De la Vérité …
La vérité absolue (si elle existe) n'est connue de personne.
Cela ne signifie nullement que n'importe quelle fumisterie puisse être proclamée "vraie" tout simplement parce que l'on y croit.
Le vérité, au sens absolu, est absolument inaccessible … mais moyennant une ascèse méthodique rigoureuse, on peut s'en approcher asymptotiquement (c'est cela la démarche scientifique).
Cette ascèse méthodique se développe en quatre points qui forge toute l'éthique intellectuelle en quatre vertus :
- La véridicité : cela consiste à dire clairement et honnêtement ce que l'on tient provisoirement pour "sa" vérité.
- La plausibilité : cela consiste à ne prendre, pour vérité provisoire, qu'un modèle qui soit consistant et cohérent, et qui soit, rationnellement et statistiquement, en accord avec la réalité du monde.
- La simplicité : entre deux vérités relatives et provisoires, mais contradictoires, il convient de toujours choisir la plus simple, c'est-à-dire celle qui nécessite le nombre minimal d'hypothèses indémontrables (c'est la critère du rasoir d'Occam).
- La réfutabilité ou falsifiabilité (cfr; Karl Popper [1]) : dans le rapport dialectique permanent entre théorie et empirie, cela revient à rejeter impitoyablement toute "vérité" qui puisse être démontrée fausse expérimentalement (ce qui peut être démontré empiriquement faux, est réellement faux, tout le reste est plausible).
A ce stade, la question qui reste en suspens, est celle de l'existence, hors du champ humain, d'une "vérité absolue" qu'elle soit, ou non, accessible et/ou connaissable par les humains.
Il s'agit là de poser un acte de Foi au-delà de toutes les croyances en des "vérités" plus abracadabrantesques les unes que les autres.
Autrement posée, cette question interroge la rationalité du Réel, c'est-à-dire de l'existence d'un ordre, d'une cohérence, d'une logicité au sein du Réel.
Face à cette question, deux attitudes - et deux seulement - sont possibles :
- cette Vérité absolue n'existe pas et le Réel est irrationnel, totalement soumis au hasard et à l'improvisation, au chaos et au n'importe quoi ;
- cette Vérité absolue existe bien et le Réel est rationnel (même si sa logicité et son ordre internes échappent partiellement ou totalement aux esprits humains).
Il est évident que, pratiquement, cette première attitude qui nie toute rationalité cosmique, est, dans l'existence quotidienne réelle, totalement stérile et ne mène nulle part, sauf à tenter de faire excuser tous les débordements, toutes les lubies, tous les délires, toutes les atrocités ; la seule règle absolue, alors, étant le seul caprice humain, personnel ou collectif.
La seconde attitude, bien plus plausible face aux lois de l'univers et aux acquis répétitifs de l'expérimentation, affirme la logicité du Réel (sous la forme d'un Kosmos - au sens grec ancien - qui est, à la fois, "ordre et harmonie"), pose une seconde question : si le monde est effectivement rationnel, ordonné, cohérent, possédant ses lois, sa logicité et ses règles d'évolution, alors l'humain fait-il, ou non, partie prenante de cet ordre cosmique ou y échappe-t-il parce qu'issu d'une nature particulière sur laquelle cet ordre n'a pas de prise : c'est, par exemple, l'hypothèse chrétienne ou musulmane d'une âme humaine immortelle et surnaturelle, d'essence divine, appartenant à un autre monde (céleste et immatériel, divin et immuable), mais emprisonnée dans le monde naturel (et peccamineux) par cette entrave immonde qu'est le corps matériel qui, lui, est soumis à l'ordre naturel.
Face à tout cela, le rasoir d'Occam tranche impitoyablement :
- Oui, le Réel est bien une Unité radicale (il n'y a pas d'autre-monde, de sur-monde ou d'arrière-monde), et il est animé par une logicité : il y règne un ordre, une rationalité, des lois et des règles intangibles qui s'appliquent à tout et à tous ;
- Oui, l'humain fait intégralement partie de ce Réel et est totalement soumis à cette logicité cosmique qui n'est ni totalement déterministe (même s'il existe des déterminations), ni radicalement causaliste (même si des chaînes causales y sont discernables) ; il y existe des zones d'autonomie, de créativité et d'émergences qui donnent un pouvoir de liberté à tout ce qui existe, pourvu que les actes et conséquences de cette liberté contribuent à l'accomplissement du Réel en plénitude ;
- Oui, la seule méthode éprouvée pour s'approcher de la connaissance de cette vérité absolue et de la modélisation de cette logicité cosmique, est la méthode scientifique, et elle seule, faite d'une triple dialectique :
- entre sensitivité et intuitivité,
- entre rationalité et créativité,
- entre modélisation et expérimentation.
Il faut encore ajouter une remarque …
Le principe de falsifiabilité ou de réfutabilité par l'expérience, tel que l'énonce Popper, a atteint ses limites. En effet, aux niveaux gigascopiques et nanoscopiques, plus aucune expérience directe n'est possible puisqu'on est au-delà des influences matérielles mesurables, propres au domaine de l'expérience humaine.
Le critère de réfutabilité doit alors évoluer selon deux axes complémentaires et conjointement indispensables :
- celui de l'expérimentation indirecte (la mesure non des effets directs, mais bien celle des effets mesurables des effets sur les effets des effets - c'est ce qui se passe au CERN à longueur de temps) ;
- celui de la cohérence logique avec tout le reste du corpus scientifique connu et dûment validé par l'expérience.
Le drame de notre époque, est que l'enseignement sérieux et approfondi de cette méthode scientifique et de ses impacts culturels, éthiques, intellectuels et métaphysiques, part à vau-l'eau, entrainant dans sa débâcle le sens et l'esprit critiques, et induisant un retour forcené à une "pensée magique" dans laquelle chacun choisit péremptoirement ses propres croyances, aussi absurdes soient-elles, et exige de tous qu'ils les respectent au nom du droit absolu d'être différent, d'appartenir à une autre culture, religion ou idéologie, quelque historiquement ou empiriquement délétères soient-elles.
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[1] Une affirmation, une hypothèse, est dite réfutable si et seulement si elle peut être logiquement contredite par un test empirique ou, plus précisément, si et seulement si un énoncé d'observation (vrai ou faux) ayant une interprétation empirique (respectant ou non les lois actuelles et à venir) contredit logiquement la théorie