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Histoire et prospective du monde musulman

Le cycle musulman est aujourd'hui, comme le cycle christiano-idéaliste, dans son troisième et dernier paradigme : celui de la déconstruction, mais avec un décalage de plus d'un siècle sur ce dernier (cette anti-cyclicité partielle est une des sources des heurts violents entre les deux cultures, tant en Israël, qu'en France ou ailleurs).

D'emblée, il faut souligner que le monde musulman, dès l'origine, est terriblement hétéroclite et hétérogène ; son histoire ne va rien arranger et le monde musulman d'aujourd'hui est toujours une mosaïque de "tribus" religieuses loin de s'entendre entre elles et loin de digérer leurs paradoxes et contradictions, ce qui laisse tout le loisir aux sectes extrémistes (frèrisme, wahhabisme, salafisme, djihadisme) de proliférer et de profiter des fissures et interstices pour injecter leur venin nauséabond.

La germination …

Pour l'Islam, tout commence aux alentours de La Mecque, vers 600 (le début officiel du calendrier musulman a été arbitrairement fixé à 622, ,avec l'Hégire de La Mecque à Médine). On ne sait rien des débuts de Mu'hammad hors qu'il était caravanier et illettré, et que jeune, il avait épousé une riche veuve nommée Khadija. Mu'hammad est imprégné de la spiritualité ambiante : sur fond d'animisme arabique, des communautés juives et surtout chrétiennes orientales (monophysites, ébionites, syriaques, …) ont déjà, depuis longtemps, donné, au centre de la péninsule arabique, un grand bain de monothéisme. Mu'hammad, oisif, a le temps d'entendre toutes ces histoires, de les ruminer, de les méditer et, peu à peu, son esprit s'illumine ; il se dresse en prophète d'une nouvelle sur-religion inédite, prétendant englober le judaïsme arabique, le christianisme oriental et le djinisme ancien. La habitants de La Mecque le rejette et il part pour Médine où les communautés juives et chrétiennes sont plus nombreuses. Il croit en une conversion rapide des Juifs à sa prédication ; il n'en est rien, évidemment. Il se rapproche alors des chrétiens arabisés qui vont devenir sa véritable source d'inspiration, notamment en lui faisant découvrir, avec des yeux chrétiens, la Bible et les Evangiles, et en écrivant, pour lui, les prémices de ce qui deviendra, plus tard, après sa mort, le Coran écrit par bien d'autres plumes. Ce rejet de la prédication de Mu'hammad par les communautés juives médinoises est la cause profonde de la haine que Mu'hammad et, après lui, tout le monde musulman a conçu à l'endroit des Juifs (un profond antijudaïsme séculaire dont l'antisionisme actuel n'est qu'un avatar puéril) ; d'ailleurs, dès qu'il eut les moyens militaires de le faire, Mu'hammad s'est empressé d'exterminer ces communautés juives médinoises.

 

La cycle arabique …

 

Quoiqu'il en soi, à Médine, les balbutiements mysticistes de La Mecque, aigris par les échecs mecquois et médinois des conversions que Mu'hammad espérait massives, se transforment et deviennent rapidement une idéologie politique, impérialiste et totalitaire. La "Guerre Sainte" allait bientôt pouvoir commencer. En bon populiste, Mu'hammad rassemble assez vite une bonne troupe populacière de "laissés pour compte" ; il devient alors possible de lancer une razzia sur La Mecque et d'y triompher militairement, avec force massacres. Du coup, Mu'hammad, chef de guerre - mais si peu chef religieux - se lance à l'assaut de la péninsule arabique et son triomphe de La Mecque lui apporte gloire et crédit auprès des tribus pauvres, illettrées et dépenaillées qui vivotent dans le désert.

 

L'armée musulmane grossit et atteint de l'ordre de 100.000 soldats. Il n'y en aura jamais guère beaucoup plus. L'empire romain s'est écroulé vers 400, laissant toute l'Afrique du nord à son triste sort ; parallèlement, au 7ème siècle, l'empire sassanide s'effondre en Perse. La ridicule armée musulmane profite de ces deux immenses poches de faiblesse pour conquérir tout le Moyen-Orient aryen et toute l'Afrique du nord berbère : les populations les accueillent en libérateurs et en sauveurs, presque sans coup férir (sauf en Tunisie où un chef de tribu juive, nommée La Kahina, va réussir une coalition judéo-berbère qui va tenir les hordes arabes des Omeyades en échec.

En Afrique du nord, les populations étaient de curieux mélanges de Berbères, de Noirs africains et de Wisigoths, sans la moindre goutte de sang arabe dans les veines. Les Maghrébins, il faut le rappeler, ne sont pas des Arabes ; ils n'en ont ni la race, ni la langue, ni la culture, ni la mentalité.

 

Sans évoquer trop les légendes de la succession de Mu'hammad et des querelles entre Ali et Abu-Bakr, le fait est que l'idéologie musulmane s'est assez vite scindée en deux courants principaux (eux-mêmes subdivisés en de nombreux courants concurrents, voire ennemis). D'un côté, 80% des musulmans se regroupent sous la bannière du sunnisme (péninsule arabique, Maghreb, Afrique saharienne et sub-saharienne, une partie occidentale du proche-Orient, une partie de l'Asie du sud-est. De l'autre côté, les 20% restant se regroupent sous la bannière du chiisme persan, devenu iranien, qui est plus un zoroastrisme islamisé qu'autre chose.

