A propos de la Bible.
Il faut sortir de cette idée fallacieuse que le judaïsme biblique (dont le vrai nom est le "lévitisme") serait un monothéisme. Il ne l'est pas ! C'est le judaïsme tardif - le pharisaïsme, le rabbinisme et le talmudisme - qui a été assimilé à un monothéisme.
Originellement, le judaïsme biblique est un monisme (alors que les monothéismes sont des dualismes séparant radicalement le monde matériel et le monde divin supposés de natures radicalement différentes). Ce Un radical et totalisant est symbolisé par le Eyn-Sof (le "sans-limite") de la Kabbale. Ce Un se manifeste au travers de multiples puissances (les Elohim) dont une en particulier guide les enfants d'Israël et dont l'imprononçable nom est symbolisé par le tétragramme YHWH ("il devient devenant").
Le Judaïsme biblique n'est pas non plus une religion du Salut (ni sotériologique au sens de salut personnel, ni eschatologique au sens de salut collectif, malgré que certains rares prophètes bibliques aient été tentés par ces voies) : la Torah (le Pentateuque qui rassemble les cinq premiers livres attribués à Moïse et qui fonde toute la foi et la pratique juives) n'inclut aucune proposition concernant une quelconque immortalité de l'âme personnelle ou de vie personnelle après la mort.
Le Judaïsme biblique est une spiritualité de l'Alliance, c'est-à-dire de l'union intime entre l'humain et le Divin, entre la partie et le Tout, dans ce monde-ci qui est le seul réel : une Alliance pour l'accomplissement mutuel dont la récompense est la Joie mystique.
Enfin, le Judaïsme biblique n'est en rien messianique et n'attend ni "sauveur", ni "fin des temps" au sens apocalyptique de ces termes. L'onction "messianique" (le mot hébreu Messia'h signifie simplement "celui qui est oint", ce qui, en grec ancien, donne Christos avec le même sens) ne faisait que consacrer une fonction politique (roi) ou religieuse (grand prêtre) ou mystique (prophète). Dans la Bible tardive, l'idée de "messie" est plutôt celle d'un chef politique et militaire capable de chasser l'envahisseur grec ou romain.
Le "dieu" de la Bible, nommé YHWH, n'est en rien LE Dieu universel, "créateur du Ciel et de la Terre" ; il n'est que la divinité tutélaire des enfants d'Israël, lien et pont entre eux et le Divin, absolu et ineffable qui contient, englobe, sanctifie et sacralise tout ce qui existe.
D'ailleurs, ce nom YHWH n'apparaît nullement dans le premier chapitre de la Genèse dont le premier verset, traduit littéralement et assez loin des fallacieuses traductions chrétiennes monothéistes, donne : "Dans un commencement il engendra des dieux avec le Ciel et avec la Terre". Ce "il" est le Un, le Divin ineffable. On remarquera aussi qu'il ne s'agit pas d'une "création", mais bien d'un "engendrement", c'est-à-dire d'une émanation, d'une émergence, d'une manifestation.
YHWH (dont le nom n'apparaît qu'au second chapitre de la Genèse, dans le jardin d'Eden) donne aux enfants d'Israël les règles de vie qui leur permettront l'Alliance avec ce Divin absolu qui contient tout le Réel. Il faudrait parler de panenthéisme et se rapprocher de la pensée d'un Spinoza, d'un Einstein ou d'un Bergson, tous trois Juifs non religieux, mais sacrément mystiques.
Le mot "monothéisme" devrait plutôt être réservé aux religions chrétiennes et musulmanes.
La Bible hébraïque n'est pas un "testament" et encore moins un "ancien testament". Elle n'est pas un "témoignage". Elle est une encyclopédie, une bibliothèque, un ensemble de livres qui transmettent des légendes, des prophéties, des poèmes, des rêveries, des méditations, des aphorismes, des métaphores, et que sais-je encore.
Au contraire du "témoignage chrétien" qui prétend témoigner de la vie et des propos de Jésus-le-Nazir, la Bible hébraïque n'est pas la présentation des croyances indispensables au Salut ; elle fournit de la nourriture spirituelle afin d'alimenter le foi en l'Alliance (en la possibilité de cette Alliance, en la réalité du chemin menant à cette Alliance).
Cette différence entre "croyances" et "foi" est cruciale. Avoir la foi, ce n'est pas croire en ceci ou en cela. Avoir la foi, ce n'est pas croire, c'est savoir. La foi est la connaissance certaine de la possibilité d'un accomplissement de soi et de l'autour de soi.
La foi est une certitude universelle, pas une croyance particulière. Les miracles évangéliques prétendent à l'historicité véridique qui exige croyance ; les prodiges bibliques ne sont que des métaphores symboliques qui nourrissent la foi.
La Bible hébraïque n'est pas non plus une "révélation" qui serait la parole d'un dieu personnel, transmise solennellement à quelques humains triés sur le volet (il n'y a que Paul de Tarse qui a pu croire ce genre de balivernes).
Il n'y a pas de "dieu personnel" et le Divin ne parle pas (laissons cette idée saugrenue à Muhammad et au Coran). Le Divin n'est pas une personne ; il est le Réel dans sa plénitude et tout ce qui existe émane de lui et le manifeste. Dans la Bible hébraïque, ce sont des humains qui parlent et écrivent aux autres humains pour leur narrer ce qu'ils ont ressenti, compris, pensé, …
En ce sens, il me faut reprendre ici mon leitmotiv spirituel …
Ce n'est pas moi qui existe, c'est la Matière divine qui s'incarne à travers moi.
Ce n'est pas moi qui vit, c'est la Vie divine qui se vit à travers moi.
Ce n'est pas moi qui pense, c'est l'Esprit divin qui se pense à travers moi.
Ce n'est pas moi qui veut, c'est l'Intention divine qui s'accomplit à travers moi.
La révélation, ce n'est pas Dieu qui parle ; c'est l'humain qui découvre le Divin.
On devrait plutôt parler d'illumination et non de révélation.
Et cette Lumière jaillit au travers de la pratique initiatique que la tradition juive (et surtout kabbalistique) appelle "l'étude" des textes bibliques, c'est-à-dire leur herméneutique.
Pour paraphraser Baudelaire : là, tout est symbole …
A part quelques bribes anecdotiques, rien dans la Bible hébraïque n'est historique : là, tout est symbole. Et tout symbole appelle interprétation et herméneutique.
Un très beau et important symbole biblique est celui de l'échelle de Jacob (Gen.:28;11-15) : une échelle relie la Terre (le monde matériel) et le Ciel (le monde spirituel). Ces deux mondes n'en sont en réalité qu'un seul, mais sur des niveaux de perception différents. Des messagers (des "anges" dans la traduction grecque) montent descendent cette échelle. Cette échelle est ainsi le symbole du pont que constitue l'Alliance entre la partie (l'humain) et le Tout-Un (le Divin).
Toute la quête spirituelle de l'initié consiste à grimper, à son tour, cette échelle et à relier, unir, unifier, allier, en lui son intériorité (le soi) et l'extériorité (le Tout) dans l'unité (l'Un).
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