Génération en péril.
De Caroline Tourbe :
"Dans les services de courts séjours, comme ceux des urgences, les hospitalisations des filles de 10 à 14 ans ont augmenté de 71 % en 2021-2022 en comparaison de la période 2010 à 2019. C'est plus 44 % chez les 15-19 ans et 21 % chez les 20-24 ans. La fulgurance de la progression est encore plus frappante dans les services spécialisés en psychiatrie : le nombre de jeunes filles de 10 à 19 ans hospitalisées pour automutilations, qui avait doublé en huit ans, entre 2012 et 2020, a de nouveau doublé, mais cette fois en seulement deux ans, entre 2020 et 2022. Rien de comparable du côté des garçons, où les taux restent stables. (…)
Une chose est sûre, ces nouveaux chiffres contredisent la petite musique rassurante affirmant que la fin de la pandémie provoquerait une chute du nombre de cas. C'est même tout l'inverse. « La situation s'aggrave encore. Il est clair maintenant que nous sommes face à une lame de fond sans précédent et que nous ne parvenons pas à l'endiguer pour l'instant », juge le pédopsychiatre.
Cette tendance à l'aggravation chez les adolescentes et les jeunes femmes contraste avec la stabilité ou la baisse des hospitalisations des adultes plus âgés, hommes ou femmes. Depuis plus de dix ans, le nombre de patients de 30 à 50 ans hospitalisés pour automutilation baisse de « façon continue » dans les services, souligne l'étude de la Drees.
« Cette différence entre génération n'est pas simple à analyser. Les échos de la guerre en Ukraine, la situation à Gaza ou le sentiment d'éco-anxiété très intense chez les adolescents et les jeunes adultes aboutissent sans doute à une perception générationnelle aiguë : le monde va mal. Mais c'est loin d'être suffisant pour expliquer un tel phénomène. À mon sens, le poids des réseaux sociaux mérite d'être également étudié », indique encore Olivier Bonnot (…).
Le plus marquant dans les nouveaux chiffres avancés par la Drees reste la différence entre les filles et les garçons. En 2022, les taux d'hospitalisation pour automutilation et tentatives de suicide dans les services de courts séjours ne dépassaient pas 33 pour 100 000 chez les garçons entre 10 et 14 ans, alors qu'il frôlait les 300 pour 100 000 chez les filles.
Plusieurs pistes sont envisagées pour expliquer un tel écart. « Tout d'abord, il est possible que la santé mentale des garçons ne se soit pas autant dégradée que celle des filles et des femmes du même âge », proposent les auteurs de l'étude de la Drees. En effet, les enquêtes épidémiologiques montrent que la hausse des syndromes dépressifs chez les 15-24 ans entre 2014 et 2021 a beaucoup plus concerné les femmes que les hommes. Ces dernières auraient donc été davantage affectées sur le plan psychologique par les évolutions culturelles et sociétales des années 2015 à 2021.
De son côté, Olivier Bonnot pointe que « ce n'est pas nouveau d'avoir une grande majorité de filles parmi les cas d'automutilation ou de tentatives de suicide ». En effet, les différences d'expression du mal-être psychique selon les sexes sont connues. Chez les hommes, cette expression est dite plus « externalisée » : addictions, comportements violents ou à risque plutôt que dépressions et angoisses, qui sont des formes dites « intériorisées » de la détresse psychologique, plus répandues chez les femmes."
Tout cela signifie que les enfants nés depuis l'an 2000 sont les victimes immédiates du paroxysme chaotique, inter-paradigmatique, que vit le monde.
Le début de cette période chaotique d'une cinquantaine d'années peut être placé soit vers 1975 (la fin des "trente glorieuses" et la mort de Mao Zedong en 1976) soit vers 1985 (la mort du dernier tsar soviétique, Andropov, en 1984, et le début de l'effervescence islamiste au Proche-Orient).
Cette génération est complètement déstabilisée et n'a plus de repères positifs durables, ce que les filles expriment par des tendances suicidaires de désespoir, et les garçons par des comportements violents de rage.
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