Le cycle arabique de fondation de l'idéologie musulmane dura de l'ordre de 550 ans, entre environ 600 et 1150. La fin de ce paradigme arabique marque également l'épanouissement d'un chiisme élitaire, mystique et poétique qui prend ses distances par rapport au rigorisme populaire, exotérique et puritain d'un certain islamisme sunnite.

 

Le cycle turc …

 

Un paradigme ottoman (turc) prit alors le relais du paradigme arabique de 1150 à après 1700. Il fut suivi d'un long effritement qui se termina en déroute, du fait de la radicalisation passéiste des "Jeunes Turcs" (responsable du génocide arménien en 1908), avant la grande défaite de la coalition germano-turque de 1918. Un sursaut d'occidentalisation faillit réussir grâce à Mustapha Kemal Atatürk entre 1923 et  1938. 

Ce sunnisme turc impérial prit d'abord la forme d'un empire seldjoukide limité (1077 à 1307), puis celle d'un empire ottoman très étendu (conquête progressive de tout l'espace sunnite occidental à partir de 1250). L'apogée de l'empire ottoman se place entre 16ème et 17ème siècle, notamment sous la férule de Soliman-le-Magnifique.

 

Le cycle occidental …

 

Dès le début du 18ème siècle, l'empire ottoman commence à s'affaiblir sous la poussée européenne (Maghreb, Egypte, Liban, Syrie, etc …). C'est alors que commença le paradigme de déconstruction (qui est un paradigme d'occidentalisation) de l'idéologie musulmane (comme la modernité fut le cycle de déconstruction du paradigme christiano-idéaliste, mais avec une avance préjudiciable de deux siècles environ).

L'occidentalisation du monde musulman eut de nombreuses causes :

  • bien sûr la colonisation européenne y apporta un progrès économique, technique, éducationnel et moral (surtout au bénéfice des femmes et par l'abolition des esclavages) indiscutable,
  • mais aussi la manne financière apportée par l'ère du pétrole lui permit de singer l'occident en matière de luxe, de confort, de services et d'organisation,
  • mais encore, la formation des élites musulmanes dans les universités occidentales accéléra la prise de conscience de l'archaïsme des structures et mœurs musulmanes,
  • mais enfin, les travailleurs immigrés qui vinrent prêter main forte, durant les "trente glorieuses", à la reconstruction de l'Europe, furent le noyau d'une population musulmane occidentalisée (même si leurs rejetons banlieusards actuels financent leur "radicalisation" à grands coups de trafics de drogue) qui n'a plus aucune intention de retourner vivre parmi les archaïsmes de leur passé maghrébin ou turc.

 

Asynchronisme délétère …

 

C'est l'asynchronisme entre le paradigme musulman et le paradigme chrétien qui est la cause profonde des conflits entre eux aujourd'hui.

Les christiano-idéalistes ont déjà "viré leur cuti" et savent qu'ils sont en train de bifurquer radicalement hors christianité, hors idéalisme et idéologie, et hors modernité : pour eux, une nouvelle ère de l'histoire humaine s'ouvre sur des principes et des réalités totalement différentes de celles qui prévalaient.

Au même moment, dans le même monde, mais dans des référentiels différents (car l'islam est toujours une construction essentiellement médiévale), les musulmans instruits n'ont pas encore pris conscience des processus de déconstruction qui  travaillent profondément leur culture, et n'en acceptent pas du tout les manifestations (d'où la haine de la technique, la haine de "l'occident", la haine de la science, la haine de la libération des femmes et des mœurs, la haine de l'instruction, etc …).

 

C'est cela le moteur intime de la radicalisation du frèrisme, du salafisme, du wahhabisme ou du djihadisme.

C'est cela aussi le moteur intime de la "révolution iranienne" et du rapprochement, contre nature, du chiisme et du sunnisme sous le régime dictatorial et brutal des âyatollâhs.

C'est cela le jeu de ruse de l'Arabie saoudite qui, d'une main, finance le salafisme du monde entier, et de l'autre, se dit allié de l'occident, grand consommateur de son pétrole.

C'est cela la cause de la haine profonde contre Israël, dans le contexte de la haine millénaire contre les Juifs : Israël appartient au monde et à l'histoire occidentale, christiano-idéaliste, et est perçu, au mépris total de l'histoire longue, comme un coin de fer moderniste enfoncé dans la chair d'un monde musulman archaïque.

C'est cela la souffrance du Liban, jadis le pays des cinq religions en paix (sunnisme, chiisme, druzisme, judaïsme et christianisme), jadis le pays le plus occidentalisé du proche orient, jadis la plaque financière la plus prospère de la région, et aujourd'hui déchiqueté et mis en lambeaux par les séides du Hezbollah salafiste iranien.

Voilà la cause intime et profonde des tensions entre le monde musulman et le reste du monde, comme un décalage horaire de plusieurs siècles entre les évolutions cycliques de leur histoire.

 

Marc Halévy

Physicien, philosophe et prospectiviste

Le 06/01/2020