Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Deux milliards de réenchanteurs.

Présentation du dernier livre de mon ami Marc Luyckx-Ghisi (écrit avec Aurélie Piet), intitulé, "Deux milliards de réenchanteurs" (Ed. Acte Sud)

Voici la présentation faite par l'éditeur :

 

"Une nouvelle “Renaissance” civilisationnelle est en cours. Mais celle-ci demeure occultée par le déclin de l’ère productiviste dans laquelle nous vivons, palpable à travers une cascade de catastrophes de plus en plus fréquentes. Dans un quotidien rythmé par les nouvelles alarmantes, beaucoup ressentent un sentiment d’impuissance, voire de désespoir face au déni et à l’immobilisme des tenants du pouvoir économique et politique. Pourtant, à l’ombre de cette structure plus que vacillante fourmillent deux milliards d’acteurs qui fabriquent silencieusement un nouveau monde. Théorisés et évoqués sous diverses dénominations telles que citoyens du monde, minorité créative, créatifs culturels, ces acteurs du changement fraient une troisième voie civilisationnelle, en dehors du sempiternel conflit entre conservatisme et modernisme. Ils, et surtout elles, car il s’agit à 66% de femmes, sont capables de faire basculer les valeurs dominantes de notre société, en remettant le partage, la solidarité et le respect du vivant au premier plan de nos préoccupations."

 

On sent, derrière ce texte, une inspiration gauchisante totalement malvenue. Le problème n'est pas le déclin de l'ère productiviste (ce qui attaque les entreprises et l'économie), mais bien le déclin de l'ère consumériste (ce qui pointe les masses et la sociologie), c'est-à-dire le début de l'ère de la frugalité (ce qui pointe une nouvelle éthique de vie).

Quant au "déni", il est bien plus du côté politique (qui sait que la frugalité et l'austérité sont impopulaires, donc mauvaises pour son électorabilité) que du côté économique (qui saura se métamorphoser pour rencontrer les nouveaux défis, les nouvelles demandes, les nouvelles technologies et les nouvelles ressources).

De même, l'immobilisme est, par essence, politique, bancaire et sociologique, et non pas entrepreneurial.

 

Le conflit évoqué entre "conservatisme" et "modernisme" utilise deux pôles inadéquats. Le "modernisme" est l'idéologie de la Modernité c'est-à-dire le refus de l'histoire et des lois naturelles, le refus de toute limite et de toute limitation, le refus de la réalité au profit des fantasmes, le refus de la disparité humaine au profit d'un égalitarisme névrotique, etc …

Quant au conservatisme, il est un préservatisme qui entend s'opposer, tout à la fois, au réactionnarisme, nostalgique d'un passé réinventé, et au progressisme, hypnotisé par des apocalypses messianiques.

 

La référence aux "créatifs culturels" est aujourd'hui dépassée (j'ai beaucoup travaillé sur ce thème … il y a vingt ans …).

Et la pointe de statistique féministe est sympathique, mais invérifiable ; même s'il me paraît évident que les femmes, en général, sont plus "jardinières" (inscrites dans la vie et la durée) que "guerrières" (inscrites dans le combat et la conquête)

 

En revanche, le texte des auteurs en introduction à l'ouvrage me paraît beaucoup plus judicieux et sérieux …

 

"Pourquoi ressentons-nous cette période de manière si trouble, coupée d’un avenir prospère et enthousiasmant ? Parce que nous vivons actuellement sur deux plaques tectoniques qui se chevauchent, expliquant ainsi la perte d’équilibre que nous pouvons ressentir. La vieille plaque, sur laquelle beaucoup d’individus sont désorientés, en quête de sens, incarne notre monde actuel, la société industrielle, matérialiste, non soutenable et pourvoyeuse d’inégalités. Mais il y a également la nouvelle plaque, postindustrielle et post-matérialiste, sur laquelle de nombreux citoyens réalisent, en silence, des ­millions de révolutions tranquilles en différents domaines : éducation, agriculture, médecine, entreprise, finance. Ce nouveau monde en devenir, cette nouvelle société se veut plus juste, plus sobre, plus respectueuse du vivant, de l’autre, de la différence. Elle émet déjà des “signaux faibles” de ces profonds changements. Pour le moment, seule la première plaque est visible. Parce que dominante, connue, rassurante, portée par les puissants. Elle résiste de toutes ses forces, comme ancrée définitivement sur cette Terre, comme si elle était la seule possible. Mais elle se lézarde, s’erite, s’ébranle sous l’effet de ses propres contradictions internes et sous les coups de boutoir de la nouvelle plaque. Elle finira par passer sous la nouvelle plaque qui

deviendra soudain visible et évidente …"

