Eloge de l'autonomie.
Le logique du ressentiment (mise en évidence par Nietzsche et amplement documentée, faute d'être théorisée, par le livre de Marc Ferro : "Le ressentiment dans l'Histoire") est assez limpide.
Tout part d'une souffrance (réelle ou imaginaire, subie par soi ou par d'autres) que l'on ne parvient pas à métaboliser : une blessure ouverte et purulente au cœur d'un esprit faible.
Cet esprit étant faible, il n'est pas capable de métaboliser cette souffrance (qui, rappelons-le, est très souvent imaginaire ou supposée ou importée) ; cet esprit faible est incapable d'en faire son deuil (cfr. Elisabeth Kübler-Ross) : il la rumine comme on mâche un chewing-gum même quand il n'a plus aucun goût.
Et, face à sa "souffrance", l'esprit faible qui, par essence, est incapable de faire son deuil de ses frustrations (blessures non métabolisées), n'a plus qu'une voie : accuser un bouc émissaire qui est décrété responsable de tous ses affres. Puisqu'il n'est pas bien dans sa vie et qu'il lui est inconcevable qu'il en soit lui-même responsable, l'esprit faible DOIT désigner un "autre" qui DOIT être responsable de sa propre médiocrité, de sa propre infirmité.
Marc Ferro écrit, très justement :
"Dans l'Histoire, le ressentiment a été la matrice des idéologies contestataires, de gauche comme de droite."
La seule question qui reste : qui est responsable du mal que je ressens : moi ou les autres ?
La seule réponse qui vaille : moi seul ! Puisque c'est moi qui ressens le "mal", qui ressens mal ! Le Réel est ce qu'il est ; et ce que je ressens mal, c'est moi qui le ressens mal. Libre à moi de regarder autrement ou d'aller ailleurs ! Sinon : j'aurai "mal" et j'en serai seul responsable.
Voilà la posture d'un esprit fort. Quant à l'esprit faible – qui fait, malheureusement, la norme humaine – s'ouvre devant lui l'immense univers des ressentiments à ruminer sans fin avec toutes les stratégies, de fuite, de mensonge, de déguisements, d'hypocrisées et avec toutes les désignations de boucs émissaires commodes et imaginaires qu'il faut, oniriquement, abattre.
Comment sortir ce cette impasse millénaire ? En renforçant les esprits faibles ! C'est-à-dire en disant et répétant à chacun qu'il est seul responsable de ce qu'il est, de ce qu'il pense, de ce qu'il ressent, de ce qu'il vit (et accepte de vivre) et de ce qu'il devient (ou accepte de devenir) ; qu'il n'y a jamais eu, nulle part, ni de fatalité, ni de bouc émissaire ; qu'il faut se prendre en charge soi-même, devenir autonome et cesser de chercher à l'extérieur de soi les causes de sa propre médiocrité.
Marc Halévy
Physicien, philosophe et prospectiviste
Le 16/11/2020