Au tout début du Décalogue …
Ex. 20;2
"Moi-même [je suis][1] le Devenant (YHWH) de tes dieux (Elohim) qui t'ai fait sortir d'un pays de bornés d'une maison d'esclaves."
Approche analytique
Anokhi …
Ce mot vient de "Ani" qui signifie "moi" et de "Khi" qui indique la source au sens de "car" ou la similarité au sens de "comme".
"Anokhi" exprime un "Moi" renforcé : "Moi tel que je suis", "Moi tel quel", "Moi comme tel", "Moi-même tel qu'en Moi-même", etc …
Ce mot exprime l'absoluité pure et l'essentialité unique de Ce[2] qui parle et dit : "Moi-même …".
Car ce "Moi-même" est Ce qui parle et qui se présente et qui dit : "Moi-même [je suis] …". Ce "Moi-même" est Ce qui dit les dix Evidences du Décalogue. Il est la Parole de l'Indicible qui vit au-delà de tout ce qui peut être dit, vu, vécu, ressenti, … par les humains auxquels Il parle.
*
YHWH …
Le Tétragramme ! Ce Nom sur-divin que la tradition juive interdit de prononcer et qui est d'ailleurs imprononçable (on en a fait des inepties du genre Jéhovah, ou Jahvé, ou Yahwéh …).
Lorsque les Juifs lisent à haute voix le texte sacré, et qu'apparaît le Tétragramme, ils le remplacent par "Ha-Shem" qui signifie "le Nom" sous-entendu le Nom de Ce qui parle, notamment et surtout dans la Torah[3].
Le tétragramme sacré est composé, comme son nom grec l'indique de quatre lettres hébraïques : le Yod (Y), un Hé (H), un Waw (W) et un second Hé (H). Cela donne un mot imprononçable : l'hébreu n'écrit que les consonnes et laisse les voyelles, c'est-à-dire la vocalisation des mots, aux bons soins de la tradition orale ; autrement dit en hébreu, ne s'écrivent que les consonnes dont la vocalisation par l'adjonction de voyelles ou de silences est affaire purement humaine.
Il était de tradition, aux temps de l'orthodoxie sadducéenne, dans le Saint des Saints du Temple de Jérusalem, que le Grand Prêtre (le Cohen Gadol en hébreu) prononçât, d'abord tous les matins, puis seulement une fois l'an, au jour de Kippour, le Nom ineffable, dans un face à face solitaire et mystique avec l'Arche d'Alliance.
Dans toutes les autres circonstances, le Nom divin ne pouvait pas être prononcé tel quel, comme il est dit (Ex.: 20;7 – nous y reviendrons dans l'exégèse de la troisième Evidence) :
"Tu ne t'élèveras pas avec le Nom du YHWH de tes Elohim pour l'inanité
car YHWH ne se purifiera pas avec celui qui s'élèvera avec son Nom pour l'inanité"
(Il y a là un jeu de mot entre "élever" : Sh'a et "fausseté, inanité, vanité" : Shw'a). On remarquera, en passant, qu'il y a loin de cette traduction parfaitement littérale et authentique, aux traductions généralement admises.
Lorsqu'il s'agissait de lire à haute voix le texte de la Torah, la tradition faisait remplacer le Tétragramme soit par Adonaï ("mon Seigneur"), soit par ha-Shem ("le Nom"), soit par un amalgame des deux : Ado-Shem, mot qui ne signifie rien et qui, donc, "colle" bien à l'indicibilité du Tétragramme.
Lorsque les massorètes décidèrent de vocaliser le texte de la Torah, durant le moyen-âge (c'est donc une mesure récente), ils eurent l'idée d'utiliser la vocalisation de Adonaï (a-o-a) et de la coller sur YHWH, ce qui donna YaHoWaH (d'où Jéhovah - qui est un nom absolument aberrant).
La prononciation ancestrale du Tétragramme est aujourd'hui perdue. Les prononciations du type Yahwéh ou autres, sont de pures conjectures.
Le Tétragramme est donc composé de quatre consonnes qui rassemblent des sons semblables à des voyelles : i, h (un "h" légèrement aspiré) et ou. Ces quatre consonnes sont Y, H, W et H.
On remarque que la consonne H est doublée.
Le Yod …
Le nom de cette lettre : Yad, désigne la "main". Sa valeur numérique[4] est 10. Sa graphie est une apostrophe suspendue sous la ligne d'écriture (au contraire des langues helléno-latines dont les lettres se "posent" sur la ligne d'écriture, les lettres hébraïques se suspendent sous elle) ; le Yod est la plus petite des lettre de l'alèf-bèt, si petite qu'on l'assimile souvent à un simple point.
La symbolique des lettres, parce que sa valeur est 10, c'est-à-dire le retour à l'unité (1+0=1), donne au Yod le sens de l'Unité accomplie, du plein accomplissement de l'Unité, de l'Unité retrouvée et épanouie, au départ de l'Unité principielle et originelle (symbolisée par le Alèf), après le long périple de l'existence tumultueuse au travers des huit autres chiffres.
Le premier Hé …
Le nom de la lettre Hé signifie : "voici, ceci" et désigne le "réel tel qu'il est là". Cette lettre a pour valeur le nombre 5, le chiffre de la Vérité (symbolisée par les cinq livres de la Torah). Sa graphie est celle d'un carré dont on aurait supprimé le côté inférieur et dont le côté latéral gauche aurait été amputé de sa moitié supérieure ; cette graphie est traditionnellement interprétée comme symbolisant les deux voies pour sortir de la prison de la condition humaine (le carré) : la voie large de la chute vers le bas et la voie étroite de l'élévation vers le haut.
