'une religion et d'une morale universelles et idéales au-dessus des vieilles religions et morales instituées et quasi claniques, "collait" parfaitement avec l'esprit du temps qui voulait une humanité au-delà des vieux pouvoirs politiques et religieux : cet esprit du temps fut appelé "Enlightenment" en Angleterre, "Aufklärung" en Allemagne et "Lumières" en France, bref : il est l'esprit de philosophisme de ce 18ème siècle naissant.
Mais c'était aller un peu vite en besogne. C'était oublier l'existence de Grandes Loges parfaitement traditionnelles et non pas inventées par un Desaguliers en transe créative. Ces anciennes Grandes Loges étaient celles d'Ecosse, d'Irlande et d'York, essentiellement ; elle furent fédérées par un certain Laurence Dermott qui institua, contre les Moderns londoniens, les Ancients du reste de la Grande-Bretagne. Cette Franc-maçonnerie des Ancients essaima, elle aussi, notamment à Saint-Germain-en-Laye, autour de la Loge des gardes écossait du Roi Jacques Stuart alors en exil en France.
La querelle se termina en 1813 par un "traité" intitulé Act of Union qui, en gros, scella la victoire des Ancients et l'élimination des fumeuses Constitutions d'Anderson (déjà très largement modifiées dès 1736).
Le clivage actuel entre la Franc-maçonnerie régulière (reliée au Ancients) et les mouvances dites "libérales" (attachées au "progressisme" de Desaguliers et Anderson) vient de là.
Rites anglais et Rites continentaux.
En gros, le Rite Moderne (ou Français) s'inspire plutôt des Moderns (mais a bigrement évolué depuis et s'est considérablement enrichi de la symbolique hiramique ancienne notamment grâce à la Loge-mère de Marseille relevant de la mouvance des Ancients) alors que les Rite Ecossais s'inspire plutôt des Ancients, mais avec de forts relents modernes …
Aujourd'hui, il convient de distinguer :
- Les nombreux Rites anglais dont le porte-flambeau est le Rite Emulation, assorti de Side Degrees comme le Nautonier de l'Arche Royale (Royal Ark Mariner), le Maçon de la Marque (Mark Mason), le Compagnon de la Sainte Arche Royale (Holy Royal Arch Fellow) et les Chevaliers Templiers (Knights Templar). La Franc-maçonnerie anglo-saxonne s'ancre dans une spiritualité vaguement judéo-chrétienne et insiste surtout sur le perfectionnement moral du Franc-maçon au service de l'humanité ; la dimension philanthropique y est dominante, surtout aux Etats-Unis.
- Les Rites continentaux :
- Le Rite Ecossais Ancien et Accepté qui développe une mystique plutôt moniste, naturaliste, cosmosophiste, panenthéiste, immanentiste, etc …
- Le Rite Moderne qui, dans les grades bleus, est devenu très proche du Rite Ecossais Ancien et Accepté, et dont les quatre "hauts grades" sont très parallèles aux grades équivalents parmi les quinze premiers des trente "hauts grades" du REAA.
- Le Rite Ecossais Rectifié (avec ses trois "hauts grades") issu de l'hybridation, sous la férule de Jean-Baptiste Willermoz, entre la Stricte Observance Templière allemande et les enseignements martinésistes (Martinès de Pasqually) et martinistes (Louis-Claude de Saint-Martin) français. Ce Rite est christique, théiste, dualiste, surnaturaliste, transcendantaliste, etc …
- Et, très marginalement, le Rite de Memphis-Misraïm (en hébreu, Erètz Mitzraïm désigne l'Egypte ou, en traduction littérale, le "pays des bornes ou des bornés"), issu de la fusion de deux rites artificiels (de Memphis et de Misraïm), nés dans l'euphorie des découvertes napoléoniennes et, surtout, champolionnesques lors de la campagne d'Egypte, au début du 19ème siècle. Ce Rite est plutôt occultiste et hermétiste et comporte pas moins de 96 "hauts grades".
Marc HALEVY, 26/10/2019