 

La métaphore des deux plaques tectoniques dont la nouvelle passera bientôt au dessus de l'ancienne est jolie, mais irréaliste. Nous vivons une bifurcation, c'est vrai. Mais toute bifurcation induit l'effondrement du paradigme ancien et l'émergence du paradigme nouveau. Un effondrement est bien plus dur et dramatique qu'une simple "glissade" par superposition.

 

Des mots doivent aussi être précisé …

 

Qu'est-ce que le "matérialisme" ?

La métaphysique de la précédence absolue de la Matière (le matérialisme est alors le contraire du spiritualisme) ? L'obsession des possessions matérielles et de l'argent (la matérialisme est alors l'autre nom du financiarisme) ? Le cantonnement de l'économie dans la transformation des seules ressources matérielles (le matérialisme est alors la négation des valeurs, des productions et des circulations immatérielles, c'est-à-dire informationnelles) ?

 

De même, avec les sempiternelles ritournelles socialo-gauchisantes sur "la société plus juste" ou sur "la montée des inégalités" : de quoi parle-t-on ?

Qu'est-ce que le "juste" ? De chacun selon ses talents et à chacun selon ses œuvres !

Qu'est-ce que les inégalités ? L'expression des différences qui font la richesse d'une communauté humaine fondée sur les interdépendances, sur les complémentarités et surtout sur les autonomies !

 

En revanche, des bifurcations exactes sont pointées :

 

  • celle du passage d'une vision mécaniciste à une vision organiciste du Réel,
  • celle du passage d'une technologie mécanique à une technologie numérique,
  • celle du passage du quantitatif au qualitatif dans les modes de vie,
  • celle du passage d'un pillage des ressources à leur préservation,
  • celle du passage du consumérisme au frugalisme,
  • celle du passage d'une économie financiariste à une économie contributive,
  • celle du passage du prix bas à la haute valeur (utilité, usage, durabilité, recyclabilité, réparabilité, …),
  • celle du passage des pyramides hiérarchiques aux réseaux interdépendants,

 

Saluons, au passage, cet aveu :

 

"Le capitalisme, quoi qu’on en dise, nous a offert un monde plus riche, plus productif, plus pacifié. Nous connaissons d’incroyables avancées scientifiques, technologiques et un confort matériel inégalé. C’est aussi pour cela qu’il est si difficile de s’en détacher. L’extrême pauvreté a diminué de 40­% en quarante ans dans les pays en développement. La classe moyenne a augmenté : essentiellement concentrée dans les pays occidentaux, elle est devenue planétaire et représente

quasiment 30­% de la population mondiale. Le nombre de victimes de conflits par an a été divisé par­3 entre 1950 et 2010 alors que la population mondiale a été multipliée par­ 3. L’espérance de vie est passée de 30 à 75 ­ans dans la plupart des

pays développés en l’espace de deux cents ans seulement."

 

Mais toutes ces évolutions positives sont bien plus le fait du "libéralisme" (le culte de l'autonomie, de la responsabilité et de l'initiative personnelles et collectives) que celui du "capitalisme" (qui n'est qu'une tactique financiariste de financement des investissements, tant privée qu'étatique).

 

Trois vérités profondes sont malheureusement ignorées ou occultées :

 

  • le fait que toute bifurcation est une période chaotique propice à tous les charognards (et qu'elle durera jusque vers 2030),
  • le fait que la population humaine sur Terre doit redescendre d'urgence sous la barre des deux milliards,
  • le fait que l'immense majorité des humains sont soit des "parasites" (60%), soit des "toxiques" (25%) et que les "constructeurs d'avenir" ne totalisent que 15% de l'humanité (ce sont eux, et aux seuls, les locomotives du changement de paradigme en cours).

 

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