La lettre Hé, en hébreu, est la lettre de la féminisation : par exemple, Tov signifie "bon" et Tovah signifie "bonne". Tous les mots se terminant par Hé, sauf rares exceptions, sont féminins.
Le Waw …
Le nom de la lettre Waw signifie le "crochet" et sa graphie en a la forme : un trait vertical terminé, en haut, par une légère inclination protubérante vers la gauche. La valeur du Waw est 6, le chiffre de la Beauté et de l'Harmonie (les six sections de la Mishnah dont les préceptes visent l'harmonie entre les membres de la communauté juive).
Mais le Waw est aussi le symbole du phallus (un sexe masculin en érection, donc) symbole de masculinité.
Le second Hé …
Le second Hé confirme la féminité du premier pour encadrer la masculinité du Waw. Comme il clôt le mot, il fait de YHWH un nom féminin qui donne, au Tétragramme vu par des théologiens classiques, le sens non pas d'un "dieu", mais d'une "déité".
Globalement, le Tétragramme pose, initialement l'Unité absolue et la Plénitude accomplie symbolisée par le Yod, le point-consonne, le "presque-rien" dirait Jankélévitch, le presque-néant. YHWH est la manifestation de l'Unité du Tout-Un qui, puisqu'il est au-delà de tout ce qui porte un nom, n'a pas de Nom ; Il n'est pas "chosifiable", Il n'est pas "instrumentalisable", Il ne peut donc être désigné par rien : il est ce "Rien", vacuité pleine et absolue (qui est tout sauf un Néant).
Cette Unité absolue, vide, indifférenciée, se manifeste au travers d'une triade symbolisée par le HWH, une masculinité encadrée par deux féminités.
La Masculinité représente la Force dynamique fécondante qui anime (c'est l'Âme, donc) le Tout-Un vers son propre accomplissement, vers sa propre plénitude, par tous les méandres des émanations (les Séphirot) et des évolutions qu'il suscite et irrigue.
Les deux Féminités représentent les deux sources de la fertilité de l'Un .
La première est la fertilité de la Substance divine qui reçoit, encapsule et mémorise toutes les émanations et évolutions.
La seconde est la fertilité de la Loi divine qui empêche les énergies de se dissiper et de se diluer dans les marais de l'inutile, de l'infécond et du gaspillage.
Le Tétragramme, ainsi, fonde une cosmogonie : l'Unité se déploie en s'appuyant sur une Force, une Substance et une Loi, immanentes à elle-même, qui lui permettent d'accomplir sa plénitude.
Le mot YHWH peut être aussi lu comme une déclinaison du verbe HYH qui signifie "devenir, advenir".
Ainsi, YHY signifie : "Il deviendra", sur le mode inaccompli qui indique une action en train de se dérouler.
De même, HWH signifie : "devenant", au participe présent.
YHWH, en ce sens, serait l'amalgame de ces deux formes verbales et donnerait : "Il deviendra devenant" ou "Il est devenant" (en anglais : He is becoming ou, en espagnol : Es volviéndose). D'où cette formule intéressante : "Il est le Devenant" qu'il faut, bien sûr, mettre en rapport avec la grande révélation ontologique faite à Moïse, par le Buisson ardent, sur le mont du désert de Sin (Ex.:3;14) ;
"Je deviendrai ce que je deviendrai".
AHYH AShR AHYH
On constate donc que le Tétragramme contient, en quatre lettres, toute une ontologie et toute un cosmologie.
Une ontologie du Devenir (ou, dans les termes d'aujourd'hui, après Bergson et Whitehead : une ontologie du processus) qui s'oppose radicalement à toutes les ontologies de l'Être. Celles-ci, de Parménide à Kant en passant par Pythagore, Platon, Plotin, Augustin d'Hippone, Thomas d'Aquin, Descartes, … font du dynamique un "accident" du statique. Elles sont en quête éperdue d'une hypothétique et improbable immuabilité derrière le flot impermanent et sempiternel du Réel. Au contraire d'eux, la Tétragramme pose, comme principe, une radicale impermanence fluente du Réel qui fut l'apanage des Héraclite, Aristote, Schelling, Hegel, Nietzsche, Bergson, Teilhard de Chardin, Heidegger, Whitehead …
Et une cosmologie triadique basée sur la Force (la Dynamis), la Substance (la Hylé) et la Loi (le Logos) qui rejoint parfaitement les cosmologies actuelles de la physique des processus complexes .
Tout cela dans seulement quatre lettres …
De la Bhagavad-Gita :
"Quel que soit le nom par lequel tu m'appelles
C'est moi qui te répondrai."
Le Divin (qui est le Tout-Un-Réel) porte de nombreux noms, mais il est absolument unique, unitaire et unitif. Il est le seul "Moi-même" !
*
[1] Le verbe "être" n'existe pas en hébreu. Souvent, on traduit le verbe HYH par le verbe "être", ce qui est une erreur. Le verbe HY signifie "Devenir" ; nous aurons à y revenir. Chaque fois que le verbe "être" est indispensable au sens de la traduction en français, il sera écrit, comme ici, entre crochets.
[2] Le "Ce" qui est utilisé ici est impropre en français qui ne connait que le "celui" qui renvoie à une personne ou au "ce" qui renvoie à une chose. Or, le "Moi-même" qui parle ici, n'est ni une personne, ni une chose … et puisque le "neutre" n'existe pas en français, j'ai opté pour un pseudo-neutre "Ce" ….
[3] La Torah est l'ensemble des "Livres de Moïse" soit les cinq premiers livres de la Bible hébraïque : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome.
[4] En hébreu, chaque lettre (donc chaque mot, chaque verset, etc …) possède une valeur numérique . Ainsi mon prénom Marc est MRQ et vaut 40+200+100=340