Tisserand de la compréhension du devenir
Conférencier, expert et auteur

Disjonction entre les "gens" et les "institutions"

Divorce entre les "gens" et les "institutions". Désolidarisations et abstentions tous azimuts …

L'histoire géopolitique d'aujourd'hui n'est que celle du désir de revanche de chacun sur d'autres, selon les lieux et les circonstances.

Nous sommes dans une ère du ressentiment, non pas tant entre les personnes, qu'entre les Etats et/ou Régions, bref entre les institutions déshumanisées.

Et nous connaissons assez Nietzsche pour connaître aussi son analyse du ressentiment et de la conclusion de l'affaire : la dictature des médiocres.

 

Il y a disjonction totale est les institutions de pouvoir et les populations qu'elles sont censées "représenter".

Les systèmes et processus humains, d'une part, et institutionnels, d'autre part, sont devenus quasiment autonomes ; indépendants les uns des autres.

Les institutions ne représentent plus les gens mais seulement elles-mêmes, et elles se livrent à des jeux entre soi qui ne tiennent absolument plus compte des intérêts légitimes des gens.

 

Il faut réfléchir profondément sur cette disjonction que je discerne de plus en plus nettement entre "les gens" (la société civile comme l'on dit parfois) et "les institutions" (les centres de pouvoirs qu'ils soient politiques, idéologiques, administratifs, économiques, médicaux, hospitaliers, techniques, infrastructurels, etc …).

Une institution est un organisme fictif, virtuel, immatériel où des humains fonctionnement, mais où la pratique du fonctionnement est quasi totalement procédurale et programmatique ; une institution est un système dont un groupe humain est le carburant. Une institution a été "instituée" en disposant certains "moyens" et certaines "règles" pour remplir une mission particulière dont la teneur la définit. On comprend vite que toute institution est un système mécanique (bureaucratique, donc) qui devient vite sa seule fin en soi : continuer de fonctionner est le seule finalité que les missions, règles et moyens aient évolué ou pas (c'est le "phénomène bureaucratique" déjà si magistralement décrit par Michel Crozier dès 1971).

 

Michel Crozier qui, dès 1998, écrivait déjà :

 

"La crise que nous vivons est d'abord une crise morale et intellectuelle. Nous sommes en désarroi parce que nous n'avons plus confiance en nos élites qui nous semblent désormais impuissantes, prisonnières qu'elles sont de leur langue de bois technocratique. Moins ces élites sont efficaces, moins elles supportent la critique. Il est proprement inconcevable que des gouvernants responsables, des dirigeants d'institutions puissent déclarer sans vergogne qu'ils sont incapables d'effectuer la moindre réforme profonde à cause des rigidités, des cloisonnements et du conservatisme de la société ou des organisations qu'ils dirigent. La tragédie de la société française (…), c'est que personne n'ose le leur reprocher. Des réformes véritables sont possibles un peu partout, pourvu qu'on arrête de parachuter d'en haut des solutions toutes faites aussi brillantes qu'inefficaces, car elles ne tiennent pas compte de la réalité que vivent les gens à la base. L'expérience montre qu'une réforme bien conduite, c'est-à-dire qui s'appuie sur une écoute en profondeur des acteurs concernés et qui s'attache à reconnaître leurs problèmes, permet de transformer en même temps les mentalités et le système. Mais il faut, pour cela, changer notre mode de raisonnement et préférer à l'intelligence stérile des solutions la compréhension pragmatique des problèmes. La société française est bloquée par une crise profonde de l'intelligence à la française. Il n'y a pas un mal français mais un mal des élites françaises. C'est donc à une véritable révolution intellectuelle qu'appelle ce livre, pour que nous puissions affronter sereinement le siècle qui vient."

 

Ce sujet est de plus en plus en première ligne avec les élections présidentielles de 2022. Le mandat qui vient devra être celui des "réformes de l'Etat" : beaucoup moins d'institutions, beaucoup moins de fonctionnaires, beaucoup moins d'endettement public, beaucoup moins de gabegies budgétaires, beaucoup moins d'inefficacités, de paperasses, de normes, de procédures, de harcèlements administratifs, etc … et tout ceci, dans le cadre impérieux et majestueux de la fédéralisation en profondeurs de toutes les régions d'Europe.

 

Pour en revenir au problème de fond de la disjonction profonde entre "les gens" et les "institutions", il faut aussi regarder l'autre face du problème. Si la mécanisation imbécile des institutions induit, à la fois, des inefficiences catastrophiques et des gabegies insondables, du côté "des gens", l'évolution aussi est colossale.

La majorité des "gens" est de moins en moins bien formée (intellectuellement et culturellement) ; ils comprennent de moins en moins les tenants et aboutissants (à court et à long terme) d'un monde devenu trop complexe pour eux (sans parler des complications bureaucratiques qui s'y surajoutent). Ces "gens" sont donc de plus en plus à la merci de tout démagogue ou manipulateur qui passeraient. Le tout amplifié par cette caisse de résonance vide mais catastrophique que sont les "médias sociaux", relayés par les médias classiques dans un psittacisme assourdissant.

De plus, la majorité des "gens" ne s'y retrouvent plus en matière d'identité et d'appartenance, ce qui induit un légitime repli sur soi, un désintérêt pour le collectif (surtout plus lointain), et des solidarités totalement confisquées par les appareils étatiques, … sans parler des appartenances transversales, dématérialisées, dépersonnalisées, voire anonymes, dans le marais des "réseaux sociaux".

 

*