Si vous détestez le mot "crétin", ne lisez pas !
L'étude (Institut Jean Jaurès et Conspiracy Watch) qui vient de paraître sur la prégnance des thèses complotistes en France, donne des résultats à la fois hallucinants et logiques. A peu près deux-tiers des citoyens français adultes (65%) croient en au moins une des dix grosses thèses complotistes proposées !
En résumé, moins l'on a confiance en soi et moins l'on se sent capable d'assumer soi-même sa propre médiocrité, plus on cherche un "coupable" extérieur à sa propre faiblesse, plus on croit aux complots occultes et plus on vote pour les populismes extrémistes (RN ou FI). Cela touche surtout les jeunes, les sous-diplômés et les ratés professionnels ; globalement, donc : les inadaptés au Réel, les handicapés de l'esprit, les minus habentes.
Bref : les crétins incultes et ratés refusent d'assumer leur échec de vie, s'inventent des boucs émissaires et espèrent qu'un "grand sacrificateur" viendra les égorger pour eux (ce qui, d'ailleurs, ne changera rien à leur niveau de médiocrité).
Nous vivons en pleine exaltation de la "morale du ressentiment" prédite par Nietzsche. Une morale de la totale déresponsabilisation personnelle : "c'est toujours la faute d'autres", quoiqu'il arrive. De plus en plus de gens sont devenus incapables de se rendre compte qu'ils sont eux-mêmes causes et responsables des malheurs qu'ils subissent ou, surtout, qu'ils imaginent subir.
De Rudy Reichstadt (in "Le Point") :
"Cela suggère une corrélation entre complotisme et un penchant autoritaire. Adorno parlait déjà de ça dans la Dialectique de la raison, il y a soixante-dix ans, ce lien entre paranoïa politique et attachement à une personnalité charismatique et autoritaire".
Cela suggère, plus radicalement, une corrélation entre crétinisme et inculture profonde, entre crétinisme et dépendance psycho-morale, entre crétinisme et totalitarisme rampant. Rien de neuf sous le soleil … sauf que, maintenant, à cause des "réseaux sociaux" - ces poubelles de la pensée -, le crétinisme massif peut exprimer et répandre ses inepties nauséabondes en toute impunité et en toute irresponsabilité, et à la vitesse de l'éclair.
Si l'on veut bien se rappeler la structure de la gaussienne sociologique de base (maintes fois exposées, depuis 20 ans, au fil des 19 tomes de ce "Journal"), on a toujours, quel que soit le problème ou la question que l'on envisage :
- 15% d'élite intelligente
- 20% de médiocres positifs
- 40% de médiocres négatifs
- 25% d'abrutis indécrottables.
(Petit point technique : cette gaussienne n'est pas symétrique, avec 35 contre 65, et la loi de Pareto des 20/80 y devient celle des 25/75, du simple fait de la loi du moindre effort qui fait qu'il est plus facile de descendre une échelle que de la monter).
En politique, tout se joue toujours sur les 40% des médiocres négatifs.
Dans le cas du complotisme, l'inquiétude et l'incompréhension de cette catégorie concernant le monde, les a fait rejoindre le camp des abrutis indécrottables pour former, ensemble, 65% de la population. En face, s'est mis en place un "accord" tacite entre l'élite intelligente et les médiocres positifs, qui forment les 35% restant, qui savent "raison garder".
Autre facette du même débat : ces 40% de médiocres négatifs étaient, à l'origine, du côté des "gilets jaunes" ; mais il y a défection depuis que cette fange vire au défouloir pour "abrutis indécrottables", violents et casseurs, ultra-gauchistes et ultra-populistes. La lie des "Gilets jaunes" encore active ne représente, aujourd'hui, au mieux que 25% de la population (c'est l'assiette électorale commune des Le Pen et Mélenchon pour les Européennes).
En démocratie, quel que soit le problème traité,le pouvoir réel est toujours entre les mains des 40% de médiocres négatifs. Cela oblige les élites intelligentes a perpétuellement charmer cette catégorie, ce qui implique un enlisement permanent du politique dans une navrante démagogie électoraliste.
Cet oubli a signé la fin des partis traditionnels (LR, PS, PCF, etc …) trop sûrs de leur "bien-pensance" idéologique. Mais les médiocres négatifs n'ont que faire d'idéologie : ils ne voient que leur porte-monnaie et leurs intérêts domestiques immédiats. Cette erreur grossière - mais salutaire puisqu'elle nous en a débarrassé - des partis traditionnels, a permis à LRM de faire élire Emmanuel Macron au poste de Président. Celui-ci voulut, de bonne foi, casser la logique de cette démagogie ancienne et croire que la rationalité, l'intelligence, la sincérité et le travail allaient "naturellement" séduire et convaincre les médiocres négatifs, puisqu'il n'y aurait plus d'idéologie pour s'opposer les uns aux autres.
Il n'en fut rien, pour la bonne et simple raison que ces médiocres négatifs sont incapables de comprendre des mots tels que "rationalité, intelligence, sincérité, travail ", eux qui ne connaissent que deux mots : du pain et des jeux.
Marc HALEVY, 6/2/2019